Publication des données du secteur des pêches au Sénégal : une bataille sans merci

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Des recherches indiquent que les ressources aquatiques des milieux marins du Sénégal, notamment les pélagiques, sont en « pleine exploitation ou surexploitation ». Des professionnels du secteur (chercheurs, acteurs de la société civile, ONG, partenaires techniques et financiers) estiment que cette situation est consécutive à une surcapacité de pêche, à des pratiques de pêches irresponsables, à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) ainsi qu’à d’autres menaces graves. Toutes choses aggravées par un déficit de transparence dans la gouvernance des pêches. La publication des données du secteur des pêches au pays de la Téranga n’est en effet pas la chose la mieux partagée par les dirigeants de ce pays, bien que ce soit une obligation de plusieurs Accords signés par le Sénégal. Enquête sur une bataille sans merci autour de l’accessibilité de données sur le secteur des pêches au Sénégal.

Au cours de ces dernières années, des efforts ont été fournis par le gouvernement sénégalais en matière de gouvernance, mais les informations publiques sur le secteur de la pêche restent encore inaccessibles au public. Les conditions d’accès aux ressources halieutiques (processus d’attribution des  permis et licences de pêche, accords et protocoles d’accès aux ressources, liste des navires autorisés, liste des redevances perçues sur les licences, redevances perçues sur les accords et protocoles de pêche, amendes perçues pour les infractions commises, état des stocks de poissons, question des sociétés mixtes, etc.) sont souvent sources de tensions et de polémiques entre les professionnels de la pêche et l’Administration des pêches.

Pourtant dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, le secteur de la pêche joue un rôle socioéconomique vital, notamment en termes de sécurité alimentaire et nutritionnelle, de création d’emplois et de richesses. Il est parmi les secteurs prioritaires de l’économie nationale. En en 2019, l’État sénégalais a enregistré une production annuelle de 566 693 tonnes, dont 80% proviennent de la pêche artisanale, pour une valeur commerciale de 263 milliards fcfa.

Les exportations des produits halieutiques ont atteint 294 milliards de fcfa en 2019 contre 244,16 milliards en 2018, pour une contribution à hauteur de 3,2% au PIB national et 12% au PIB du secteur primaire. Pour son importance dans la nutrition et la sécurité alimentaire, le sous-secteur a une contribution de 70% aux apports en protéines d’origine animale. Et la consommation moyenne per capita est estimée à 29kg/an par personne.

Surpêche et demandes de nouvelles licences de pêche

L’ancien directeur des pêches maritimes, Mamadou FAYE, déclare : « Aujourd’hui nous constatons la raréfaction des ressources et la destruction des habitats ». Il affirme que ces deux aspects sont indissociables. Puisque destruction des habitats égale à raréfaction des ressources. Il accuse les types d’exploitations artisanale et industrielle qui occasionnent la surexploitation des ressources halieutiques.

Son point de vue est partagé par une transformatrice de poisson à Dakar, Awa DJIGAL. « Nous, femmes transformatrices des produits de la pêche artisanale, n’avons plus de produits à transformer. Notre métier est gravement menacé », se plaint-elle.

Cette situation est due, en grande partie, à l’effet des sociétés mixtes, accuse Mme DJIGAL. « Aujourd’hui, les sociétés mixtes participent à la surexploitation de la ressource. C’est visible. Ça aggrave la rareté de la ressource dans notre pays. Au niveau des sociétés mixtes, on a constaté que tout est exporté. Donc il n’y a pas de valeur ajoutée. On a vu beaucoup d’unités de transformation fermées car elles n’ont plus de produits à transformer », convainc-t-elle.

Mais qu’est-ce qu’une société mixte de pêche ?

Le Consultant et économiste, Alioune Badara SY explique : « La société mixte de pêche est une société basée sur des capitaux étrangers et nationaux. Ces deux parties s’associent pour former une société. Généralement, ces sociétés sont créées à l’occasion de l’acquisition d’un bateau de pêche, parce qu’un bateau de pêche a une nationalité. Et la nationalité sénégalaise pour un bateau de pêche s’acquiert dans des conditions qui ont été définies par le Code de la Marine marchande. Il faut au moins que la société appartienne pour 51% à des ressortissants nationaux ou à des ressortissants appartenant à la zone de la CEDEAO ».

