Shadow Diplomats : un empire pour les mines
- Me Stéphane Harvey, un Consul honoraire du Togo en déshonneur au Canada
- Elias Ammar, un autre en costume sombre
Il a aidé plusieurs collègues à devenir Consul honoraire pour faire des affaires dans le secteur minier en Afrique. Le 7 juillet 2021, la Cour l’a condamné à l’issue du jugement d’un procès avec un de ses associés qu’il a voulu faire nommer Consul honoraire au Burkina Faso.
Il s’agit de l’avocat canadien, Me Stéphane Harvey. Nommé Consul honoraire du Togo au Québec, ce dernier a profité de son statut (de Consul) pour avoir un accès plus facile aux gouvernements africains, faire des affaires et obtenir des faveurs pour des « investissements » dans « l’exploitation minière » en Afrique.
Me Harvey fait partie des plus de 500 Consuls honoraires impliqués dans des scandales et des déboires juridiques qu’ICIJ (Consortium international de journalistes d’investigation) et Propublica ont recensé dans le cadre d’une enquête mondiale baptisée Shadow Diplomats.
Cette enquête mondiale qui regroupe 160 journalistes dans 46 pays ayant travaillé sur ce projet Shadow Diplomats a vu la participation de plusieurs médias de l’Afrique grâce à la CENOZO (Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest). Parmi eux, De Cive, membre de Togo Reporting Post, un Consortium de journalistes togolais d’investigation.
Shadow Diplomats ou Diplomates fantômes, c’est une véritable plongée dans l’antre des Consuls honoraires. Au Togo, un mystère entoure leur nomination. Celle de Me Stéphane Harvey s’est faite dans un claquement de doigts. Alors même que c’est un avocat poursuivi par la justice canadienne pour être au cœur de plusieurs intrigues.
Dans le cadre de cette enquête concernant le Consul honoraire du Togo, les principales interviews ont été réalisées conjointement par Pierre-Claver KUVO de De Cive (Togo), Will Fitzgibbon de ICIJ (Washington) et de Romain Schué de Radio Canada (Québec).
À sa nomination en 2009 comme Consul honoraire du Togo au Québec, Me Stéphane Harvey, visiblement, s’est vu emballer par les défis qui l’attendaient. « Les besoins d’infrastructures et de réformes administratives et économiques sont essentiels dans de nombreux secteurs au Togo, et l’expertise québécoise sera salutaire », avait-il déclaré au Québec devant un parterre d’officiels du Togo et du Canada, à l’occasion d’une réception au cours de laquelle il a été présenté aux membres du corps diplomatique.
Réseaux. Au sein de son Consulat honoraire, l’homme pour se mettre à la tâche, construit son équipe et ravive ses réseaux d’affaires. Tous sont de nationalité canadienne. Il fit nommer Me Michel Barakatt, son principal associé en business, adjoint au Consul et chef contentieux, et se rapproche d’un autre homme d’affaires appelé Patrick Guay. Un ami.
Avec Daniel Morneau aussi, Me Harvey entretient des liens d’affaires depuis 2013. Il lui confie le rôle de Directeur de la communication et des relations médias. Et c’est également lui qui s’occupe des émissions des visas.
Selon une décision du 7 avril 2022 rendue par le Conseil de discipline du Barreau du Québec, Daniel Morneau reconnaît avoir délivré dans le compte du Consulat honoraire des visas pour le Togo et avoir reçu une rémunération de la part de Me Harvey qui lui confiait des « différents mandats de communication ».
En 2011, mettant sur un piédestal l’Accord politique dit de Redressement économique et de la Reconstruction, intervenu en 2010 entre l’opposant farouche Gilchrist Olympio de Union des Forces du Changement (UFC) et le pouvoir de Faure Gnassingbé, Me Harvey annonçait au Togo la préparation d’une mission économique.
« Une relance et une reconstruction qui ouvrent la porte à une multitude d’occasions en or. C’est pourquoi les entreprises et organisations canadiennes et québécoises sont invitées à y investir et à s’y installer », a-t-il expliqué au magazine Prestige. Cette mission n’aura jamais eu lieu. Puisque selon l’Ambassade du Togo au Canada que nous avons contacté, Me Harvey n’a jamais mis pied au Togo.
