Burkina Faso : des foyers d’éducation pour endiguer la délinquance juvénile
Au Burkina Faso, la délinquance juvénile est un fléau social causé, entre autres, par la pauvreté endémique et l’effritement des valeurs sociales. Dans plusieurs villes du pays, il n’est pas rare de voir des enfants en conflit avec la loi récidiver des comportements de déviance et/ou de délinquances. Face à cette situation, l’Association pénitentiaire africaine (APA) a initié à Laye un centre de réinsertion sociale pour favoriser la réhabilitation des enfants en conflit avec la loi, prévenir la récidive et promouvoir une approche éducative de la justice juvénile.
Âgé de 15 ans, A. O. n’a pas eu la chance d’aller à l’école comme les enfants de son âge. Le jeune garçon qui a toujours rêvé de devenir un grand commerçant, a vu sa vie basculer dans la consommation de stupéfiants. Interpellé en 2010 lors d’une opération de la police, il est placé au Centre de détention pour mineurs de Laye, situé à environ 34 km de Ouagadougou, dans la province de Kourwéogo.
Originaire de la région du Nord, A. O. a passé deux ans dans ce foyer. Les premiers jours de détention ont été ceux des questionnements et des réflexions. Le jeune homme redoutait ce qui l’attendait dans cet endroit, loin des siens. Mais il a fallu son premier cours d’alphabétisation pour qu’il se familiarise à sa “nouvelle famille”. « Après le cours, les autres pensionnaires qui m’avaient bien accueilli se sont rapproché de moi pour en savoir davantage et très vite, je me suis fait des amis », raconte-t-il.
Le séjour de l’adolescent dans ce centre de réinsertion de Laye n’est pour autant aisé. La barrière linguistique empiète sur son épanouissement avec ses co-pensionnaires et sa séparation avec sa famille l’affecte de plus en plus. Bien qu’étant entouré d’éducateurs spécialisés, A. O. ressent le besoin de voir ses parents à chaque fois qu’un pensionnaire reçoit de la visite. Après avoir nourri, à plusieurs reprises, l’envie de retourner à la rue, le jeune homme tente une fugue. Mais très vite, il est rattrapé par les agents de la sécurité du Centre.
Une centaine de mineurs admis au Centre chaque année
Le Centre de réinsertion des enfants en conflit avec la loi de Laye a ouvert ses portes le 15 juin 2004. Reconnu par arrêté N°2009-054 /MJ/SG/DAPRS du 11 mai 2009 du ministre de la Justice, il a été construit par l’Association pénitentiaire africaine, avec l’appui financier de l’Union européenne et de l’ONG Terre des Hommes. Situé à 40 km de Ouagadougou sur la route nationale N°2 (Ouagadougou – Ouahigouya), ce Centre est un cadre accueillant et chaleureux pour la réhabilitation des enfants en conflit avec la loi. Depuis son ouverture, le Centre a enregistré 572 pensionnaires, dont 49 filles, en provenance des 25 juridictions du pays.
Érigé sur un domaine de 15 hectares dépourvu de clôture, le Centre de réinsertion de mineurs de Laye est délimité par une ceinture verte qui le camoufle. Le vendredi 22 septembre 2023, le soleil distille ses premiers rayons sur le site. Ce matin-là, plus d’une cinquantaine de pensionnaires assistent à un cours d’alphabétisation en Mooré et en Dioula, deux langues nationales majoritairement parlées au Burkina Faso. Deux hangars servent de classes pour les cours d’alphabétisation avec quelques salles qui servent d’ateliers de formations.
Chaque année, le Centre de réinsertion de Laye reçoit environ une centaine de mineurs « pour tous types délits (viols, coups et blessures, infanticides, la consommation des stupéfiants, etc.), mais le pourcentage des vols et associés est le plus élevé. Mais nous recevons de temps en temps des cas de consommation de stupéfiants », indique Florence Palm/Kaboré attachée d’éducation spécialisée. Généralement, « ces mineurs arrivent par ordonnance judiciaire et sous placement d’un juge des enfants, d’un procureur, d’un juge d’application des peines. La durée du séjour est déterminée à chaque pensionnaire par les juges », précise-t-elle.