Il ajoute : « De façon théorique, ce sont des Sénégalais qui sont majoritaires dans le capital de ces sociétés. Mais en réalité, ces sociétés sont contrôlées par des étrangers qui utilisent l’artifice du prête-nom pour se constituer en société sénégalaise ». Cette surexploitation de la ressource est une réalité parce que le manque de transparence dans le secteur des pêches l’est également.

L’information, base de transparence

Le Dr Gilbert MAOUNDONODJI, Consultant formateur sur les questions économiques, définit la  transparence comme étant « des mécanismes valables de publication de l’information: à travers la remise des informations directement aux citoyens sans discrimination à partir d’un bureau destiné à cet effet, des cadres de concertations, un forum de site internet de l’autorité compétente, des conférences de presse annoncées à l’avance, du dépôt dans les grandes bibliothèques, des affichages publics, des traductions et diffusion en langues nationales et ou locales ».

Spécifiquement, la transparence dans le secteur des pêches se définit par le fait de faire pleinement connaître, en temps opportun et de façon systématique, l’ensemble des informations du secteur.

Il précise que le niveau de transparence se détermine par la capacité et la disposition du détenteur à donner l’information. Car « l’information est l’oxygène de la démocratie ». Et le manque d’information conduit à la non-participation positive des citoyens à la vie de leur société. « La rétention de l’information fait prospérer l’incompétence, le gaspillage et la corruption », affirme le Consultant. S’agissant de la disponibilité de l’information, le Dr Gilbert indique qu’elle ne doit pas être donnée de façon sporadique. « Elle doit être continue, exhaustive et complète ».

Sur le plan constitutionnel, l’article 8 de la constitution du Sénégal garantit au public « le droit à l’information plurielle ». Mais des professionnels interrogés affirment que ce droit est « bafoué » par les autorités du secteur. Car, plusieurs actes engageant la vie des citoyens sont pris et ne sont pas rendus publics.

Ancien directeur du centre de recherche océanographique de Thiaroye, le Dr Alassane SAMBA déclare : « Aujourd’hui, les défis de transparence au Sénégal restent la communication de tous les actes pris dans le secteur de la pêche. Les différents maillons de la chaîne doivent communiquer sur tout ce qu’ils font. Puisqu’on dit, les ressources naturelles renouvelables appartiennent au peuple. Et ce sont ces ressources qu’on a confié aux autorités. Donc, elles ont le devoir de rendre compte au public sur la façon dont ces ressources sont gérées ».

Le président du forum civil sénégalais, Birahima SECK fait le même constat. D’où l’appel qu’il fait. « Il y a des difficultés d’accès aux données dans le secteur de la pêche au Sénégal. Il y a une réticence de la part des agents de l’État, et une méconnaissance des sources d’information. C’est pourquoi nous plaidons pour qu’il y ait une loi d’accès à l’information ». Pour lui, une loi d’accès à l’information permettra plus de transparence dans le secteur de la pêche au Sénégal.

L’activiste de la société civile fait remarquer que le manque de transparence conduit à la déperdition des ressources halieutiques, au chômage des jeunes, à l’immigration clandestine, à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, à des pertes des recettes et de devises.

S’exprimant le 27 juillet lors d’un webinaire sur la transparence, le président de la Confédération africaine des organisations professionnelles de la pêche artisanale (CAOPA) a affirmé : « La transparence est un pilier fondamental pour la gestion de la ressource halieutique. Sans la transparence, ajoute Gaoussou GUEYE, on n’y parviendra pas. Car les populations ont le droit de savoir, de comprendre et de connaitre ce qui se passe ».

