Covid-19 : achat de respirateurs au Togo, au cœur d’un mystère
Combien de respirateurs le gouvernement togolais a-t-il effectivement acheté pour faire face à la Covid-19 ? Quelles ont été les conditions et procédures d’acquisition ? A ce jour, les autorités restent silencieuses.
C’était le 02 avril 2020 que le ministre du Commerce, Kodjo Adedze, a annoncé sur les médias la commande « d’au moins 250 respirateurs » pour soigner les patients atteints de la forme grave du virus. Selon republicoftogo.com, un portail officiel du gouvernement, le 10 avril, 144 respirateurs artificiels ont été réceptionnés, à l’aéroport international de Lomé, par les autorités togolaises ; un lot qui s’ajoutait au 7 premiers en cours d’installation au Centre hospitalier régional (Chr) Lomé-Commune, a indiqué Prof Séraphin Komi Adjoh, membre du Conseil scientifique créé dans le cadre de la riposte à la covid-19 au Togo.
« C’est une commande globale de 4,9 milliards de F Cfa pris en charge sur le budget de l’Etat et le Fonds national de solidarité et de relance économique », a confié à la presse le ministre Sani Yaya de l’Economie et des Finances. Mais le quotidien Liberté, dans sa parution n°3131 du lundi 20 avril 2020, note « des senteurs de scandale ».
Selon ce confrère, le marché de la commande des respirateurs est attribué à des personnalités proches du pouvoir. Les respirateurs livrés par l’attributaire sont de qualités douteuses, précise ce confrère. « Pour camoufler ce scandale une autre commande aurait été passée et dont la qualité est acceptable », informe-t-il. L’affaire a fait grand bruit et alimenté la toile.
Mais aucune réaction officielle de la part des autorités togolaises sur ce soupçon autour de l’achat de ces respirateurs : « cela ne fait qu’augmenter les rumeurs selon lesquelles il y aurait beaucoup de commandes inappropriées qui seraient confiées à des non professionnels (encore du copinage) », a confié à De Cive, le 1er mars 2021, Prof David Dosseh, médecin, syndicaliste et Coordonnateur des Universités sociales du Togo (UST), un collectif de plusieurs organisations de la société civile.
Des sources ont pointé du doigt Mme Amivi Jacqueline Aka propriétaire de la Std Sarl (Société technologie de distribution) qu’elles présentent comme l’une des dames de la galaxie du pouvoir qui a décroché ce marché de gré-à-gré. Contactée, dans le cadre de cette enquête, la Std, dans un Mail du 23 mars 2021 dit n’être « ni de près ni de loin concernée par cette affaire » de marché de commande de respirateurs. Une position réaffirmée par d’autres responsables de ladite société.
Selon un document fuité du sérail des autorités togolaises en charge de la Santé, le Togo a commandé 6 respirateurs de réanimation de marque BALTUR, Type BTL6 en provenance d’Italie et 7 de marque ZONGXUN MEDICAL de Type ZXH-550 d’origine chinoise. Des marques qui ne figurent pas parmi les « Meilleurs ventilateurs pour 2020 » (Lire l’encadré). La question reste de savoir si ce sont ces respirateurs qui auraient coûté à l’Etat togolais les 4,9 milliards F CFA qu’évoquait le ministre Sani Yaya de l’Economie et des Finances.
Les prix affichés sur le portail du Chinois Alibaba, indiquent que certains respirateurs se vendaient jusqu’à « 1.500 dollars (1.370 euros) à peine alors que pour d’autres, les prix s’envolent à plus de 15.000 dollars (14.000 euros) », selon un article de Bfmtv publié le 31 mars 2020 sur son site. « Même constat sur le site “Made in China”, où il faut débourser entre 3.000 et 18.000 euros pour s’offrir un respirateur », a-t-il ajouté. Bfm informe que les respirateurs du fabricant allemand, Dräger sont vendus environ 25.000 euros. Les respirateurs Dräger sont classés en 2020 parmi les TOP-5 des meilleurs ventilateurs stationnaires.
Contactés à plusieurs reprises au sujet de ces marques BALTUR, Type BTL6 et ZONGXUN MEDICAL de Type ZXH-550, le ministère de la Santé et la Cngr-C19 (Coordination Nationale de Gestion de la Riposte à la Covid-19) sont restés silencieux.
Omerta
Avant son 1er cas de coronavirus détecté en mars 2020, les respirateurs étaient en nombre insuffisant au Togo. Un rapport préliminaire d’avril 2020 des Universités sociales du Togo (UST), un collectif d’organisations de la société civile, sur la gestion de la pandémie de Covid-19 indique qu’avant la crise, « le nombre de respirateurs ne devrait pas dépasser la quinzaine ». Selon le confrère Jeune Afrique, dans sa livraison du 8 avril 2020, il n’y en avait que 4 pour tout le pays.
