Pêche illicite dans les eaux sous juridiction du Bénin : un État impuissant face aux contrevenants

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Au Bénin, la pêche constitue un sous-secteur important, notamment sur le plan socio-économique, la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté. Elle contribue à hauteur de 3% au PIB. Mais ces dernières années, cette activité, qui nourrit plus de 600 000 personnes selon le rapport de l’enquête cadre de la pêche artisanale maritime au Benin réalisée en 2014, connaît d’importants problèmes. Il s’agit notamment de la dégradation des écosystèmes aquatiques, de la forte pression sur les ressources, de l’utilisation des engins de pêche prohibés.

C’est un samedi, le tout premier du mois d’octobre 2021. Peu avant 10h, Montcho Codjo François – un membre de l’Union Nationale des Pêcheurs marins et Assimilés du Benin (UNAPEMAB) – et son équipe affutent leurs filets afin de se rendre en haute mer. Du côté du port des pêches, l’atmosphère est bouillante, avec une visibilité faible dû au brouillard. Mais ce flou éphémère n’empêche pas de voir à quelques mètres une centaine de jeunes, sans masque imposé par le respect des mesures barrières à la Covid-19, qui trainent les filets, une senne de plage. « Nous nous apprêtons pour tirer les filets. Ce sera une vraie bataille à distance entre nous et les vagues », Nous confie Montcho Codjo François.

En réalité, la senne de plage est un engin de grande envergure que les pêcheurs déploient à partir du virage. Elle est munie d’une poche qui, après l’encerclement des aires marines, fait l’objet de halage à terre pendant des heures. C’est une technique de pêche non autorisée au Bénin. Selon Montcho Codjo François et ses collègues, ils l’ont apprise auprès des Ghanéens. Mais cette technique de pêche non autorisée n’est que la face visible de l’iceberg.

Des contrevenants conscients de leurs actes

« Aujourd’hui il nous est difficile de pêcher tranquillement, donc il faut trouver certaines pratiques et techniques qui n’existaient pas. C’est pourquoi tous ces bois et pneus sont utilisés pour redonner de l’ombre sous l’eau afin que les poissons puissent produire facilement », nous confie Montcho Codjo François. C’est un spectacle qui se vit tout au long de la route des pêches entre Cotonou et Ouidah.

A Grand-Popo, une commune frontalière à l’Ouest, la pratique est aussi récurrente. Les pieds bien enfoncés dans le sable de la plage, ces pêcheurs se doivent de mener une lutte pendant plusieurs heures pour sortir le filet de l’océan. La pêche à la senne de plage n’est pas sélective. Les gros poissons sont pris avec les fretins, ce qui fait craindre la disparition de certaines espèces, selon les chercheurs. « Cet engin fait prisonnier de tout sur son passage, mort ou vivant car ses lèvres sont à grandes mailles, mais la poche a généralement de maille étirée et c’est à ce niveau que les captures sont concentrées donc l’engin n’est pas sélectif », déplore Dr Edmond Sossoukpè, enseignant chercheur à la faculté des sciences et Technique à l’université du Benin. Ce qui est une menace sur la biodiversité marine.

Les causes de la rareté des produits halieutiques sont pourtant bien connues de tous et surtout des pêcheurs qui sont les principaux acteurs.  En dehors de la démographie galopante, il s’agit principalement, de l’utilisation des techniques prohibées de pêche et de la pollution des plans d’eau, les populations lacustres  sont dans la quête permanente de frayères pour les poissons.  « Nous utilisons les engins que nous ne devons pas utiliser. Nous allons chercher les poissons dans leur dernier retranchement. Nous ramassons tout sur notre passage, petits comme grands poissons », reconnaît Montcho Codjo François.