Si les citoyens n’ont pas accès aux informations, cela peut poser des problèmes, prévient le professionnel. Il indique que la publication des listes de bateaux sous licence, et des conditions d’accès (zones de pêche, paiements) est essentielle pour savoir si les bateaux « que nous voyons en mer opèrent de façon légale ».

Le Représentant de Global Fihsing Watch en Afrique de l’Ouest, Dame MBOUP, assure que la transparence est valable aussi bien du côté de l’État que du côté du secteur privé.

Parlant des enjeux de la gestion de ces ressources, Dame Mboup souligne que dans le cadre de l’aménagement des pêches, « si vous ne savez pas qui a pêché, quand il a pêché, combien il a pêché, vous ne pouvez pas évaluer vos stocks ». « Et si vous ne pouvez pas évaluer vos stocks de poissons, vous ne pouvez pas faire d’aménagement de pêche », poursuit-elle.

Pourtant, l’Art. 3 de la Loi n° 2015-18 du 13 juillet 2015 portant Code de la Pêche maritime stipule : « Les ressources halieutiques des eaux sous juridiction sénégalaise constituent un patrimoine national. Le droit de pêche dans les eaux maritimes sous juridiction sénégalaise appartient à l’État qui peut en autoriser l’exercice à une ou à des personnes physiques ou morales de droit sénégalais ou étranger ». Un argument solide pour le ministère en charge des pêches, entre autres articles du Code de la pêche maritime, pour donner des licences de pêche à des navires étrangers.

Pourtant, l’article 4 du même Code précise : « La gestion des ressources halieutiques est une prérogative de l’État qui définit, à cet effet, une politique visant à les protéger, à les conserver et à prévoir leur exploitation durable de manière à préserver l’écosystème marin. L’État met en œuvre une approche de précaution dans la gestion des ressources halieutiques ». Plus loin, l’article 26 du Code de la pêche maritime est explicite : « […]La décision du Ministre tient compte de la disponibilité des ressources halieutiques exploitables et, le cas échéant, des dispositions des plans d’aménagement et des niveaux d’effort de pêche admissibles. » Ce qui signifie que l’octroi des licences de pêche par l’autorité est encadré et dépend de l’état des stocks.

Or, en mars 2020, l’on a enregistré l’arrivée de 50 bateaux étrangers dans les eaux sénégalaises pour demander des licences afin de pêcher les poissons pélagiques. Il n’en fallu pas plus pour pousser les différents acteurs à interpeller les plus hautes autorités par rapport à ce qu’ils qualifient de risque de « disparition des pêcheries artisanales au Sénégal ».

Des acteurs de la pêche sénégalaise, dont des pêcheurs artisanaux, des armateurs industriels et des organisations de la société civile, ont alors protesté contre l’intention du gouvernement de délivrer 52 licences de pêche à des navires d’origine chinoise et 2 à des senneurs turcs.

Alors que le pays est confronté à des restrictions liées à l’épidémie de Covid-19, le ministère des Pêches a consulté, par courrier électronique, la Commission consultative d’attribution de licences de pêche (CCAL), afin de pouvoir attribuer des licences aux navires demandeurs. Il s’agit de la plus grande liste de navires à demander des licences en une seule fois. Il convient de noter que la CCAL est un organisme où sont représentés les principaux acteurs de la pêche.

APRAPAM (Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime), une organisation de la société civile sénégalaise, a publié une déclaration  soulignant que si ces licences sont accordées, cela augmenterait la pression de pêche, menacerait la durabilité ainsi que les moyens de subsistance des communautés de pêche artisanale. Le Groupement des Armateurs et Industriels de la Pêche au Sénégal (GAIPES) a également envoyé une lettre ouverte au ministre Alioune NDOYE, soulignant des préoccupations similaires.

Les préoccupations de ces entités sont appuyées par la correspondance n°110 D-CRODT du 27 mai 2020 du Centre de Recherches Océanographiques de Dakar-Thiaroye (CRODT), qui a réagi à la saisine officielle de la Coalition (courrier GAIPES-S.G. AD/SDS/028/2020 du 11 mai 2020). Celle-ci demandait un éclairage de la Recherche sur l’état des principales ressources halieutiques (Sénégal). Chose qui devrait dissuader le Ministère, étant donné que l’octroi est conditionné par l’état des stocks.

