Mali – Impact de la Covid-19 sur le fonctionnement de la justice : Audiences suspendues, détenus désemparés, surveillants serviles
Le Mali, à l’instar d’autres pays en proie à la maladie à Coronavirus, a pris des mesures de prévention, allant des mesures sanitaires au couvre-feu, qui sont venus s’ajouter à la disposition sécuritaire de l’état d’urgence. Mais de toutes les mesures de riposte à la Covid-19, c’est la suspension des audiences publiques des juridictions, qui a le plus affecté directement l’appareil judiciaire malgré les efforts d’adaptation des chefs de juridiction et de l’administration pénitentiaire. Quel est l’état des lieux des juridictions pendant la période de suspension des audiences publiques ? Comment cette période de rupture est ressentie dans les maisons d’arrêt par les détenus et les surveillants ?
Cette enquête, menée dans les méandres des administrations judiciaires et pénitentiaires et de l’éducation surveillée, ainsi que dans les lieux de détention, en dira davantage notamment sur les insuffisances et les tentatives d’adaptation du fonctionnement de l’appareil judiciaire pendant la pandémie, les impacts sur les conditions de détention et de vie des détenus. Ce n’est pas une situation mettant en présence d’un côté, des victimes (justiciables) et les défenseurs des droits humains qui crient à la violation des droits de l’homme, et de l’autre, des acteurs de la justice (administrations judiciaire, pénitentiaire, chefs juridictions) expliquant qu’ils ne sont pas fautifs.
Dans ce cadre, nous voici dans l’univers carcéral, quelque part à Bamako, introduit en visiteur ordinaire, dans les mêmes conditions que tout autre visiteur. Appelé dans sa cellule par un de ces détenus relativement libres à l’intérieur de la Maison, S.B. vient prendre place en face de nous et s’engage notre entretien, certes rapide, le temps des visites étant limité, mais à bâton rompu.
S.B. est un prévenu qui n’a jamais rencontré son avocat et qui n’a jamais été interrogé lors de deux passages devant le tribunal de la Commune IV, depuis son arrestation début juillet 2020, dans une affaire de vol qu’il ne reconnait pas. Le report des audiences qui prévoyaient son jugement l’a plongé dans la déprime. Comment l’avocat qu’il n’a jamais vu peut-il être sensible à ses préoccupations et demander la liberté provisoire ? S.B. met sa situation au compte de son patron, la société de gardiennage qui l’emploie, mais qui n’est jamais passée lui rendre visite depuis son arrestation, et ne lui a apporté aucune aide quelconque. Son employeur dit lui avoir constitué un avocat, mais qu’il n’a jamais rencontré pour parler, comme si on peut défendre quelqu’un sans rien lui demander pour mieux comprendre le dossier. C’est dire que c’est la version de son patron qui fait foi, et lui n’a aucune connaissance de celle-ci, parce que n’ayant jamais échangé avec lui depuis son arrestation.
Pourquoi, est-ce à cause de la pandémie ? C’est une instrumentalisation de la pandémie Covid-19. « Moi S.B., je ne sais pas dans quoi je suis tombé. Mes parents ne sont pas à Bamako. C’est un surveillant de prison qui me donne souvent à manger. Mais j’avais espoir car le jour de mon jugement pointait encore. La première audience n’a rien donné, car à la barre aucune question ne m’a été posée, aussitôt ouverte, l’affaire a été renvoyée. J’attendais alors de tous mes vœux cette audience au début du mois de janvier 2021. Je pensais trouver enfin l’opportunité de dire au juge ce que j’ai minutieusement gravé dans ma tête, faute d’avoir été à l’école et de pouvoir écrire. Je pensais pouvoir dire enfin au juge que je fais l’objet d’une détention injuste, car je n’ai rien volé et la propriétaire de la maison que je gardais a dit à mon père que franchement elle ne peut pas affirmer que j’ai volé, mais que c’est une poursuite qui dépend de la justice. Elle dit que ses objets de valeur ont disparu, et c’est à la justice saisie par le commissariat de police, de faire la lumière. Je pensais pouvoir expliquer au juge, mon innocence, et que je suis détenu comme ça, depuis début juillet 2020. Pendant ce temps, beaucoup de détenus ont bénéficié de « liberté provisoire », mais sans avocat, comment pouvais-je prétendre à une libération ? La reprise des audiences publiques n’a guère réservé un meilleur sort, car lors de l’audience de février 2021 où je devais être jugé, transporté de la maison centrale d’arrêt (MCA) de Bamako, je me retrouvais seul devant le juge, sans la partie civile (le plaignant) ni son avocat, encore moins un mien ».