Le Centre de réinsertion des enfants en conflit avec la loi de Laye est composé d’un bâtiment administratif, de deux cuisines (une fonctionnant au gaz et l’autre au bois), de deux hangars qui servent de classes, de dortoirs, de salle de divertissement, d’ateliers de formations en mécanique, soudure et menuiserie, d’un jardin potager aménagé sur une superficie d’un hectare. Dans ce jardin, les pensionnaires y cultivent de l’oseille, de l’arachide, du gombo et pleins d’autres choses destinées à leur propre consommation.
Sur le site, il y a également des enclos destinés à l’élevage de porcs et de moutons pour la consommation interne. Jean-Noël Konombo est le chef de sécurité du Centre. Lui et ses coéquipiers sont toujours en civil pour ne pas rappeler aux pensionnaires des souvenirs de leur arrestation par les forces de sécurité. Le Centre est aussi doté d’une infirmerie qui sert périodiquement de local à un psychologue-pédagogue pour ses consultations avec les enfants.
De la rue aux études
Le Centre de Laye dispose d’un plan de réinsertion sociale pour chaque mineur admis. Ce plan vise à amener l’enfant à opérer des changements comportementaux à travers l’éducation et la formation. L’éducation est l’une des pièces maîtresses qui forge la nouvelle personnalité du mineur. Tous les mineurs présents au Centre sont obligés, durant leur séjour, de participer aux cours d’éducation civique et morale.
En conflit avec la loi, les enfants arrivent au Centre avec un ensemble de mauvais comportements acquis et souvent des expériences douloureuses dans des établissements pénitentiaires où ils ont séjourné avant leur arrivée au Centre. L’éducation civique est donc un bon moyen pour mesurer l’intérêt du mineur à corriger son parcours de vie, à se remettre en question et à se repositionner par rapport au contexte social dans lequel il doit évoluer s’il veut éviter le retour à la délinquance et les sanctions limitant sa liberté.
A travers les cours, il est offert aux mineurs des occasions de réflexion, d’échanges d’opinion et d’expériences entre eux sous la conduite d’un éducateur. Pendant le cours, des arguments sont développés et un système des valeurs correspondant à celui de l’environnement social de référence du mineur. Ils sont ainsi confrontés à l’expérimentation de la responsabilisation sociale à travers des responsabilités qui leur sont confiées dans le Centre.
Pour ce qui concerne la formation, elle regroupe des ateliers de mécanique, soudure, électricité, menuiserie, informatique, couture, savonnerie, batik, élevage et apiculture. « A la fin de leur formation, ils peuvent obtenir le diplôme de Formation complémentaire de base (FCB), qui est un diplôme national au niveau de l’alphabétisation. Ceux qui ont un certain niveau peuvent passer des examens nationaux tels que le CEP, BEPC ou BAC », explique Florence Palm/Kaboré, l’attachée d’éducation spécialisée du Centre de réinsertion de Laye. Elle ajoute que les pensionnaires qui souhaitent faire des métiers de l’artisanat font l’examen du Certificat de qualification professionnelle (CQP).
« Chaque année, et ce, depuis 2010, les mineurs qui remplissent les critères sont régulièrement inscrits dans les écoles primaires publiques ou au lycée provincial de Laye. Le Centre a souvent fait des taux de succès de 100% pour les candidats présentés aux différents examens de fin d’année organisés par les structures compétentes de l’Etat. A ce jour, 470 mineurs du Centre ont réussi à ces différents examens. Un de nos anciens mineurs poursuit aujourd’hui ses études après son BAC en informatique dans une université en Inde », indique Issa Traoré, Directeur du Centre.