Redonner un nouveau souffle au secteur

Pour remédier à cette situation de déliquescence des ressources halieutiques, l’Assemblée nationale du Bénin a adopté le 06 juin 2014, la Loi-cadre N°2004 du 17 août 2014 relative à la pêche et à l’aquaculture en République du Bénin. Votée par l’Assemblée nationale le 06 juin 2014 et promulguée par le chef de l’État le 07 août 2014, la loi-cadre relative à la pêche et l’aquaculture, au regard des nombreuses innovations qu’elle comporte, constitue un important instrument pour redonner un nouveau souffle à la production halieutique au Bénin. Mais cette loi-cadre, qui devrait être un pont sur lequel les différents acteurs du secteur doivent passer, est restée pendant longtemps dans les placards. La méconnaissance de son contenu par les pêcheurs constitue un grand frein à l’application des sanctions prévues en cas d’infraction.

En dotant le sous-secteur de la pêche d’une Loi-Cadre, le Bénin s’engage pour la règlementation et l’encadrement efficaces de l’activité de pêche. Plusieurs innovations sont à retenir de cette nouvelle loi. Ces innovations constituent des réponses aux exigences actuelles du sous-secteur.

Entre autres innovations, il y a l’application d’un principe général de droit, le principe de précaution, implicitement ou expressément inclus dans les législations modernes ; l’inscription des embarcations de pêche artisanale maritime sur un fichier ; la réglementation de la pêche sportive ; l’organisation de l’aquaculture, notamment la qualité des alevins, de l’aliment et des prestataires de service. Mais quelques années après la promulgation de cette loi, des épines se dressent toujours sur le chemin. L’État, malgré sa volonté de contrer la pêche illicite, n’arrive pas à bout parce que ne disposant pas de moyens adéquats de surveillances sur ses eaux. Ce qui limite ses interventions. Et pendant ce temps, les « délinquants » des ressources halieutiques « continuent leurs sales besognes », nous renseigne un responsable du secteur.

Cela constitue un défi pour le Bénin étant donné que les infractions prennent l’ampleur aujourd’hui dans le sous-secteur, car malgré les textes juridiques dont dispose le pays, les acteurs semblent imperturbables dans la pratique illicite.

Vu de l’océan du côté du port de pêche de Cotonou

Une lutte biaisée par la corruption

Ces dernières années, des voies se sont élevées pour dénoncer les effets de cette pratique interdite par la loi-cadre n°2014-19 du 07 Août 2014 relative à la pêche et a l’aquaculture dans son article 73 qui stipule : «  Il est interdit de faire usage, dans l’exercice de la pêche continentale ou maritime, des engins ou méthode de pêche incompatible avec la gestion durable des stocks halieutiques, notamment tout parc à poisson quelle qu’en soit la forme ou superficie, construit à l’aide de branchage fixé dans le fond des fleuves, lacs ou lagunes, ou tout autre lieu servant de refuge, de reproduction et le développement des poissons et pouvant augmenter la production naturelle des plans d’eau. »

Plusieurs tentatives pour faire appliquer la loi et sauver le plan d’eau ont toujours échoué car le Bénin ne dispose pas encore de tous les moyens pouvant véritablement faire la politique de ces moyens dans la lutte contre cette pratique. Si la pratique de la pêche à la senne constitue une véritable menace environnementale, car elle épuise les stocks halieutiques et menacent les écosystèmes marins, elle a de graves impacts sur les populations côtières de l’Afrique de l’Ouest.

Au Bénin, elle affecte sérieusement ces communautés qui fournissent sur les différents marchés béninois et de la sous-région une bonne partie du poisson, notamment les sardines, les thons, les coquillages, les crevettes, et autres crustacés. Il va falloir aller vers une bataille plus corsée afin de contraindre les acteurs vers une taille de maille optimale des senneurs de plage afin d’assurer une durabilité des stocks, recommande Zacharie Sohou, océanographe biologiste du Bénin.

Ce qui ne préoccupe visiblement pas les différents services de contrôle et de surveillance du secteur au Bénin. « Nous savons comment nous entretenons ceux qui viennent pour le contrôle », confie un des pêcheurs que nous avons retrouvés au port des pêches de Cotonou. « Ils trouvent leurs comptes, c’est pourquoi ils ne nous embêtent pas trop car nous savons comment le pays marche », poursuit-il pour évoquer les cas de corruption des agents de contrôle des eaux.  Un raisonnement qui atteste que ces pratiques prohibées se font au vu et au su de tous y compris ces cadres de contrôle.