Face à l’urgence de la riposte à cette pandémie, le gouvernement togolais a procédé par une mesure dérogatoire dans les commandes et achats des matériels. En cas d’urgence, le Code togolais des marchés publics autorise à procéder par entente directe, c’est-à-dire de gré à gré. Cependant, cette procédure n’exclut pas une « autorisation préalable de la Direction nationale de contrôle des marchés publics », selon l’article 35 du code togolais des marchés publics qui prescrit que « la demande d’autorisation de recours à cette procédure doit décrire les motifs la justifiant ».
Selon l’article 36 du Code togolais des marchés publics, l’autorisation est faite « sur la base d’un rapport spécial validé par la commission de contrôle de l’autorité contractante, au terme d’une séance d’analyse des motifs justifiant du recours à la procédure de gré-à-gré, en présence d’un observateur indépendant, qui aura établi un rapport de mission séparé, transmis à l’autorité de régulation des marchés publics ».
Dans le cadre de cette procédure d’entente directe, l’autorité contractante, selon ce Code, doit consulter au moins trois (03) sociétés. L’Armp (l’Autorité de régulation des marchés publics) a confié au téléphone que la commande des respirateurs ne relève pas de ses prérogatives. Elle ne peut intervenir que lorsqu’elle est saisie d’un contentieux dans la procédure de passation de marché.
Sollicités à plusieurs reprises, le ministère en charge du Commerce et celui de l’Economie et des Finances, la Cngr-C19 et la Direction du site Chr Lomé-commune n’ont jamais répondu aux demandes d’interview à eux adressées par De Cive.
Le montant des marchés passés gré à gré, selon ce Code, ne doit pas franchir le seuil de 10% du coût total du marché passé. Au cas contraire, il revient à l’Autorité de régulation de valider lorsque la demande est faite.
Contactée au sujet des conditions de commande des respirateurs, la DNCMP (Direction nationale de contrôle des marchés publics) a répondu que c’est le ministère en charge de la Santé – ministère de tutelle de la gestion de cette pandémie –qui est en possession de tous les « documents et informations ».
En réponse à un courrier en date du 15 février 2021, le ministre Mustafa Mijiyawa de la Santé, à son tour, a indiqué que ce sont les « organes spécifiques tels que la Coordination Nationale de Gestion de la Riposte (Cngr) » qui sont habilités à répondre. Mais sollicitée à plusieurs reprises, la CNGR n’a toujours pas répondu aux multiples demandes d’interview qui lui sont adressées.
Placée sous l’autorité du chef de l’Etat, la Cngr-C19 a, à sa tête, le Colonel-Professeur Djibril Mohaman Awalou. Cet organe est l’échelon intermédiaire entre le Comité de crise, présidé par le Président de la République, et les différents ministères engagés dans la riposte.
Plus de dons que d’achat
Le Togo a bénéficié des dons en équipements de réanimation dont les respirateurs artificiels. Le plus récent est celui du Royaume d ’Arabie Saoudite. Son ambassadeur Meshal Hamdan Al-Rogi a offert, le 17 juillet 2021, 23 respirateurs au Togo.
Le ministre allemand, Dr Gerd Müller, de la coopération économique et du développement, en visite à Lomé le dimanche 13 juin 2021 a fait don de 30 respirateurs ATEMGERÄT et 5000 oxymètres au gouvernement.
Le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) a également offert deux (02) respirateurs de réanimations de marque AEROMED, de Type VG70, d’origine chinoise au Togo. A ce don s’ajoute celui de la Chine qui a remis au gouvernement 05 respirateurs de réanimation de la même marque. Alors que le Chinois Jack Ma et sa Fondation Alibaba annonçaient, en faveur de 54 pays d’Afrique dont le Togo, un don de 500 respirateurs.
Selon des sources proches des opérateurs économiques, des entreprises auraient fait des dons de respirateurs au gouvernement. Approché, Jonas Aklesso Daou, président de l’AGET (Association des Grandes Entreprises du Togo), qui se gardait de tout commentaire, n’a ni confirmé ni infirmé cette information.
Le Togo fait également parti des pays bénéficiaires du programme « Opération respirateurs pour l’Afrique » initié par le Lions Club International District 103 dans le cadre de la lutte contre cette pandémie. Selon son « Compte rendu des Actions menées pour la recherche d’un Respirateur artificiel pour l’Afrique de l’Ouest », en juillet 2020, cette organisation a fait don d’un respirateur artificiel de MakAir (conçu par le collectif « Makers for life » de Nantes) à la « Cellule de crise Covid-19 à Lomé sous couvert des sapeurs-pompiers ».