Avec son système éducatif, les enfants qui arrivent au Centre, sans une base académique, parviennent à lire et à écrire. La durée moyenne de séjour au Centre est de deux ans. Pendant cette période, toutes les instances qui ont été à la base de l’arrivée d’un enfant au Centre (procureur, juge, service social, etc.) sont informées que ce dernier est apte à retourner aux côtés de ses parents. Une fois le Centre quitté, un suivi régulier est fait avec les parents, le service social et le formateur.
Selon Florence Palm/Kaboré, « les coûts de formations, y compris de l’alimentation, du suivi psycho-éducatif, de l’éducation civique et morale qui permet d’inculquer des valeurs morales aux enfants, du kit d’installation après formation, sont assurés gratuitement par le Centre ». Mais après la sortie du Centre, le suivi régulier et la mise à disposition du kit d’installation ne sont toujours pas une réalité.
Réinsertion inachevée
Après deux années passées au Centre, A. O. est jugé apte, par les responsables, à être inséré dans la société. Pour ce faire, l’adolescent qui a fait une formation en mécanique au Centre a été confié à un mécanicien professionnel pour l’aider à développer ses compétences et voler de ses propres ailes. Mais très vite, la mauvaise compagnie et le goût de la rue refont surface et réduisent à néant les efforts du Centre de réinsertion. L’absence ou la défaillance d’un suivi rigoureux est la principale cause de l’échec de la réinsertion de l’adolescent.
L’histoire du jeune A. O. n’est pas un cas isolé. P. Y. est aussi une ancienne pensionnaire du Centre de Laye. Elle a été placée dans le Centre en 2013 pour vols dans la région du Centre-Ouest. La jeune fille qui comprend bien le Mooré et le Dioula s’est très bien insérée dans son nouvel environnement. Disciplinée et passionnée de couture, elle s’initie et se perfectionne dans cette filière durant son séjour au Centre.
A sa sortie en 2015, elle a été placée en stage de perfectionnement dans un atelier de couture pour s’améliorer davantage sous la supervision du Centre, des parents, du service social et du propriétaire de l’atelier de couture. Sa réinsertion se déroulait bien jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Elle décida d’abandonner son stage de perfectionnement malgré les conseils des parents. Celle-ci coupa tout contact avec tous les acteurs engagés pour son processus de réinsertion.
A. B. est un ancien pensionnaire du Centre de Laye reconverti en couturier. Aujourd’hui, propriétaire d’un atelier de couture et de trois boutiques de ventes de vêtements dans certaines localités du Burkina Faso, le jeune homme de 29 ans emploie cinq jeunes. Rencontré le 18 septembre 2023 dans sa petite unité, mètre au cou, A. B. apprend à une cohorte d’apprentis comment manier le ciseau ou confectionner des tenues pour hommes et pour dames. Ce métier, il l’a appris au Centre de réinsertion sociale.
Selon lui, la défaillance du système de suivi a occasionné la récidive de certains de ses co-pensionnaires. Il explique que le Centre est présent à leur côté jusqu’à la remise du kit de démarrage et après plus aucune nouvelle. Dans son cas, le jeune homme indique avoir maintes fois fourni des efforts pour garder le contact, sans succès, avec le personnel du Centre après sa formation.
D’après son témoignage, beaucoup de ses amis co-pensionnaires ne désirent plus entendre parler du Centre à cause des différends qu’ils ont eus avec le personnel et aussi à cause de la non-disponibilité de la structure à les accompagner jusqu’au bout de leur réinsertion. « Certains ont pris conscience et se sont battus contre leurs vieux démons (les tentations de récidives – NDLR) pour ne pas retomber dans la délinquance. D’autres par contre n’ont pas pu résister et ont repris leur ancienne vie », regrette-t-il.
La stigmatisation, l’autre limite à la réinsertion
Selon une étude intitulée « Laye ou la problématique de l’utilité sociale des centres de réinsertion pour mineurs en conflit avec la loi au Burkina Faso », menée par Moubassire Sigué, Desire Boniface Somé et Fatoumata Badini/Kinda, il en ressort que, contrairement aux responsables des Centres qui magnifient la contribution à l’insertion socioprofessionnelle des mineurs en conflit avec la loi, les ex-pensionnaires évoquent plutôt des insuffisances.
