Burkina Faso / Lutte contre la pollution plastique : sur un chemin pavé de recyclage
Au Burkina Faso, plus de 200 mille tonnes de déchets sont produites chaque année, selon le ministère de l’Environnement. Ces sachets ou emballages sont généralement déversés dans des décharges ou brûlés, ce qui exacerbe la pollution à laquelle le pays fait déjà face. Mais depuis plusieurs années, à Koudougou, dans la région du Centre-Ouest, des jeunes Burkinabè redonnent une seconde vie à ces déchets en les transformant en pavés. Une solution d’avenir ?
Quartier Burkina. Nous sommes au secteur 10 de Koudougou, précisément à une cinquantaine de mètres de la salle polyvalente de la cité du Cavalier rouge. Là, réside Oumar Ouédraogo. Il est à peu près 8h 50 mn ce jour d’octobre, ciel est sombre. Dès le portail, les œuvres d’art (bancs, tabourets, résidus de pavés, pots de fleur…) donnent une idée de l’activité qui s’y mène.
A quelques mètres, se trouve un hangar de fortune qui sert de petite unité de recyclage à Oumar. Il passe le clair de son temps dans cet endroit compartimenté. Chaque semaine, il se procure une dizaine de kilogramme de déchets plastiques de toutes sortes, le plus souvent auprès de la brigade verte de Koudougou, mais également avec les ramasseuses de sachets plastiques, moyennant de l’argent.
Le prix du bois de chauffe étant devenu coûteux (le tas de 2500 FCFA est passé à 7500 F CFA), le jeune homme utilise désormais du gaz butane (la bouteille de 12 kg), ce qui, selon lui est économique et peut assurer la fabrication de 12 m2 de pavés.
Procédure particulière
Tout est réglé à la minute près, pour la confection de ce type de pavés. Même si Oumar détient le « Rapport d’Ingénieurs sans frontières Belgique (IsF) sur la Qualité des fumées de la combustion de sacs plastiques », qui prouve l’innocuité de la fumée dégagée lors de la fonte des sachets (ne pollue pas l’environnement et n’affecte pas la santé humaine), il enfile délicatement les gants et le masque de sécurité qu’il a lui-même fabriqués pour se protéger.
Première étape : allumage du gaz, réglage de la température et dépôt de la cuve sur le foyer amélioré. Ensuite, il y introduit des sachets plastiques (de tous types sauf les noirs) allumés au préalable. Ce procédé, Oumar l’a bien inventé pour empêcher la fumée d’envahir l’atmosphère et accélérer la fonte. Dans la foulée, des crépitements se font entendre, qui font penser à la cuisson du pop-corn.
Mais le jeune homme rassure : « Ce sont les sachets qui contiennent encore quelques gouttes d’eau ». Durant la fonte, il y ajoute progressivement des sachets de couleurs tout en remuant le contenu à l’aide d’une perche. Trente minutes plus tard, il adjoint les sachets noirs (c’est-à-dire en dernière position). « N’y voyez pas un fait anodin, car dès que les sachets noirs fondent, ils perdent leur élasticité et deviennent comme du charbon. C’est pourquoi ils viennent à la fin du processus de transformation des sachets en pâte homogène », explique l’inventeur. Pas de répit après une brève conversation.
L’étape cruciale débute par l’ajout graduel du sable tamisé. Pendant une vingtaine de minutes, Oumar s’applique à remuer la substance pour éviter qu’elle se colle à la cuve. Il marque une pause et lance : « A cette étape, la pâte est lourde, donc difficile à mélanger. Mais il faut continuer à remuer avec rapidité sinon c’est la catastrophe au moindre relâchement ».
Une fois la pâte arrivée à maturité, sans perdre la moindre seconde, il la verse, à l’aide d’une pelle, dans des moules enduites. Et à l’aide d’une truelle, il y donne une forme. Une fois le processus de fabrication enclenché, Oumar ne se laisse pas distraire. La preuve, il est resté imperturbable face aux appels incessants téléphoniques de son ami qui, finalement, s’est présenté à son lieu de travail. Ayant à peine franchi la porte qu’il est accueilli par ces mots de l’artisan : « Je t’avais dit que j’avais du travail… tu sais parfaitement que je ne décroche pas lorsque je suis lancé ».