A l’instar de S.B. de nombreux détenus sur le territoire national ruminent et pleurent en silence leur peine, faute de pouvoir l’exprimer au juge. Avec la suspension des audiences, la MCA, qui était déjà en surnombre a été bondée de pensionnaires. Des nouveaux pensionnaires arrivaient sans des sorties proportionnelles, jusqu’au moment où le parquet a été amené à privilégier l’étude des dossiers de demande de mise en « liberté provisoire ».
La maison centrale d’arrêt de Bamako a été construite pour recevoir 500 personnes, mais on est à plus de 2000, avant même l’avènement de la pandémie à Coronavirus. « La pandémie a trouvé que nous avons un effectif pléthorique, une surpopulation carcérale bien en place au Mali. Elle a trouvé qu’on était vraiment dépassé par l’effectif », témoigne Daouda Konaté, secrétaire général de la section syndicale des surveillants de prison, affiliée à la Centrale démocratique des travailleurs du Mali (CDTM). « On ne parle plus de la surpopulation carcérale », rectifie-t-il. Faut-il donc se garder de la qualifier ?
La situation s’est corsée dans les prisons. C’est le temps de la déception et des dépressions, les détenus sont sur les nerfs, désemparés. Les surveillants de prison, qui ont la charge de veiller sur la sécurité en ces lieux, prennent la mesure et la proportion de la montée de l’adrénaline. Certains détenus déprimés pouvaient paraitre difficiles à canaliser, d’autres au quartier des grands bandits, tantôt calmes, tantôt hurlant comme un taureau, tapant sur les portes de cellules, jusqu’à l’arrivée d’un surveillant, ces gardes qui comprennent les bandits dangereux. Souvent des mots suffisent pour les calmer, mais parfois, le surveillant arrive et brandit la menace des conditions de détentions plus drastiques, si le gars en colère refuse d’obtempérer. Si dans certains cas, on peut obtenir un calme précaire, dans d’autres, non. Selon certains détenus, « pandémie Covid-19 ou pas, suspension des audiences publiques ou pas, ce climat de défiance de certains détenus est le propre de la prison ».
« Il y aura toujours des récalcitrants »
« En notre sein aussi, nous avons procédé à une campagne d’information et de sensibilisation des détenus, pour une meilleure compréhension de la suspension des audiences publiques de juridictions, dire que c’est le respect d’une mesure universelle de prévention de la Covid-19. Et les détenus ont compris », explique le syndicaliste Konaté. « En réalité la majorité a compris. De toutes les façons, il y aura toujours des récalcitrants qui ne vont pas chercher à comprendre. A l’intérieur de la prison, on a procédé à la distribution des masques, beaucoup de détenus ont compris le pourquoi de la suspension des audiences et la dangerosité de la maladie », relate-t-il. La mesure de suspension « n’a pas été un grand problème », tente-t-il de convaincre. Mais, reconnait le syndicaliste, il fallait éviter « le dépassement du délai de détention, qui entraine la détention arbitraire. Les audiences publiques ne se tenaient pas mais les ordres de mise en liberté nous parvenaient »
Le Directeur national de l’Administration pénitentiaire Ibrahima Tounkara, rencontré dans ses bureaux, reconnait « le droit des détenus à un procès équitable et dans un délai raisonnable », mais il déplore qu’avec la suspension des audiences publiques des juridictions, « l’Etat n’a pas pu respecter ce délai raisonnable », ajoute-t-il. Selon le magistrat Tounkara, le détenu n’aspire qu’à la liberté et c’est de bonne guerre. S’il apprend que les audiences sont suspendues suite à cette pandémie, il ne peut qu’être triste. « Ils ont les mêmes droits que les personnes en liberté, excepté le droit d’aller et de venir. Nous sommes en train de tout mettre en œuvre pour que ce droit puisse être respecté et sauvegardé. C’est des êtres humains comme nous, ils ont droit aux droits de l’homme. Il ne faut pas que ces droits de l’homme s’arrêtent aux portes de nos maisons d’arrêt. Nous avons pour ambition de faire de la réalité, l’existence de ces droits de l’homme au sein de nos maisons d’arrêt », projette le DNAPES.