« Nous ne sommes pas suffisamment formés dans les métiers comme d’autres élèves qui sortent avec des compétences et des diplômes. Sur le marché de l’emploi, en termes d’employabilité, nous sommes en arrière, sans oublier la mauvaise image sociale qui nous suit », affirme un ex-pensionnaire en juillet 2021, cité par l’étude.
Le document indique que les considérations locales et l’image du détenu en général sont porteuses d’une étiquette dévalorisante pour les ex-pensionnaires. « L’enfant réinséré est méprisé, car ne faisant pas la fierté de la famille. Ce mépris social conjugué à la stigmatisation engendre des entraves à la socialisation de l’enfant, son isolement et, par suite, le risque de récidive. Il en découle qu’à cause de son passé, le mineur n’inspire plus confiance vis-à-vis de l’employeur et la réinsertion socioprofessionnelle prend un coup », précisent les auteurs.
Ils estiment alors qu’il est important de prendre la mesure des facteurs de reconversion et d’insertion communautaire du mineur, surtout dans un contexte de crise sécuritaire dont nombre de ces mineurs sont des déplacés internes. « Les mineurs en conflit avec la loi sont placés dans les centres sur ordonnance du juge. L’action sociale s’occupe des mineurs déplacés internes sur les sites aménagés à cet effet. Mais je trouve que cela n’est pas suffisant. Pour une bonne politique humanitaire, les pouvoirs publics pouvaient faire mieux pour le mineur afin qu’il puisse vivre dans des conditions de placement », explique un agent de l’administration pénitentiaire, cité par l’étude.
Le difficile autofinancement
La contribution du Centre de Laye au désengorgement des prisons civiles par la prise en charge des mineurs reste insuffisante. Cette insuffisance se justifie par la faiblesse des moyens mis à la disposition du Centre par ses partenaires et par l’Etat, conformément aux dispositions internationales et nationales.
Au Burkina Faso, l’article 77 de la loi 015-2014/AN portant protection de l’enfant en conflit avec la loi ou en danger stipule que l’enfant à l’égard duquel est établie la prévention d’une contravention ou d’un délit fait l’objet d’une ou plusieurs des mesures ou sanctions par décision motivée du juge des enfants ou du tribunal pour enfants. Au nombre de ces sanctions, figure, entre autres, le placement dans une institution ou un établissement public ou privé spécialisé dans la réinsertion des enfants en conflit avec la loi par l’éducation ou la formation professionnelle.
En son article 83, la loi dispose que « En cas de placement de l’enfant dans un établissement médical, d’éducation ou de formation, le juge des enfants ou le tribunal pour enfants peut déterminer la part contributive des parents ou des représentants légaux aux soins, à l’éducation ou à la formation de l’enfant… Dans ce cas, les frais sont pris en charge par le trésor public ».
Mais pour son fonctionnement, le Centre mène certaines activités (élevage, apiculture, maraîchage) surtout destinées à l’autoconsommation ainsi qu’à la vente sur le marché local. Les recettes générées par ces activités sont utilisées pour les besoins courants de gestion du Centre. Cependant, ces activités génératrices de revenus ne sont pas suffisamment développées pour permettre un auto-financement du foyer, au regard de ses besoins.
« Nos limites sont essentiellement le regret de ne pas pouvoir offrir plus de places, pour recevoir plus d’enfants. Également le regret d’être fortement dépendant des subventions et aides des partenaires de plus en plus rares », regrette Issa Traoré, Directeur du Centre avant d’ajouter : « Nous avons tous intérêt à comprendre que si on s’investit aujourd’hui dans l’éducation des enfants en général et des enfants en conflit avec la loi en particulier, c’est s’investir déjà dans la résolution des graves crises des adultes de demain ».
Enquête réalisée par Mireille Sandrine Bado avec le soutien de la CENOZO dans le cadre de la phase 2 du projet “Autonomisation des femmes journalistes du Burkina Faso”.