Par contre d’autres voient l’effet des gros pêcheurs dévastateurs : « En pêchant même jusqu’au plus profond des mers avec leurs engins de pêche modernes, ces chalutiers détruisent le nid des poissons et le rendent stérile. Ainsi nous n’avons plus de produits sous nos eaux, ce qui nous maintient dans une précarité », se plaint M. Montcho Codjo François.

Port de pêche – Cotonou

Conflits entre pêcheurs artisanaux locaux et chalutiers

Pendant que les pêcheurs artisanaux nationaux luttent pour s’en sortir, sans pour autant respecter les normes prescrites par les lois, les chalutiers viennent clandestinement et cassent leurs roches. Ce qui cause parfois des conflits entre les pêcheurs locaux et les autres. Ces situations d’insécurité maritime sont liées, selon les pêcheurs locaux, à l’absence de l’implication de l’État béninois dans la surveillance de sa côte et à la quasi-absence de répression et sanctions des indélicats.

Selon l’enquête sur la criminalité maritime réalisée au Benin dans la population des zones côtières dans le cadre du projet SWAIMS (Support to West Africa Integrated Maritime Security), ces situations d’insécurité maritime seraient également dues, à l’existence d’un trafic d’influence sur fond de complicité entre certaines autorités et agents assermentés d’une part, et les pêcheurs Toffins (des communautés vivant dans les zones lacustres dans les communes de So Ava et Aguégués ) d’autre part.

Toutes choses qui ont pour conséquence la diminution des prises de pêche des pêcheurs locaux artisanaux et la destruction de leur équipement de pêche, lesquels équipements sont difficiles à acquérir. L’acquisition des divers équipements de pêche (filets, barques et moteurs) se fait en effet au Togo et au Ghana, ce qui crée des tracasseries aux acteurs de la pêche. A cela s’ajoutent les prix élevés de ces équipements et les taxes à payer pour les formalités douanières aux différentes frontières. « Nous sommes contraints de remplir ces formalités dans le but de survivre. Parfois nous sommes obligés d’emprunter auprès des institutions financières de notre pays afin de pouvoir nous équiper. Malheureusement certaines institutions refusent de nous accorder les prêts parce que notre activité n’est plus prometteuse, disent-elles », explique Montcho Codjo François.

En réponse à la destruction de leurs équipements de pêche, les pêcheurs locaux ripostent par moment et organisent des patrouilles de dissuasion. « Nous sommes obligés des fois, nous les membres du bureau et certains pêcheurs, de nous réorganiser pour surveiller nos équipements », confie Codjo.  Et pour cela, poursuit-il, « il y a des équipes de patrouilles montées par nous, mais ces actions restent très limitées en raison de la faible puissance des moteurs de nos barques qui ne nous permet pas par exemple d’engager des course-poursuites efficaces avec les chalutiers lorsque ceux-ci occasionnent des dégâts sur nos équipements ». « Et lorsque nous informons les autorités de la Direction des pêches, celles de la base navale et la police fluviale pour nous qui sommes de Cotonou, ceux-ci restent inactifs très souvent en raison du manque de ressources et de moyens d’interventions », conclut Montcho Codjo François.

Les pêcheurs, particulièrement ceux de Cotonou, ont régulièrement recours aux médias locaux pour faire connaître à l’opinion publique leurs difficultés. « Les difficultés majeures auxquelles sont confrontés les pêcheurs sont connues de tous aujourd’hui. C’est surtout la baisse de la productivité et l’utilisation des pratiques qui ne répondent pas ou qui sont prohibées dans le secteur », nous confie le journaliste Fulbert Adjimehossou, secrétaire général des acteurs des médias pour l’eau, l’environnement, l’assainissement et le climat au Benin. En janvier 2021 le Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la pêche d’alors Gaston Cossi Dossouhoui, s’était rendu sur le lac ahémé, le chenal aho, les eaux des carrefours djondji, la lagune de grand popo et à l’embouchure de la bouche du roi. A l’occasion le ministre d’alors avait annoncé des actions en cours pour la recolonisation de ces plans d’eau en ressources halieutiques variées et de qualité.