Prévenir la Covid-19
Le DNAPES plaide pour une meilleure compréhension par les détenus, des mesures gouvernementales. « Il faut qu’ils comprennent que c’est pour leur propre bien que le ministre de la justice a été amené à prendre cette décision, parce que nous savons que le rassemblement d’un grand nombre de personnes est propice à la propagation de cette maladie. Or, nous savons que les audiences publiques drainent toujours un monde important. Donc il fallait surseoir à tout ça pendant un certain temps », explique le fonctionnaire.
Pour lui, la décision du ministre de la justice de suspendre les audiences publiques, relève d’un cas de force majeure. « Nous avons apprécié et accepté cette suspension des audiences. Mais la conséquence majeure sur nous, c’est que les dossiers ne sortaient plus, les détenus ne sortaient plus pour être écoutés pour participer aux audiences qui étaient suspendues. La conséquence, c’est aussi qu’il n’y a pas eu de liberté, et cela contribue à sur peupler nos maisons d’arrêt », déclare le Directeur, reconnaissant que ladite mesure était nécessaire. Selon lui, « des audiences extraordinaires » réalisées après la levée de la suspension, ont permis de « rattraper le temps perdu ». Mais il rompt le silence quant à l’impact de la suspension des audiences sur les maisons d’arrêt et sur les droits de l’homme des personnes détenues. Parce qu’elle a contribué à en rajouter à la surpopulation carcérale, « or la surpopulation carcérale dégrade toutes les conditions de détention, il y a la santé qui se dégrade, il y a l’alimentation, parce que notre prévision va être faussée forcement ».
Le Mali compte environ 7 000 détenus sur l’ensemble du territoire. La Maison centrale d’arrêt de Bamako est à 2 600 détenus à ce jour. Cette situation a conduit à l’ouverture par anticipation de la nouvelle maison d’arrêt de Bamako à Kénioroba, avec environ 600 détenus. Elle a une capacité d’accueil de 2 500 détenus. Kenioroba va coûter environ 11 milliards de fcfa, entièrement financé sur le budget national.
Mesures de désengorgement
« Courant 2020, nous avons transféré quelques 600 détenus, de Bamako vers d’autres centres. C’est pour dire que vraiment nous sommes préoccupés par cette surpopulation et nous essayons de trouver toujours une solution. La grâce présidentielle est aussi une solution qui permet de désengorger, vous savez qu’avec la pandémie de la Covid-19, pour avoir de l’espace, nous avons été obligés d’initier des grâces présidentielles », explique le DNAPES. Ainsi, à cause de la Covid-19, le président de la République de l’époque, Ibrahim Boubacar Ibrahim Kéita, a pris quatre décrets de grâce pour 1200 détenus environ, qui ont bénéficié de cette grâce.
« C’est vrai que les gens ne comprennent pas très souvent, mais il faut reconnaitre qu’avec cette pandémie, il ne fallait pas trop réfléchir, il fallait prendre toutes les solutions nécessaires pour le bonheur des détenus. Je voulais sauver une vie plutôt que libérer par plaisir. Je crois que le Mali n’a pas fait exception, partout à travers le monde, on a assisté à des opérations de grâces », commente Ibrahima Tounkara.
En outre avec le président de la transition, Bah NDAW, il y a eu également une grâce, qui a concerné 93 détenus. Le nombre total des détenus libérés, est de 1293 personnes. Selon le magistrat, la grâce c’est un droit constitutionnel, une clémence qui concerne uniquement les détenus condamnés, dont le jugement est définitif, et qui n’ont plus de voie de recours. C’est dire que tout le monde ne peut pas être proposé à la grâce.