Dans leur correspondance, les Chercheurs du CRODT sont formels : « Les stocks de sardinelles plates (yaboy tass), de sardinelles rondes (yaboy meureug) et de merlus (banana) sont surexploités (Voir Tableau suivant, ndlr). En d’autres termes, les stocks de yaboy tass (sardinelles plates), de yaboy meureug (sardinelles rondes) et de merlus (banana) n’offrent pas un reliquat pouvant justifier l’octroi de nouvelles licences de pêche. La recherche recommande, par ailleurs, une réduction de l’effort de pêche actuel sur ces espèces ».

Et c’est sur la page Facebook du ministère que le patron du département des pêches du Sénégal, Alioune Ndoye, a répondu aux différentes préoccupations. « Le Ministère se réjouit de la préoccupation soi-disant au passage du GAIPES sur l’état de la ressource halieutique notamment, pour les espèces démersales côtières, objet d’un gel de toutes nouvelles licences depuis 14 ans et rigoureusement respecté par les services techniques du département. Depuis lors, aucune nouvelle licence n’est attribuée pour cette pêcherie », lit-on dans le communiqué du ministère des pêches et de l’économie maritime.

Par rapport aux ressources pélagiques dont les sardinelles et les chinchards, stratégiques pour le marché national, le ministre Ndoye assure : « Ls services techniques du ministère prêtent une attention particulière aux conditions d’accès à cette ressource. La même préoccupation est valable pour la pêcherie merlutière, exploitée en grande partie par les membres du GAIPES ».

Plus loin, le communiqué souligne que « le Ministère des pêches travaille de façon étroite avec le centre de recherches océanographiques de Dakar-Thiaroye sur des questions plus étendues que la détermination des volumes admissibles de capture pour chaque pêcherie, sur le repos biologique, remis sans cesse en cause par les organisations professionnelles dont, le GAIPES en particulier. »

Quid des sociétés mixtes

L’art. 27 du Code de la pêche maritime du Sénégal précise que « les navires de pêche de nationalité étrangère peuvent être autorisés à opérer dans les eaux sous juridiction sénégalaise soit dans le cadre d’un accord de pêche liant le Sénégal à l’État du pavillon ou à l’organisation qui représente cet État, soit lorsqu’ils sont affrétés par des personnes morales de droit sénégalais ».

Signer des accords avec des États, des pays tiers ou avoir d’autres organisations représentant l’État du Sénégal n’est pas illégal. Mais, « légal ne veut pas dire durable », prévient Gaoussou Gueye, le président de la CAOPA. « Nos gouvernements accordent souvent trop de licences à la pêche industrielle nationalisée (sociétés à capitaux étrangers) et étrangère. Pourtant, les communautés côtières et la société civile doivent être informées quant aux demandes de licences, et doivent être consultées avant l’attribution de nouvelles licences ».

Selon l’article 35 du Code de la pêche maritime, « l’exercice de la pêche industrielle dans les eaux maritimes sous juridiction sénégalaise est subordonné à la possession d’une licence de pêche en cours de validité, délivrée par le Ministre chargé de la Pêche maritime, après avis de la Commission consultative d’Attribution des Licences ».

En avril 2020, l’arrivée de la cinquantaine de bateaux industriels dans les eaux sénégalaises à la quête de licence de pêche a fait polémique dans le secteur de la pêche. Celle-ci a opposé des industriels et le ministère de tutelle.

Pour sa part, le groupement des armateurs et industriels de la pêche au Sénégal (GAIPES) avait accusé le ministre Alioune Ndoye d’avoir accordé des licences de pêche à des Chinois et a réalisé une vidéo de plaidoyer contre l’octroi des licences. Une accusation niée par l’autorité, via sa page facebook, à la date du 6 juin 2020.

