Burkina Faso : demi-lunes, quand la technique favorise l’agriculture productive au Nord
Dans le nord du Burkina Faso, en proie à l’insécurité et où les conditions climatiques sont souvent difficiles avec des précipitations irrégulières, les agriculteurs autochtones et déplacés internes revitalisant les sols dégradés grâce à la technique des demi-lunes. Cette pratique permet de conserver leurs terres tout en renforçant la souveraineté alimentaire.
Le soleil est au Zénith en ce mois de février 2024. Sibalo, un village situé à 15 kilomètres d’Arbollé, dans la région du nord, n’échappe pas à la chaleur suffocante. Depuis 8 heures du matin, dans son champ de trois (3) hectares de céréales, Mahamadi Bella, agriculteur quinquagénaire, natif de Sibalo, dessine des demi-cercles à l’aide d’un compas et les creuse avec une pioche et une pelle. Il se rend ensuite dans les champs voisins et aux abords du village pour collecter les bouses de vaches et les déverser dans les fossés déjà creusés.
Le vieil homme cultive la terre depuis plus 20 ans. Durant ces dernières décennies, il a observé une bonne pluviométrie et des terres fertiles. Mais au fil des années, il est de plus en plus confronté à la dégradation du sol, accentuée par le réchauffement climatique et à la pression foncière. Dans cette région du Burkina Faso, la saison des pluies dure moins de 4 mois avec des précipitations qui oscillent entre 400 et 600 mm. La terre qui s’est appauvrie refuse de produire.
Les récoltes de Mahamadi Bella ne peuvent plus atteindre l’autre saison. Il ne peut plus nourrir sa grande famille de dix (10) membres. Mais, ces dernières années, il a adopté la technique des demi-lunes pour restaurer ses terres et augmenter sa production. « Cela fait maintenant trois ans que je me suis adonné à la pratique de demi-lunes qui me parait mieux et c’est très rentable ».
Cette pratique culturale, il l’a appris auprès de l’INERA qui intervient dans la commune rurale de Arbollé depuis 2021. Cet institut de recherches agricoles dispose de champs écoles sur lesquels les paysans travaillent pour consolider leurs connaissances. Au Burkina Faso, la progression de la dégradation des terres est estimée entre 105 000 à 360 000 hectares par an, selon le ministère de l’Agriculture, des ressources animales et halieutiques. En 2018, l’étude de la situation de référence des terres dégradées a révélé que plus de 60 % du territoire sont dégradés (ou menacés) et doivent faire l’objet de récupération.
Pour maintenir l’agriculture en vie dans la région de Arbollé, Mahamadi et ses pairs agriculteurs ont été formés à la technique des demi- lunes par les organisations gouvernementales et les ONG. Ils reçoivent également un soutien financier et matériel nécessaire à la construction des demi-lunes. Telle une chaîne, les bénéficiaires partagent à leur tour leurs connaissances et expériences pour encourager d’autres membres de la communauté à adopter cette pratique qui vise à redonner vie aux terres et à améliorer les moyens de subsistance de ceux qui en dépendent.
L’art de capter la pluie
La demi-lune est une technique agricole développée dans les zones où les ressources en eau sont limitées pour lutter contre l’érosion et la dégradation des sols. Elle consiste à créer de petits étangs semi-circulaires pour retenir une importante quantité d’eau de pluie et permettre une meilleure infiltration dans le sol. Lors d’un entretien, le Dr Hamado Sawadogo, chercheur à l’Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles (l’INERA) a indiqué que cette pratique permet de recharger les nappes phréatiques et de fournir une source d’humidité aux plantes pendant les périodes sèches.
Pour réaliser les demi-lunes, il faut déterminer le sens de la pente et matérialiser les courbes de niveau à l’aide d’un triangle à pente. Ensuite, aménager une diguette de protection en amont du champ pour protéger les demi-lunes de la force érosive des eaux de ruissellement. Les demi-lunes se creusent en temps chaud (entre le mois d’avril, mai et juin), au moment où le sol est encore stable.
Il souligne, par ailleurs, que “l’espacement entre les demi-lunes sur la ligne est d’un mètre. Celle d’une ligne de demi-lunes à l’autre est de 2 m et le nombre de demi-lunes à l’hectare varie entre 400 et 1250“. Lorsque les fossés sont creusés les uns à côté des autres, sur une terre dégradée, la pluie les remplit pour conserver les nutriments du sol. Ce procédé, soutient-t-il, doit être respecté pour avoir de meilleurs rendements des cultures et des pâturages. Et cela nécessite une formation.