Au terme d’une heure de repos, l’opération est un succès. Pour cette expérience, 4 kg de sachets et 15 kg de sable ont donné six pavés gris et légers confectionnés avec brio. Habituellement, pour obtenir 34 pavés (soit un mètre carré), le jeune homme utilise 20 kg de sachets et environ 80 kg de sables puisque le dosage de base établi est de 5kg de sachets pour 20 kg de sable.
Durables et économiques
Ne dit-on pas que la charité bien ordonnée commence par soi-même ? Devant la maison du jeune Oumar Ouédraogo sont posés 8m2 de pavés qu’il a conçus depuis maintenant cinq ans. Outre l’extérieur coquet de son habitation, l’inventeur a fait l’expérience du confort que produisent ces objets recyclés. « Contrairement au ciment, le plastique ainsi transformé n’emmagasine pas la chaleur pour la libérer une fois la nuit tombée », assure-t-il.
Ce n’est pas Titi Josias Kaboré, environnementaliste, qui dira le contraire, lui qui s’est procuré 17 m2 pour embellir la devanture de son bureau. Pour l’expert, « c’est une alternative pour débarrasser l’environnement de l’un des déchets les plus problématiques de la planète : le plastique ». Les pavés à base de déchets plastiques, poursuit-il, sont plus « résistants, solides, imperméables et moins coûteux (5000 F CFA le m2 – NDLR) que ceux ordinaires (dont les prix vont de 7000 à 12 000 FCFA le m2 – NDLR), qui s’altèrent rapidement ».
Relevant, par ailleurs, le bénéfice écologique des pavés « made in Koudougou », l’environnementaliste soutient que la transformation des déchets plastiques permet une gestion prudente des ressources en eaux souterraines en améliorant les sols et le climat. Ils débarrassent de la nature tous les sachets usés qui polluent, impactent la recharge des nappes phréatiques et provoquent la mort de certains animaux et micro-organismes. « Les pavés à base de déchets plastiques sont comme de l’acier. Ça ne se dégrade pas, c’est étanche et ça n’aspire pas l’eau. Ils peuvent atteindre une durée de vie de 25 à 30 ans », témoigne-t-il.
Pourvoyeur d’emplois
Le recyclage est défini comme toute réintroduction de matière dans un processus de production qui le dévie du flux de déchets, à l’exception de la réutilisation comme combustible, selon l’ONU Environnement. En clair, c’est un processus qui vise à extraire du flux des déchets les éléments potentiellement valorisables afin, après des opérations successives de tri, de les transformer en nouvelles matières premières directement utilisables.
Tout comme Oumar Ouédraogo, Hachim Compaoré, architecte-urbaniste, confectionne des pavés, mais avec tout type de déchets plastiques et en quantité industrielle. A Ouagadougou, il emploie de la main-d’œuvre du processus de triage des déchets plastiques au broyage et au séchage en passant par le lavage. Il a livré des échantillons (plus d’une dizaine de m2) à Séguénéga et à Kalsaka, dans la province du Yatenga, destinés à la réalisation de supports pour l’installation de plaques solaires et de maisons démontables.
De son côté, Vivien Ilboudo, ingénieur en génie civil, initie des formations sur la fabrication des pavés à base de déchets plastiques et le posage. En mars 2023, il a formé plusieurs femmes déplacées internes (PDI) à Toma, dans la province du Nayala, afin qu’elles en fassent, à terme, une activité génératrice de revenus.
Au niveau de l’Etat burkinabè, le recyclage sonne comme un moyen efficace contre la pollution plastique. Selon le ministre de l’Environnement, Roger Baro, la problématique de la gestion des déchets, singulièrement celle des déchets plastiques, se pose avec acuité en raison de divers facteurs, dont l’insuffisance des infrastructures de traitement et de valorisation des déchets.
Résultat, d’importantes quantités de déchets plastiques détériorent considérablement la qualité de l’environnement et l’état de santé de la population. A titre d’exemple, « sur la décennie écoulée, les importations de plastique ont presque doublé, passant de 60 000 tonnes en 2012 à 118 400 tonnes en 2021. Cette forte consommation de plastique entraîne une importante production de déchets plastiques, qui a plus que doublé dans l’intervalle d’une décennie », a-t-il déclaré.