Capture d’écran de la réaction du ministère des Pêches

Malgré cette affirmation de l’autorité, des organisations comme Greenpeace a révélé 24 heures après, l’attribution de licences de la part de Monsieur Alioune Ndoye à certains navires demandeurs. « Faisant écho aux révélations des médias et organisations de pêcheurs, Greenpeace confirme l’attribution de licences de pêches aux bateaux Fu Yuan Yu 9885, Fu Yuan Yu 9886, Fu Yuan Yu 9888 et Fu Yuan Yu 9889, le 17 Avril. L’attribution a bien eu lieu en dépit des affirmations du ministre de la pêche sénégalais le 6 Juin qui affirmait qu’aucune nouvelle licence pour des bateaux industriels n’avaient été donnée », contredit l’ONG. Une preuve de l’octroi de licence en 2020 renouvelé en 2021en faveur du Fu Yuan Yu 9889 !

Cette situation a attisé la polémique autour de la gouvernance du secteur de la pêche au Sénégal. Dos au mur, le ministre de tutelle, Alioune Ndoye, a été invité à s‘expliquer sur cette situation. Le 18 avril 2021, devant le « Grand Jury » de la Radio future media (Rfm), le ministre de la Pêche et de l’Économie maritime s’est voulu clair, concernant l’attribution des licences de pêche : « Tout se fait dans la transparence ».

« Le Sénégal n’a d’accords de pêche qu’avec les pays riverains [la Gambie, le Cap-Vert, la Mauritanie, la Guinée-Bissau] et qu’avec l’Union européenne (UE) », a-t-il ajouté. Avec l’UE, précise-t-il, « l’année dernière (2020), il s’agissait de 31 bateaux, répartis entre 10 navires français et 21 espagnols. Et un bateau capverdien. Ça fait les 32 bateaux qu’on peut estampiller ‘’Étranger’’. Sinon, les 129 sont sénégalais ».

Cherchant à justifier la situation, le ministre s’appuie sur les textes de loi, sans être précis. « C’est la loi sénégalaise qui dit qu’aujourd’hui, pour disposer de ça, il faut au moins que 51 % du capital soit détenu par des Sénégalais ».

Lors de la publication d’un rapport sur les sociétés mixtes le 27 avril 2021, le Président de la CAOPA, Gaoussou GUEYE, s’est dit inquiet de la manière dont ces sociétés mixtes sont constituées. Selon lui, il est évident que dans la législation sénégalaise, au niveau du Code de la Marine marchande, il est indiqué qu’on doit détenir 51% du capital pour pouvoir créer une société mixte. Mais, alerte-t-il, « il y a une société mixte que je prendrais en exemple dont le capital est de 100 mille F CFA et qui demande une promesse de licence sur six navires pour pêcher les petits pélagiques et chaque navire coûte au minimum 3 milliards F CFA. Cela est inquiétant ! ».

Le ministre Ndoye, quant à lui, fait une comparaison entre le nombre des licences octroyées durant les deux précédentes années. « Par exemple, l’année dernière, quand je fais le calcul, c’était à peu près 33, 32 licences en moyenne par rapport à l’année précédente », a-t-il fait savoir.

Du point de vue de l’accord avec l’UE, « les accords ont été finalisés le 19 juillet 2019 à Bruxelles et ne portent que sur les espèces thoniques avec 10 000 tonnes de thons et 1 750 tonnes de merlus noirs. Aujourd’hui, ils portent sur 10 mille tonnes et 1 700 tonnes de merlus. Il faut noter également que nous n’avons même pas, au niveau industriel, des acteurs ayant des pêcheries de ce genre. Tout ce protocole s’est fait de façon professionnelle et transparente. Mais je dois insister qu’il y a des éléments de confidentialité qui y sont liés », a-t-il soutenu.

Capture d’écran du contenu de l’accord de pêche entre l’UE et le Sénégal

Même si des éléments de ‘’confidentialités’’ y sont liés, comme l’indique M. Ndoye, l’UE, par souci de transparence, a pris le soin de publier l’intégralité de cet accord avec le Sénégal sur son site web.