Récolte améliorée
Avec une population estimée à plus de 1000 habitants combinée à l’arrivée massive des personnes déplacées internes fuyant les zones d’insécurité, Sibalo est menacé par l’insécurité alimentaire. Le village reçoit de moins en moins de pluie et la sécheresse s’accentue avec le changement climatique. La solution pour permettre aux terres dégradées d’être remises en cultivation, c’est de tirer parti au maximum des rares épisodes de pluie et c’est ce que fait depuis neuf (9) ans, Robert Ouédraogo, un autre agriculteur de Arbollé.
Le père de vingt-deux (22) enfants, a réalisé une étude préalable du terrain avant de créer les demi-lunes dans son champ de sept (7) hectares, sur lequel il cultive du sorgho, du mil, du maïs, de niébé. En moins de 4 mois de saison pluvieuse, le quinquagénaire a doublé sa récolte de maïs . “Sur un hectare de demi-lune, je peux avoir 12 à 13 sacs de 100 kilos de maïs contrairement à la méthode de labour. Parce que dans un champ de labour, si ce n’est pas dans un bas fond, c’est juste 8 à 9 sacs et lorsque je mets le compost”, témoigne -t-il en creusant son demi-cercle.
Le Rapport d’Évaluation des besoins technologiques pour l’adaptation dans les secteurs de l’agriculture et de la foresterie au Burkina Faso rédigé en mars 2017 par Fidèle Hien, PhD Consultant, révèle qu’ au Burkina Faso, la combinaison demi-lune et fumier donne une production variant entre 1,2 à 1,6 t/ ha de grains. Les rendements de la demi-lune seule sont multipliés par 15 lorsqu’il y a un apport de compost.
Rasmané Ouédraogo, paysan de Badoulou, un village à 10 km de Arbollé confirme que cette technique les aide énormément, en ces termes : “c’est au niveau de la semence du petit mil que j’ai su que c’est bénéfique car avec la technique l’eau s’infiltre bien et ne s’évapore pas“.
Salifou Kombelm, déplacé interne, a lui aussi appris la technique des demi-lunes à Arbolé . “Nous gagnons plus actuellement. Auparavant, quand le champ était caillouteux, on avait qu’un sac.Maintenant, on peut obtenir trois sacs, on ne peut qu’apprécier ce qu’on gagne. Seulement nous avons besoin d’apprendre plus et nous demandons de l’aide à ce sujet“, explique-t-il.
Mousso Belem, un autre PDI (Personne Déplacée Interne) du village de Ouala dans le Nord du pays soutient que ses rendement agricoles se sont améliorés depuis qu’il a commencé à pratiquer les demi-lunes. “Lorsque je faisais les semis simples, mon rendement était à 2 charrettes, soit 4 sacs de 100kg. Quand j’ai débuté les demi-lunes, j’ obtiens souvent 3 ou 4 charrettes soit 06 à 8 sacs de 100kg)“.
Terres arides réhabilitées
L’approche des demi-lunes n’est pas bénéfique que pour les agriculteurs. L’environnement aussi en profite . Selon les résultats des Études sahel conduites dans 4 pays (Burkina Faso, Niger, Mali et Sénégal), l’aménagement de terres dégradées à l’aide de demi-lunes engendrent des gains moyens de rendements de +112% en grain et +49% en paille, par rapport aux champs non aménagés.
Selon le ministère de l’Agriculture, des ressources animales et halieutiques, plusieurs études de recherches et expérimentations conduites sur cette technique permettent aujourd’hui d’affirmer sans doute que la demi-lune réalisée selon les prescriptions permet une amélioration significative des rendements des cultures et donc de la production.
Aussi, le departement ministeriel soutient que l’apport de compost dans la pratique de la demi-lune favorise une amélioration de la fertilité organique et une production saine sans fertilisants chimiques et traitement phytosanitaire.
Investissements conséquents
Bien qu’il existe de nombreuses réussites à raconter, les paysans se heurtent à certains obstacles. La construction et l’entretien des demi-lunes nécessitent une main-d’œuvre importante,du temps et des efforts considérables. Selon Robert P. Ouédraogo, le président de la Coopérative des agriculteurs de Banounou et de Saaba, villages situés à Arbollé, la main-d’œuvre journalière est payée à environ 200 et 250 fcfa par personne et par demi-lune.