Suspension des audiences, impact positif ?
Tout en reconnaissant qu’elle a ralenti effectivement le nombre d’affaires à traiter, suivant la procédure ordinaire, du fait que les dates de dossier sur le fond ne sont pas observées pendant cette période, le Substitut du Procureur de la République, près le Tribunal de Grande instance de la Commune III du district de Bamako, Ousmane Fati, trouve du positif dans la mesure de suspension des audiences, et cela au profit des détenus. Selon lui, la suspension des audiences publiques a eu « un impact positif » en créant « une nouvelle situation qui permettait au détenu de venir tout de suite devant le tribunal, en demande de mise en liberté. Ce qui est profitable en termes de la possibilité de saisir le tribunal sur une demande de mise en liberté. Cette mesure est adressée au tribunal et traitée par le tribunal », souligne le procureur Ousmane Fati.
Le changement selon lui, est que les détenus sont amenés à connaitre leur sort dans un délai raisonnable. Sauf qu’il s’agit de la demande de mise en liberté où le détenu reste dans les liens de la justice, et non d’un jugement sur le fond. L’observation d’une certaine célérité en faveur de ceux-là qui sont dans le besoin, est favorable au respect des droits des détenus, soutient Ousmane Fati, mettant ainsi l’accent sur les changements apportés dans le programme de la tenue des audiences, en raison de la suspension.
« Ainsi, nous avons organisé des audiences extraordinaires et renvoyé les dossiers dans lesquels, il n’y a pas de détenu ni d’urgence, afin de travailler sur les dossiers qui demandent certaines célérités ». Comme exemple, il cite « des dossiers où le délai de détention est dépassé. Si cela est signalé par le régisseur de la Maison d’arrêt et tout de suite cette situation est prise en compte et traitée », selon le procureur.
Tribunaux confines, Cour d’assises a l’agonie
En mi-décembre 2020, par décision n°2020-447/MJDH-SG, le département de la justice ordonnait la suspension des audiences publiques des juridictions, jusqu’au 15 janvier 2021. Cette suspension sera prorogée au 27 janvier 2021 par un communiqué du ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Garde des Sceaux, Mohamed Sidda Dicko. Le communiqué ajoute que « le ministre tient à rassurer tous usagers du service public de la justice, que les audiences pour l’examen des causes présentant un caractère d’urgence extrême pourraient se tenir à la diligence des Chefs de juridictions concernées ».
Pendant cette période de décembre 2020 à fin janvier 2021, les audiences publiques des juridictions ont été effectivement suspendues, entrainant un entassement des dossiers sur la table des juridictions, une pression de la surpopulation carcérale avec des effets sur le respect des droits des détenus : le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, les conditions de détention, l’alimentation, la sécurité, l’environnement en milieu carcéral.
Le malaise a été vite compris par les chefs de juridictions, qui ont su prendre à temps, la mesure des risques qui guettaient l’appareil judiciaire dans son fonctionnement. Des mesures exceptionnelles, telles les audiences extraordinaires ont été mises en œuvre pour atténuer la paralysie et s’adapter au nouveau contexte. Mais ces mesures dans bien des cas n’ont certainement pas pu entièrement combler les attentes, même si certaines juridictions comme le tribunal de grande instance de la commune III, a déployé des efforts appréciables pour tenir des audiences extraordinaires et examiné des causes présentant un caractère d’urgence.
« L’impact de la Covid-19 sur le fonctionnement de la justice est réel et patent. Nous avions été obligés de tenir compte des mesures générales, globales prises au niveau national, à travers notre département, qui nous a demandé en son temps, de suspendre les audiences ordinaires, en organisant des audiences extraordinaires et en prenant les procédures les plus urgentes », atteste le Substitut du Procureur de la Commune III du district de Bamako, lors de l’entretien qu’il nous a accordé dans ses bureaux. Ainsi, sa juridiction a été amenée à revoir le programme de la tenue des audiences. Si d’habitude, ce tribunal refusait du monde du matin au soir, il arrive aujourd’hui, qu’il soit presque vide, parce qu’on y évite le rassemblement, on y veille sur le nombre de personnes dans la salle, en limitant l’accès. Cela procède du respect des mesures édictées par le service sanitaire: le port de masque obligatoire, la distanciation aussi.