Face à la situation critique, le ministère de l’Environnement, à travers le Fonds d’invention pour l’environnement (FIE), a lancé le 18 décembre 2023 l’appel à projets dédiés à la lutte contre la pollution plastique. Cette initiative de plus de 700 millions de FCFA concerne la production d’emballages alternatifs au plastique, mais surtout, la collecte, le traitement et la valorisation.
De manière concrète, cet appel à projets est destiné aux entreprises ou particuliers des 13 régions du Burkina Faso qui présenteront un processus de gestion prenant en compte la collecte, le transport, le stockage, le traitement et la production des produits semi-finis (le broyat de plastique, les granulés de plastique, les planches et tout autre produit intermédiaire destiné à la production de produits finis) ou finis (les pavés, les tables bancs, les dalles, les coffrets de compteur d’eau et d’électricité, les gadgets, les seaux, les bidons, les sacs, les bassines, les gobelets, les assiettes, les bouilloires, etc.).
« En lançant cet appel à projets, on va mettre à la disposition des acteurs, des mécanismes de financement pour permettre, à terme, de faire face aux défis du péril plastique. Parce que qu’au Burkina Faso, nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes », a indiqué le ministre.
Système de collecte insuffisant
La période propice pour s’approvisionner, en grande quantité, de sachets plastiques usagés est le mois d’avril. De fait, la chaleur bat son plein dans la ville de Koudougou favorisant la consommation d’eau fraiche en sachet et la baisse du prix au kilogramme des sachets plastiques (75 F le kg). Mais passé ce moment, la collecte devient de plus en plus insuffisante. Les artisans se tournent le pouce pour avoir de la matière première.
Même son de cloche chez les collectrices de plastique. Le ramassage constitue un gain difficilement rentable pour subvenir aux besoins de leurs familles. Car les déchets plastiques ne pesant pas assez lourd, il faut parcourir plusieurs kilomètres pour espérer collecter une quantité assez conséquente de ces « marchandises » pour « faire le poids ».
Aminata Bagagnan, collectrice depuis 9 ans, envisage de se reconvertir. Celle dont la collecte de sachets, débute à 7h pour s’achever à 21h, ne vit plus de son activité. Auparavant, elle percevait 37 500 francs CFA en moins d’un mois, en raison de 125 francs CFA le kilogramme de déchets vendu. Aujourd’hui, le kilogramme du déchet plastique est acheté au prix de 100 francs CFA.
A la Brigade verte de Koudougou, l’absence de site de stockage rend complexe la gestion des déchets plastiques. Pour éviter l’amoncellement des ordures, la structure emploie des femmes, chargées de faire le tri et le lavage des sachets usagés après récupération. Les « lavés » sont vendus à 200 francs CFA/kg et les “sales“ à 125 francs CFA/kg. Cependant, « nous avons du mal à trouver des acheteurs de nos sachets plastiques et c’est un de nos défis majeurs », explique Christine Yaméogo la présidente de cette brigade.
Le phénomène des déchets plastiques persiste au Burkina Faso. Il occupe 4% de la production annuelle des déchets, soit une masse totale d’environ 12 000 tonnes, selon une étude menée par la Banque mondiale « What a Waste » en 2012. Le document révèle que la quantité de déchets solides municipaux produits est estimée à 1 288 tonnes par jour.
De plus, « la capitale burkinabè génère annuellement environ 90 000 tonnes de déchets plastiques et chaque jour, elle produit 1 600 tonnes environ », annonçait dans une interview en 2023, le conseiller technique du Président de la délégation spéciale (PDS) de Ouagadougou, Sidi Mahamadou Cissé. Malgré des initiatives locales, la gestion des déchets plastiques reste insuffisante faute de structures de recyclage adaptées.
Risques du recyclage
Si les acteurs sont unanimes sur le bien-fondé du recyclage des déchets plastiques, ils reconnaissent toutefois que le processus contient d’énormes risques sur la santé. D’après les chercheurs de Scientists Coalition Briefing (www.scientistscoalition.org) les plastiques contiennent plus de 13 000 substances chimiques, dont 3 200 sont classées dangereuses.
