Covid-19 au Burkina Faso : Entre amateurisme, cacophonie et négligence
La gestion de la pandémie du coronavirus par l’Exécutif burkinabè révèle plusieurs manquements et insuffisances. Pourtant bien avant l’apparition de la maladie au Burkina Faso, les autorités se disaient préparées à faire face à l’épidémie. C’était une fuite en avant.
Marie-Rose Compaoré ne siègera plus. Elle est décédée en mi-mars 2020 à Ouagadougou, abandonnant son siège de député à l’Assemblée nationale. Le mystère sur son décès demeure entier. Sa famille reste dubitative sur les causes de son décès. Elle exclut le coronavirus. Pourtant, celle qui était 3e vice-présidente du Parlement burkinabè est considérée comme la première victime du Covid-19 au Pays des hommes intègres.
Transportée au Centre médical de l’Espérance suite à un malaise, l’élue nationale a été référée au Centre hospitalier universitaire de Tengandogo, un quartier sis à la sortie Ouest de Ouagadougou. « Le responsable de la clinique a entretemps soupçonné les signes du Covid-19 et a transféré la patiente à l’Hôpital Blaise Compaoré. Des prélèvements ont été faits et envoyés au Laboratoire national de référence Grippe à Bobo- Dioulasso.
Compte tenu du fait qu’elle était un personnage public, la procédure de traitement des prélèvements a été accélérée et a été déclarée positive à la maladie. Quand ces résultats sont tombés, la clinique a été fermée pendant près de 10 jours. Une partie du personnel de la clinique a été mise en quarantaine », indique une source sous anonymat. Contrairement à ce qui a été dit, l’Exécutif n’a pas fait les diligences pour désinfecter le domicile de la défunte.
C’est ce que dit d’ailleurs la mission d’information parlementaire sur la gestion de la pandémie qui a tenté de mieux comprendre les conditions de décès de la députée Compaoré. Mais le Comité de réponse aux urgences sanitaires (CORUS) a excipé du secret médical. Selon le rapport de l’Assemblée nationale, il y a eu un manque d’anticipation dans la réponse à la pandémie de Covid-19.
« Depuis l’apparition du virus en Chine en décembre 2019, ce n’est que le 27 janvier 2020 qu’un dossier d’activation du CORUS a été introduit en conseil des ministres. Finalement, c’est le 9 mars que le CPRUS a été activé à travers 10 groupes thématiques…Il s’en est suivi la méfiance du personnel vis à vis des cas suspects ou confirmés de la COVID-19; toute chose qui a entrainé le la suite la mort de certains patients », révèle le rapport de la mission parlementaire sur la gestion de la pandémie.
Le calvaire du personnel soignant
plusieurs agents de santé, infirmiers et médecins ont été réquisitionnés pour former l’équipe de soins Covid basée au CHU de Tengandogo. Certains se sont portés volontaires pour intégrer cette équipe. Mais voilà, ces agents vont éprouver à plusieurs reprises des difficultés pour entrer en possession de leur prise en charge financière malgré tous les risques qu’ils ont encourus. Ils ont même souvent été obligés d’organiser des manifestations publiques devant la direction du CHU Blaise Compaoré pour protester contre l’attitude des autorités en charge de la Santé.
Deux manifestations ont été organisées à cet effet. Pourtant le Plan révisé de riposte à la maladie a prévu 4 201 200 000 francs pour la prise en charge des agents réquisitionnés. Malgré tout, des retards dans la prise en charge financière des agents réquisitionnés ont été constatés. Le paiement du mois de mars n’a été opéré qu’en juin 2020 selon la mission d’information parlementaire. Les paiements d’avril et de mai étaient toujours dus au moment de la production du rapport (juin 2020). Le défaut de prise en charge de ces agents et qui les a conduits dans la rue relève plus de la négligence des autorités sanitaires qui pourtant étaient dans une posture de faire croire qu’avec la maladie il y avait péril en la demeure.
Essais cliniques, apivirine, chloroquine : contradictions au sommet de l’Etat
Le coronavirus n’a pas encore de thérapie reconnue par toute la communauté scientifique. Comme plusieurs autres pays, au Burkina Faso, après des instants d’hésitations, l’équipe de coordination de la riposte contre la maladie a décidé de traiter les patients avec de la chloroquine.