Cette ère des urgences a incité à la réorganisation du service, pour dégager des priorités. Toutefois, l’Etat dans bien des cas et dans bien des juridictions, n’a pas pu respecter le délai raisonnable dans lequel les détenus ont le droit d’avoir un procès équitable. Une des conséquences directes de la mesure est que « les dossiers ne sortaient plus, les détenus ne sortaient plus pour être écoutés, pour participer aux audiences qui étaient suspendues », nous indique un magistrat. Ainsi, la décision prise par le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux pour suspendre les audiences publiques, dans le but de prévenir la maladie à Coronavirus en évitant les rassemblements, appréciée au sein du monde judiciaire, fait des vagues au sein des justiciables, qui déplorent des effets collatéraux indésirables.
Des voix se sont souvent élevées, au sein de la grande famille judiciaire pour marquer au fer rouge, l’impact de la pandémie sur le fonctionnement de la justice ou de l’administration pénitentiaire. Ainsi « l’administration pénitentiaire face à la pandémie de la Covid-19 » était le thème de la 4ème édition de la Conférence annuelle de l’administration pénitentiaire et de l’éducation surveillée, que l’Hôtel cinquantenaire de Sikasso a abrité, le lundi 23 novembre 2020.
Lors de cette rencontre il a été indiqué que la Pandémie de la Covid-19 a porté un coup sérieux à la mise en œuvre des activités au sein des centres de détention du Mali. « Si, au nom de la Loi, des personnes sont privées de leur liberté par l’Etat et gardées dans des centres créés à cet effet, il est un devoir pour l’Etat d’assurer leur protection dans des situations comme celle liée à la pandémie de la Covid-19 », y a déclaré le représentant du Ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Garde des Sceaux, Bakary Soliba Coulibaly.
Levée de boucliers des avocats et défenseurs des droits de l’homme
L’impact de la pandémie de Covid-19 a été aussi ressentie chez les défenseurs des droits humains qui arpentent les allées des tribunaux notamment les avocats, les activistes des droits de l’homme. Ils ne laissent aucune ambigüité sur les méfaits, les préjudices causés aux justiciables.
« Pendant un long moment les juridictions ont tourné au ralenti. Si une juridiction devait rendre trente ou dix jugements par semaines, cela était ramené à cinq ou trois. Les équipes aussi ont été réduites, ce qui a beaucoup impacté sur les rendements : il n’y avait pas de décision, il y a eu un entassement des dossiers », selon Me Mamadou Camara, Huissier-Commissaire de justice. Le fait que les dossiers soient au ralenti cause des préjudices aux justiciables. Me Camara d’ajouter « comme à l’impossible nul n’est tenu, c’était indépendant de la volonté des acteurs de la justice ».
Ainsi, la pandémie de Covid-19 a négativement impacté les procédures pénales, les jugements sommaires (les référés), ainsi que les jugements sur le fond du dossier, avec des conséquences sur les cabinets d’avocat et le respect des droits de l’homme, indique Me Moctar Mariko, président de l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH). « Les demandes de liberté provisoire étaient jugées, certes, mais ce n’était pas à souhait, parce que le nombre de dossier était limité, pour que la salle ne soit pas remplie et pour éviter les contagions », selon Me Mariko.
« Le principe étant la liberté et l’exception la détention, incontestablement la suspension va jouer sur les droits de l’homme, la Maison centrale d’arrêt (MCA) est vraiment surpeuplée, et toutes ces personnes en détention préventive voudraient accéder à la liberté provisoire, la programmation dans le bureau du juge d’instruction était limitée, les demandes de liberté aussi, les droits de l’homme en ont pâti », selon le président de l’AMDH. Il ajoute cependant, que le « ministère de la Justice a fait de son mieux, a fourni des efforts. Mais pour celui qui est dans le besoin ces efforts sont insuffisants ».