Un autre facteur évoqué est la disponibilité en quantité importante de fertilisants. Contrairement à la technique du Zaï (une technique de culture pratiquée aussi dans les zones du Sahel) où il utilise trois charrettes de selles de bœuf pour son champ d’un hectare, avec les demi-lunes, cette quantité ne suffit pas pour la même superficie. Par ailleurs, les demi-lunes agricoles demandent un travail d’entretien annuel. “Si elles sont trop profondes, l’eau collectée reste longtemps dans le creux et les plantes risquent d’être asphyxiées“, a-t-il ajouté.
Selon le Dr Sawadogo, bien que la technique des demi-lunes présente plusieurs avantages, elle peut également être soumise à certaines contraintes. Le chercheur indique que la réalisation des demi-lunes nécessite des ressources financières, car le producteur a besoin, en plus de la fumure, des petites quantités d’engrais à appliquer dans les espaces creusés pour favoriser le développement des plants. Il affirme également que la pratique des demi-lunes nécessite un certain entretien pour assurer leur efficacité à long terme. Cela peut inclure le désherbage, le nivellement périodique pour éviter l’accumulation de sédiments et la réparation des dommages éventuels causés par l’érosion ou d’autres facteurs.
L’expert agronome Yacouba Ouédraogo, pour sa part, évoque la réduction des vivres lors du démarrage des travaux qui ont fréquemment lieu à l’approche de la saison hivernale, juste avant la période de soudure. “Pourtant, les ménages doivent avoir assez d’énergie pour mener à bien ces travaux“, rappelle-t-il. Plus loin, il relève les coûts élevés de la main-d’œuvre (environ 75 000 à 120 000 FCFA/Ha), du matériel de traçage et creusage des demi-cercles (pelles, pioches, compas, niveau, cordes et rayonneurs).
L’expert a par ailleurs relevé la nécessité de la formation technique pratique pour définir les courbes de niveaux à l’aide du compas et d’un niveau puis tracer les demi-cercles et creuser perpendiculairement à la pente sont autres difficultés.
Face à tous ces défis, Yacouba Ouédraogo recommande plusieurs actions dans le cadre de la réalisation des demi-lunes. Il s’agit notamment de la mécanisation des demi-lunes, le renforcement des capacités des producteurs sur la technique de réalisation et de production de la fumure organique et l’octroi de matériels aux agriculteurs vulnérables.
Solutions d’ailleurs
La dégradation des sols est l’un des problèmes environnementaux les plus urgents au monde. Elle se produit déjà à un rythme alarmant. À l’échelle mondiale, environ 25 % de la superficie totale des terres ont été dégradés. En réponse au problème, plusieurs États se sont engagés dans la quête pour augmenter la disponibilité et le rendement des terres dans leur agriculture. En Côte d’Ivoire, pour lutter contre la déforestation et la dégradation des sols, les agriculteurs ivoiriens ont décidé de promouvoir les cultures agroforestières.
Cette technique consiste à introduire des arbres dans les champs pour sauvegarder les espèces menacées. L’opération d’initiation à l’agroforesterie a démarré en 2020 par la distribution de plants aux agriculteurs, pour la plupart, guidés par les coopératives et l’Anader. Dans le département de Guiglo, à l’ouest du pays, les résultats de l’agroforesterie sont déjà visibles. Les agriculteurs ont constaté l’évolution des plants d’arbres et certains ont commencé à moissonner le cacao avant la période dé récolte.
D’ici à 2025-2026-2027, ils peuvent revenir à de meilleurs rendements comme dans les années 90, estiment-ils. Au cours de ses recherches dans cette zone forestière, le professeur Kouamé N’guessan François, chercheur en biologie végétale, a découvert une diversité des plantes qui ont contribué à la reforestation naturelle des terres.
Un peu plus loin, à plus de 200 km de Dakar, au sud de la petite côte au Sénégal, les paysans et les agriculteurs ont adopté le “chaulage” des terres, une autre technique pour combattre la dégradation des sols. Avec l’appui d’une organisation non gouvernementale, 26 associations de producteurs utilisent le “Terracalco”, un produit à base de calcaire pour augmenter la fertilité des sols. Comme résultat, les productions ont triplé comparativement aux productions précédentes.
Enquête réalisée par Wamini Micheline OUEDRAOGO avec le soutien de la CENOZO dans le cadre du projet “Renforcer le journalisme de solutions sur la santé et le développement durable”