Un rapport de Human Rights Watch datant de 2022 a même documenté les effets sur la santé des installations de recyclage de plastique en Turquie, constatant que les travailleurs du secteur du recyclage et les habitants des environs peuvent être exposés à des produits chimiques nocifs lorsqu’ils inhalent des poussières ou des fumées toxiques. Ils risquent ainsi de souffrir toute leur vie de problèmes de santé, notamment de cancers et de troubles de la reproduction.
Dans une étude réalisée en 2023, le Réseau international pour l’élimination des polluants (IPEN) a révélé la présence de « Dechlorane Plus » (DP), un produit chimique ignifuge pour plastiques, dans le sang, les aliments et l’environnement des personnes travaillant dans le secteur du recyclage à domicile. Ainsi, l’analyse du sang d’un travailleur du secteur du recyclage de matières plastiques en Thaïlande a révélé un niveau de DP plus de 200 fois supérieur aux traces trouvées chez les travailleurs agricoles qui vivaient à 15 km des sites de recyclage.
Sur le plan environnemental, les risques de pollution sont élevés lorsque les déchets plastiques sont brûlés, précise Greenpeace, le réseau mondial qui milite pour la protection de l’environnement. Dans son rapport intitulé « Toxique à jamais », l’organisation indique l’augmentation des stocks de déchets plastiques dans les installations de recyclage accroît le risque d’incendies importants.
Pour preuve, au cours des 12 mois précédant avril 2023, d’importants incendies ont été signalés dans des installations de recyclage de plastique en Australie, au Canada, au Ghana et en Russie. C’est pourquoi les experts de Greenpeace plaident pour que « les zones de recyclage du plastique soient soumises à la même réglementation que les installations qui traitent des déchets dangereux », précise le rapport.
Des recommandations que le Burkina Faso pourrait inclure dans sa législation en matière de gestion des déchets plastiques afin d’atteindre son objectif de réduire de 29,42% les émissions des Gaz à effets de serre (GES) d’ici à 2030 et 34,43% à l’horizon 2050, dans le cadre du Projet appui à la promotion de la Contribution déterminée au niveau national (CDN).
Une production réalisée par Roukiétou Soma avec le soutien du CENOZO dans le cadre de la phase 2 du projet “Autonomisation des femmes journalistes du Burkina Faso”
Encadré : le recyclage, un métier juteuxPour Oumar Ouédraogo qui a exclusivement des clients particuliers, la fabrication de pavés issus de la fonte des sachets plastiques nourrit son homme, bien que ce ne soit uniquement sur la base de commandes qu’il en produit. Et pour la petite histoire, il dit se rappeler sa plus grande commande comme si c’était hier ; soit 70 m2 achetés par une résidente du secteur 9 de Koudougou qui vit à l’extérieur depuis quelque temps maintenant. Et d’ajouter que chez lui, c’est en saison pluvieuse que les commandes sont fréquentes. Sauf qu’à cette période, il est difficile non seulement d’avoir la matière première (le sachet), mais aussi de stocker le sable, car celui-ci doit être sec. Mais il n’y a pas que les pavés qui lui procurent de quoi subvenir à ses besoins, a-t-il précisé. En effet, on y retrouve également des fauteuils, des bancs, des chaises, des tables et pot de fleurs qui ont aussi été réalisés à base de sachets plastiques. Toutefois, ce secteur peut véritablement lutter à la lutte contre le chômage des jeunes et donc contribuer au développement économique du pays, selon lui. Mais pour cela, il faut, de l’avis d’Oumar, plus d’engagement des autorités aussi bien au niveau central de l’Etat qu’à l’échelle déconcentrée. Cet engagement passe, dit-il, par l’organisation de formations au profit des acteurs évoluant dans le domaine de la valorisation des déchets plastiques, l’accompagnement en moyens financiers et matériel, la tenue régulière de foire pour la promotion de produits issus du recyclage, mais aussi l’utilisation de ces articles par les différents services en vue de donner un écho favorable au concept « consommons local ». R.S. |