Peu après, des contradictions vont apparaître entre l’équipe de riposte et le ministre en charge de la recherche scientifique Al Kassoum Maïga qui avait soutenu sans trop de précaution que des patients en plus de la chloroquine ont été traités avec l’apivirine, une trouvaille africaine et que la situation des patients s’est améliorée. La réponse de l’équipe de riposte ne tarde pas. Elle soutient n’avoir jamais traité un patient avec de l’apivirine.
Quelques temps après, le ministère de la recherche scientifique balance un communiqué un peu comme pour rectifier le tir. « Pour l’heure, l’équipe de chercheurs de l’Institut de recherche en science de la santé n’a pas encore certifié ce médicament. En clair, l’investigateur principal au Burkina Faso, le Pr Martial Ouédraogo et les chercheurs de l’IRSS n’ont pas encore recommandé l’utilisation de l’apivirine dans le traitement des patients atteints du Covid-19 ». C’était le 5 avril 2020.
Les essais cliniques annoncés avec tambours et trompettes sur la chloroquine et l’apivirine n’ont pas encore livré leurs résultats. Ces essais ont été abandonnés ou suspendus à cause, entre autres, des incompréhensions et ping-pong avec le comité éthique et déontologie de la recherche scientifique. Les parlementaires ont dénoncé dans leur rapport l’adoption tardive d’un protocole médical homologué pour la prise en charge des cas COVID.
L’adoption tardive du protocole médical homologué au Burkina Faso a certainement impacté négativement la prise en charge des patients. La mission note avec regret que certains cas de décès pourraient être liés à ce déficit de prise en charge notamment l’insuffisance en alimentation des malades, l’absence de dispositifs de prise en charge des commorbidités et l’insuffisance de respirateurs», lit-on dans le rapport des députés. La gestion de la pandémie qui continue de sévir a englouti plusieurs dizaines de milliards.
Dépenses exorbitantes
L’apparition de la pandémie du Covid-19 a fait naitre une chaine de solidarité au Burkina Faso. Des institutions, partenaires techniques et financiers, entreprises et particuliers ont laissé parler leur cœur. Ils ont fait des dons en nature et en espèce au ministère de la santé. Selon le plan de riposte Covid-19 révisé final, un montant total de 3 431 702 353 FCFA a été reçu au titre des institutions et partenaires techniques et financiers dès les instants de la maladie. Le budget de l’Etat a débloqué 500 000 000 de francs pour faire face au virus. Le constat qui se dégage est que les acteurs privés et PTF ont plus apporté à la lutte contre la Covid que l’Etat burkinabè sur qui pesait le péril. Pour les détails des dons.
Et ce n’est pas tout. L’initiative Coronathon de l’Assemblée a permis de recueillir à la date du 14 mai 2020 une somme totale de 456 229 558 francs CFA dont24151585Fdedonsen espèce, 329 300 000 Francs comme total des chèques reçus, 24 368 227 pour les transferts mobiles et 966 260 francs pour les transferts internationaux. Le montant total des dépenses payées et liées à la pandémie à la fin mai 2020 s’élève, selon l’Assemblée nationale, à 23 994 145 195 francs.
Sur cette somme, 500 000 000 ont été remis au ministère de la Sécurité pour assurer le carburant des FDS dans le cadre du couvre-feu, 6 milliards au ministère de l’action sociale pour organiser la riposte. Le ministère de l’Education nationale s’en est tiré avec 6 059 912 000 francs et 110 millions alloués au ministère de la Culture pour la prise en charge des frais d’hôtels des personnes mises en quarantaine.
Une somme de 2 324 025 195 francs a été dépensée par le ministère de la Santé pour acquérir du matériel et prendre en charge équipes médicales. Le ministère de la Défense nationale a eu sa part. Le département de Chérif Sy a obtenu 120 000 000 de nos francs répartis comme suit : 100 000 000 pour la confection des masques au profit des élèves et 20 000 000 pour assurer l’inhumation des personnes décédées de la pandémie. Des dépenses jugées exorbitantes par une partie de l’opinion nationale.
Par Idriss Koudouss Ouédraogo
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