Pirogues motorisées

Pour les pécheurs locaux, l’État doit par tous les moyens arriver à freiner et à décourager ceux qui ne respectent pas les closes en vigueur, car selon leurs dires, les pêcheurs continentaux prennent d’assaut les espaces de pêche réservés aux pêcheurs marins au vu et su de tous les responsables avec leurs engins prohibés et ramassent les alevins et autres petits poissons.

Le phénomène de la pêche Illicite, non déclarée et non règlementée (pêche INN) devient un casse-tête pour les différents États partageant les mêmes cours d’eau. Pourtant elle est proscrite par l’article 42 du décret N°2018-335 du 25 juillet 2018 qui fixe les conditions et modalités d’exercice de la pêche. Il est interdit, entre autres, l’utilisation à bord de filets maillants fabriqués à partir d’éléments mono filaments. Même entre les pêcheurs certains souhaitent un contrôle strict des filets et des prises à leur passage au niveau de chenal de Cotonou, car selon eux on peut revenir à une pêche durable. « Tout dépend de l’administration, si on met fin aux engins prohibés avec toute la rigueur qu’il faut, nous allons en jouir car aucun pêcheur n’est pas au-dessus de la loi », convainc M. Montcho.

L’ONG Eco Bénin a mené en octobre 2020, des enquêtes exploratoires auprès des populations des zones côtières du Bénin sur la criminalité maritime. Il en ressort que les pêcheurs sont inquiets au vu de la montée  démographique qui engendre l’augmentation du nombre de barque et pécheurs. La pêche en tant qu’activité humaine est sujette à des comportements non règlementaires, car les acteurs pensaient que les ressources étaient inépuisables. Mais au fil des jours ils se rendent compte du contraire. La légèreté, le maître-mot qui régnait dans ce secteur y compris même au sein du corps du contrôle et de la supervision, reconnait Tossi Bernard, chef division de la règlementation des pêches à la Direction de la production halieutique au Bénin.

Malgré sa volonté de faire un contrôle et un suivi régulier, le Bénin ne dispose pas de moyens adéquats pour faire face à cet énorme défi qui est la surveillance de ses eaux. Le peu de moyens de surveillance dont il dispose, avec la collaboration des États voisins, lui permet tout de même de faire un contrôle sur ces eaux, nous confie Tossi Bernard. Même si cela reste insuffisant pour juguler le phénomène des pêcheurs illégaux. Le comble, selon lui, est que la productivité de la pêche maritime artisanale a été multipliée par au moins quatre en une décennie au Bénin mais les revenus des pêcheurs ne semblent pas connaitre la même amélioration. Sont indexées les pratiques prohibées, contre lesquelles, l’Etat prépare une bataille.

Selon les études sur la pêche artisanale au Sud Benin face aux défis des changements climatiques (climatdeveloppement.org), les eaux du Benin regorgent de plus de 257 espèces de poissons, en plus des espèces de crustacés et autres. Mieux, la productivité de la pêche maritime artisanale n’a cessé de croître durant la dernière décennie. En 2019, elle est de 37 948 tonnes contre 14 712 en 2017.

En l’espace de quelques mois, des centaines de filets mono filaments et filets mèdokpokonou et 20 panneaux de chalut-bœuf ont été saisis. Dans les prochains mois, « la traque sera corsée, d’ici fin Août 2021, tout rentrera dans l’ordre. La guerre sera déclenchée contre les pêcheurs indélicat qui utilisent les engins prohibés », précise Hermann Gangbazo, chef du service aménagement et gestion des pêcheries. « Nous ferons des sorties inopinées chaque mois afin que ces contrevenants sachent que nous sommes aussi présents sur le terrain », informe-t-il. Le grand défi pour lui, c’est d’arriver à trouver un équilibre entre la sauvegarde des moyens de subsistance des pêcheurs et la santé  de l’océan.

Par Géraud Adoukonou (Bénin)

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