Ancien directeur du Centre de recherche océanographique de Thiaroye, le Dr Alassane SAMBA prévient les autorités sur les conséquences de la « mal gouvernance » du secteur halieutique : « Si on ne fait pas gaffe, si on gère mal ces ressources-là, on va arriver à un moment où il n’y aura plus de ressources halieutiques. Il faut que les gens sachent que si on fait une bonne gestion de la ressource, on mettra fin à cette raréfaction de la ressource ».

 Quid des informations sur le site web du ministère des pêches et de l’économie maritime ?

Gaoussou GUEYE, Président de la CAOPA explique le manque de transparence du secteur de la pêche au Sénégal « Pour parler de gouvernance du secteur de la pêche au Sénégal, pour moi, il faut parler de transparence. Et la transparence pour moi, c’est l’accès à l’information. Mais aujourd’hui, le problème le plus élémentaire à résoudre, c’est de publier sur le site du ministère des pêches et de l’économie maritime, le code de la pêche. Si vous y aller, vous ne le trouverez pas. Si ce code n’est pas publié, il ne faut pas espérer trouver d’autres éléments pertinents du secteur publiés dans ce site. A mon avis, il n’y a aucune transparence dans ce secteur ».

Analyse de la transparence dans la gestion des pêches au Sénégal par rapport aux 10 principes de L’Environmental Justice Foundation (EJF) : Opportunités et perspectives

Situation des 10 principes de transparence d’EJF et perspectives au Sénégal

Principes EJF Niveau d’exécution Opportunités Gain potentiel
1 Numéro IMO non institué Existence d’un cadre juridique et institutionnel en relation avec l’OMI
  • Harmonisation de la numérotation

Prévention de Pavillon de complaisance

2 Données de localisation des navires non publiques Existence d’un système intégré VMS et AIS Meilleure protection des zones marines protégées et contrôle de transbordement en mer
3 Liste non publiée Existence du site du Ministère: https://mpem.gouv.sn/
  • Meilleure transparence et confiance dans la gestion`

Efficacité dans la lutte contre la pêche INN

4 Sanctions imposées non publiées

Rapports de la surveillance disponible à la DPM

  • Meilleure transparence sur l’efficacité de la surveillance,

Recherche de moyens de financement durable de la surveillance

5 Transbordement en haute mer interdit Soumis à l’autorisation sous la supervision des agents compétents en rade du Port de Dakar
6 Registre National des pêches et Programme National Informatisé des pirogues
7 Existence de plusieurs entreprises en sociétés-mixtes (Joint-venture) Faire une cartographie des personnes morales concernées par le pavillon Meilleure compréhension de la propriété des entreprises
8 Non réalisé Mutualisation avec les services de Douanes et des impôts Meilleure compréhension de la répartition de la valeur ajoutée générée dans le secteur
9 Sanction contre les personnes physiques et morales Existence de cadre juridique Optimisation des stratégies et procédures de contrôle en mer ou au port
10 Déficit dans la traçabilité des produits de la pêche Existence des Certificats sanitaires et Captures pour exportation ·        Meilleure traçabilité des produits de la pêche

Eco labélisation des pêcheries

 Il ressort de l’analyse de la situation de transparence au Sénégal, que les principes de EJF sont loin d’être en application. Seuls 02 (05 et 09) sur les 10 principes (Transbordement interdit en haute mer, et Sanctions contre les personnes physiques et morales impliquées dans des activités de pêche illicite). Le Sénégal n’a pas la moyenne.

Une enquête réalisée par Mamadou Aliou DIALLO.

Encadré 1

Gouvernance de la pêche au Sénégal : Quid du cadre juridique et institutionnel ?

Pour une gestion durable des ressources naturelles, notamment halieutiques, l’Etat sénégalais s’est doté d’un certain nombre d’instruments juridiques et institutionnels (internationaux et nationaux).