Monsieur Aguibou Bouaré, président de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) ne dit pas moins lorsqu’il affirme : « Face à l’urgence sanitaire et face aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté, il fallait chercher l’équilibre : faire en sorte que les juges d’instruction et le procureur ne continuent pas à ordonner des mandats de dépôt pour des affaires qui ne valent pas d’être privé de liberté et pour des affaires qui peuvent être poursuivies dans une situation de non détention ».
Pour lui, c’est la persistance de la surpopulation carcérale qui a amené la CNDH à solliciter un moment l’Etat par rapport à des mesures de grâce pour désengorger les prisons. C’est pourquoi il recommande de faire le tri par rapport aux affaires urgentes et qui peuvent être examinées à huis-clos, sans réunir de masse et réglementer les audiences publiques en limitant le nombre de personne qui accède à la salle.
La Cour d’assises : 7 mois de confinement
L’impact rampant de la pandémie de la Covid-19 sur la justice malienne, ainsi que des efforts pour éviter une paralysie totale, ont commencé bien avant la décision de suspension des audiences publiques (16 décembre 2020), qui est tombée comme un coup de semonce. Ainsi depuis le premier trimestre de 2020, la justice malienne a été frappée de plein fouet par les affres de la pandémie, entrainant une paralysie de ses activités, tant bien au niveau des tribunaux de grandes instances (premier degré de juridiction) que de la cour d’Appel (deuxième degré) et de la cour d’Assises (affaires criminelles).
Les jugements et les audiences avaient été encadrés de sorte à se conformer aux mesures générales de prévention qui concernaient tout le monde. « Il y a eu une réduction du nombre d’audiences dans les trois premiers mois de la Covid-19. On a conseillé aux gens de prendre certaines dispositions, ce qui a consisté à réduire les audiences. Il s’agissait exactement des trois premiers mois de la pandémie. Après ces trois mois les audiences se sont normalisées », a expliqué Idrissa Arizo Maïga, Procureur général près la Cour d’Appel de Bamako, dans une interview publiée par le quotidien « Le Républicain » le 8 décembre 2020. Cette réduction du nombre d’audiences a concerné les audiences correctionnelles et civiles qui se passent une fois par semaine, au niveau de la Cour d’appel. Les audiences de la Cour d’assises n’ont pas connu un meilleur sort.
Habituellement, la Cour d’assises tient sa première session, le premier trimestre de l’année. Et en général, dans l’année se déroulent trois sessions. Mais cette habitude était sans compter avec la Covid-19. A cet effet, la Cour d’assises ratera sa session du premier trimestre 2020. Le deuxième trimestre n’ayant pas réservé de meilleures conditions, l’hibernation devait se poursuivre jusqu’au mois d’août 2020, soit sept mois sans session. « Août 2020, puisqu’on avait des affaires déjà programmées et non jugées, il a été jugé nécessaire de poursuivre deux mois d’affilée d’audiences pour la Cour d’assises, afin de rattraper le retard. Toutes les audiences, qui étaient en instance pour la Cour d’assises, ont été prises », relate le procureur Maïga.
Mais, les deux mois annoncés, n’ont pas suffi pour rattraper le temps perdu : sept mois de confinement judiciaire de la cour d’assises ! « Après réflexion, nous avons décidé de proroger la session jusqu’au 10 décembre 2020 », indique Idrissa Arizo, soit plus de trois mois d’affilée de Cour d’assises. Une première, selon l’interlocuteur car les Cours d’assises durent généralement un mois et 15 jours. Ladite session a continué pendant trois mois et demi d’affilée, « en prenant en compte tous les dossiers qui sont en instance d’être jugés, surtout les dossiers dans lesquels il y a des détenus. On dit que le temps perdu ne se rattrape jamais, mais nous pensons qu’on a rattrapé et on a même dépassé les prévisions de l’année de 2020. A quelque chose, malheur est bon. Grâce à l’engagement et à la détermination de l’ensemble des acteurs », s’est réjoui le Procureur général.
Cette enquête a été produite par Boukary Daou avec l’appui de la CENOZO dans le cadre du projet « Covid-19 Response in Africa : Together for Reliable Information » financé par la Commission Européenne
Les commentaires sont fermés
-
Paradis fiscaux : Brasserie BB Lomé, derrière le houblon
5 octobre 2021