Opacité
Pour les militants de la société civile, les gouvernants doivent être transparents et communiquer clairement sur la planification en matière d’acquisition de matériels de soins. Une question, « pourquoi autant d’opacité dans les commandes d’équipements comme les respirateurs? », s’interroge Prof David Dosseh, « Il faut plus de transparence dans la gestion de la pandémie. Le pouvoir doit sur le dossier de la pandémie s’ouvrir et être davantage dans la transparence. Les commandes, les coûts, les équipements, tout doit se faire dans la transparence ».
Selon le document de travail de Cabri (une Initiative africaine concertée sur la réforme budgétaire) sur le Financement, approvisionnement et distribution de vaccins contre la Covid-19 dans les ministères africains des Finances et de la Santé, « la transparence des prix est également fondamentale car elle permet aux citoyens de demander des comptes à leurs gouvernements…et de vérifier si les ressources ont bien été optimisées ».
Une enquête d’Afrobaromètre sur le Togo publiée en mai 2021 estime que le niveau de la corruption a augmenté au « cours des 12 derniers mois » depuis le début de cette crise sanitaire en 2020. « En effet, la riposte contre la pandémie a débouché sur des scandales de corruption liés à l’achat de respirateurs artificiels dont la qualité est douteuse », y lit-on. L’indice de perception de la corruption (IPC) 2020 publié par l’Ong Tranparency international compte ce pays dans la tranche des pays fortement corrompus dans la riposte contre le Covid-19 ; avec un score de 29, ce pays occupe la 134ème place sur 180 pays.
Alors que les citoyens attendaient que les gouvernants leur rendent compte de l’utilisation des fonds publics, c’est plutôt l’omerta. Lors d’un atelier organisé en mai 2021, la Cour des Comptes recommandait aux gouvernants l’application intégrale de la loi n° 2014 – 009 portant Code de transparence dans la gestion des finances publiques. « Les citoyens, en leur qualité de contribuables et d’usagers des services publics, sont clairement, régulièrement et complètement informés de tout ce qui concerne la gouvernance et la gestion des fonds publics », selon l’article 2 de cette loi.
Passée devant l’Assemblée nationale, le 14 septembre 2021, pour obtenir la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, la Première ministre togolaise Victoire Tomegah-Dogbe a indiqué que les achats des respirateurs et d’autres équipements sanitaires sont effectués sur les 400 milliards F Cfa du Fonds de Solidarité Nationale mise en place par l’Etat dans le cadre de la riposte contre la pandémie.
« A l’occasion, le ministre des Finances pourra vous faire le point détaillé ; l’achat des masques, des respirateurs, le renforcement du plateau technique, tout ce qui est fait est financé sur ce fonds de 400 milliards », a-t-elle déclaré devant les députés. Mais lorsque que nous avons écrit au ministre Sani Yaya de l’Economie et des Finances pour en savoir sur l’achat des respirateurs, aucune suite ne nous a été donnée. Selon la Cheffe du gouvernement « un audit qui est en cours » déterminera comment ces fonds ont été utilisés ; et « à l’occasion, les résultats pourront être communiqués ».
Un Rapport d’observations définitives sur le contrôle de l’exécution de la loi de finances, Gestion 2020 de la Cour des Comptes du Togo rendu public en octobre 2021 évalue à 107,0 milliards FCFA « les dépenses totales effectuées dans le cadre de cette lutte, dont 22,3 milliards pour les dépenses liées aux mesures de riposte sanitaire ».
Plus de deux (02) mois après le passage de la cheffe du gouvernement, Victoire Tomegah-Dogbe à l’Assemblée nationale, la réédition des comptes promise est toujours attendue.
Une enquête réalisée par Pierre-Claver KUVO, avec le soutien de la CENOZO (Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest)
Meilleurs ventilateurs pour 2020
Mindray SV300 Marque – Mindray (Chine). Philips Respironics V680 Marque – Philips (Pays-Bas). Puritan Bennett 840 Marque – Medtronic (Irlande). GraphNet Marque – Neumovent (Argentine). Drager Evita XL Marque – Dräger (Allemagne).
ReSmart BPAP GII T-30T Marque – BMC (Chine). Prisma25ST Marque – Weinmann (Allemagne). Puritan Bennett 560 Marque – Medtronic (Irlande). VENTIlogic Plus Marque – Weinmann (Allemagne). BiPAP S / T System One Marque – Philips (Pays-Bas). Source : https://mytop-fr.designuspro.com/rejting-luchshih-apparatov-ivl/ |