Sur le plan international, le pays est signataire de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer de 1982, de l’Accord sur les Stocks chevauchants de 1995, de l’Accord du 22 novembre 2009 de la FAO relatif aux mesures du ressort de l’État du port, du Plan d’action international de lutte contre la pêche INN de la FAO, du Protocole relatif aux modalités pratiques de coordination de surveillance dans les Etats membres de la commission sous régionale des pêches (CSRP) du 1er Septembre 1993.

Au niveau national, il y a entre autres : la Constitution, la loi n° 2015-18 du 13 juillet 2015 portant code de la pêche maritime et son Décret d’application, d’autres arrêtés ministériels et préfectoraux, le Plan Sénégal émergent (PSE), la Lettre de Politique Sectorielle de Développement de la Pêche et de l’Aquaculture (LPSDPA) 2016 – 2023.

Sur le plan institutionnel, plusieurs services sont mis en place. C’est le cas de la direction des pêches maritimes, chargée de la mise en œuvre de la politique de l’Etat en matière de pêche maritime ; les services déconcentrés des pêches et de la surveillance, dont les services régionaux, départementaux et les postes de contrôle de la pêche et de la surveillance ; la Direction de la Protection et de la Surveillance des Pêches (DPSP) ; et le Centre de Recherche Océanographique de Thiaroye (CRODT). Cette institution de recherche et d’évaluation des stocks des ressources halieutiques est impliquée dans les processus d’élaboration, de mise en œuvre et de suivi des plans d’aménagement des pêches. Donc le CRODT joue un rôle essentiel dans la définition et le suivi des politiques de pêche. Cette structure, selon nos informations, est confrontée à un manque de financement pour bien mener sa politique.

Il y a aussi les structures non étatiques, les parties prenantes de la politique des pêches (organisations professionnelles).

Au vu de cet arsenal juridique et institutionnel non exhaustif, la gouvernance du secteur des pêches au Sénégal reflète-t-elle les termes de durabilité et de transparence ? Les dispositions contenues dans les textes sont-elles respectées par les autorités en charge des pêches et de l’économie maritime ?

 

Encadré 2

Des outils de transparence

Les éléments de transparence sont établis dans plusieurs Accords internationaux et documents sur les réformes des pêches. D’abord, la nécessité pour les gouvernements d’agir de manière transparente a été incluse dans le Code de Conduite de la FAO pour une Pêche responsable (1995), dans les Directives volontaires visant à assurer la Durabilité de la Pêche artisanale en 2014, par l’Initiative pour la transparence des pêches (FiTI), dans la charte de transparence de l’Environmental Justice Foundation (EJF), etc.

Ces outils constituent des principes directeurs de la bonne gouvernance du secteur des pêches. Mais pas seulement. Dans la vision 2035 du « Plan Sénégal Émergent (PSE) », la transparence dans la gouvernance reste un élément clé. Le point intitulé « Gouvernance, Institutions, Paix et Sécurité » stipule : « Un profil de gouvernance inapproprié est une entrave majeure au développement. La mal gouvernance a souvent fait peser des contraintes sur la mise en œuvre des politiques publiques et le développement des activités du secteur privé et compromis l’atteinte des objectifs économiques et sociaux. Elle se traduit par un manque de transparence dans les transactions, dans la disponibilité de l’information et la gestion des ressources au profit d’intérêt privé et au détriment de l’intérêt général. La mal gouvernance contribue également à l’aggravation de la pauvreté et constitue une menace pour le contrat social qui fonde la République. La corruption, pendant de la mal gouvernance, constitue un autre fléau qui limite les perspectives de développement ».

Pour mettre à mal ce fléau, le gouvernement du Sénégal a élaboré une lettre de la politique sectorielle de développement de la pêche artisanale (LPSDPA).

Elle s’inscrit dans la mise en œuvre du PSE et traduit à ce titre la vision sectorielle du PSE ainsi libellée : « Un secteur, moteur durable de croissance et d’inclusion sociale tout en assurant l’alimentation de la population, en 2023 ».

La mise en œuvre de la politique sectorielle sera basée sur les valeurs fondamentales et principes directeurs suivants : « La transparence, la performance et l’équité dans la gouvernance du secteur ; le partage des connaissances et de l’information nécessaires à la gestion durable des ressources halieutiques et des écosystèmes », entre autres.

 

Encadré 3

Le Sénégal et la FiTI

La Fisheries Transparency Initiative (FiTI) est une initiative multipartite globale, qui vise à rendre la pêche plus responsable et plus durable par le biais de la transparence et de la participation.  Lancée en 2016 à Nouakchott (Mauritanie), le Président Macky SALL du Sénégal a pris l’engagement que son pays allait devenir partie de l’initiative FiTI. Mais cet engagement n’a toujours pas été suivi d’effet concret. Pourtant, au ministère de la Pêche et de l’Economie maritime, un officiel soutient que « la transparence dans la gestion saine et durable des ressources halieutiques est plus qu’indispensable pour le développement du secteur de la pêche ». C’est pour cette raison, soutient-il, qu’elle demeure une préoccupation essentielle pour le Président SALL.

Plus le processus d’adhésion dure, plus les professionnels s’impatientent et plus la mauvaise gouvernance s’enracine. C’est pourquoi, la Coalition nationale de Plaidoyer pour la Transparence dans la Gouvernance des Pêches a adressé une lettre au Président Macky Sall, « pour accélérer le processus d’achèvement du processus d’inscription afin que le Sénégal puisse soumettre une candidature officielle à la FiTI ».

S’inspirer de la Mauritanie ?

Le Chef de l’État a annoncé l’adhésion de la Mauritanie à la FiTI au même titre que Macky Sall du Sénégal, lors de l’ouverture de la première Conférence internationale sur la FiTI tenue à Nouakchott le 03 février 2016.

En Mauritanie, cette adhésion s’est traduite par la désignation des membres du Groupe Multipartite National (GMN) par arrêté n° 115 MEF/MPEM du 23 janvier 2017 qui a été suivie par la nomination par arrêté n° 55 MEF/MPEM du 23 janvier 2017 d’un Haut Responsable en charge de la mise en œuvre de la FiTI et par la désignation, par lettre du Secrétaire Général (SG) du MPEM en date du 24 janvier 2017 adressée au Responsable du GMN, d’un Secrétaire national de la FiTI. Après quoi, les structures des Parties prenantes composant le GMN ont désigné chacune son représentant par lettre. En 2018, la candidature de la Mauritanie pour le statut de « Pays candidat » à la FiTI a été soumise au Conseil d’Administration International (CAI) de FiTI tenue à Berlin en Allemagne les 12-13 décembre 2018. Suite à la confirmation de l’obtention de la Mauritanie de son statut de « pays candidat » à la FiTI et conformément au Standard de FiTI, la Mauritanie se devait de produire son premier Rapport FiTI en 2019 sur la base des données de l’année civile 2018.

Après avoir surmonté plusieurs défis, c’est finalement en mai 2021 que le pays a produit son premier rapport FiTI. La CAOPA a salué, dans un communiqué l’acte posé par la Mauritanie, qui constitue, selon elle, un pas positif vers la mise en œuvre des Directives volontaires pour une pêche artisanale durable ainsi que du Cadre politique et de la stratégie de réforme de l’Union africaine pour la pêche et l’aquaculture. « Alors que la pêche en Afrique a fait l’objet de beaucoup de publicité négative, il s’agit ici d’une réalisation positive qui doit être largement reconnue et célébrée », préconise l’organisation continentale de la pêche artisanale.

Vers une adhésion à la FiTI ?

En vue de la mise en œuvre d’un Plan d’action national dans le cadre du partenariat pour un gouvernement ouvert (PAN-PGO) 2021-2023, le Sénégal s’engage à rejoindre FiTI, grâce à une initiative du Ministère de la Justice. Voir le lien du plan d’action national. http://urlr.me/bHQqV.

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