Derrière le voile apparent
Suspension. Et c’était officiel. Depuis 2019, Me Stéphane Harvey n’est plus Consul honoraire du Togo au Québec. En a-t-il été viré pour ses multiples frasques et déboires judiciaires ? Devant le Tribunal lors de l’un de ses procès, alors qu’il faisait croire qu’il attendait son renouvellement, il a déclaré aux juges que « toutes les accréditations sont suspendues en raison de la pandémie ». A l’en croire, c’est le gouvernement canadien qui faisait bloquer le processus.
Contacté, le gouvernement canadien a estimé sans autres explications que son mandat a expiré en 2019. « Me Stéphane Harvey n’est pas actuellement un Consul honoraire et ne figure pas sur le site Web ” Représentants étrangers au Canada ” d’Affaires mondiales Canada. Le mandat de M. Harvey en tant que consul honoraire pour la République du Togo a expiré et son nom a par conséquent été retiré du site Web en 2019 », a confié le ministère des Affaires mondiales Canada (ministère des Affaires étrangères) à notre équipe d’enquête.
Mais la version de l’Ambassade du Togo au Canada est vraiment différente. Elle nous a confié que Me Harvey « est suspendu » par le Canada. « M. Harvey n’est plus consul, car on [Le Canada] n’a pas renouvelé sa carte. Il est suspendu pour des raisons administratives. Son agrément n’a pas été renouvelé par le Canada », a déclaré Ptangme Peketi, Premier conseiller et chargé d’affaires de l’Ambassade du Togo.
Estimant que le « Canada n’est pas obligé de justifier pourquoi ils ne lui renouvellent pas son agrément », Ptangme Peketi a indiqué que le Togo a pris acte des décisions du Canada et de des ennuis judiciaires de Me Harvey. Et d’ajouter : « On sait qu’il a des problèmes avec son activité professionnelle, mais pas comme Consul. Comme Consul honoraire, on n’a rien à lui reprocher dans l’exercice de ses fonctions ». Au moment où nous réalisons cette enquête, sa page Facebook[1] que nous avons consulté le 09 novembre 2022 l’affichait toujours comme Consul honoraire du Togo au Québec.
L’incohérence dans les versions semblent cacher quelque chose d’incorrect. L’éviction de l’avocat serait-il en lien avec des problèmes judiciaires ? En tout cas, le Togo reconnaît ses problèmes au Canada qui a pris la décision. Depuis plusieurs années, il a des démêlés avec le Barreau du Québec.
Déboires. Nommé depuis 2009 Consul honoraire du Togo au Québec, poste qu’il occupait jusqu’en 2019, Me Stéphane Harvey est un avocat empêtré dans les affaires judiciaires avec plusieurs chefs d’infraction retenues contre lui.
En Côte d’Ivoire, il a deux affaires devant la Justice[2]. Lui qui était associé d’André Sholmes Yao N’Dri un homme politique ivoirien pour l’exploitation minière dans la région de Kossou est loin d’en finir avec les plaintes et les chefs d’accusation qui ponctuent son parcours, non seulement d’avocat, mais aussi de Consul et d’homme d’affaires.
Au Canada, traduit devant son ordre professionnel, l’avocat de Québec Me Stéphane Harvey est actuellement en attente de sa radiation du barreau d’avocat de son Etat pour une affaire d’appropriation dans laquelle il est reconnu coupable par le Conseil de discipline du Barreau du Québec. En 2017, une enquête de syndic de ce Barreau[3] a révélé qu’il s’était illégalement approprié des sommes reçues pour défendre un client accusé de fraude. L’affaire étant toujours pendante à la Justice de son pays.
Le Bureau du syndic est l’un des instruments de contrôle de l’exercice de la profession par lequel le Barreau s’acquitte de sa mission de protection du public. Il offre aussi le service Info-Déonto aux avocats qui ont des questions de déontologie.
Le rôle du Bureau du syndic se situe au carrefour de l’accès à la profession et du contrôle de l’exercice de la profession. Il consiste à :
Il est par ailleurs une partie aux instances disciplinaires qu’il instaure en plus d’être responsable du traitement des demandes d’accès à l’information relatives aux documents détenus par le Bureau du syndic. Source : https://www.barreau.qc.ca/fr/ressources-avocats/deontologie-avocats/bureau-syndic/ |
« On lui reproche, entre autres, de s’être approprié illégalement un montant totalisant de près de 50 000$ au titre des sommes détenues en fiducie et d’avoir entravé le travail d’enquête des représentants du Barreau en leur remettant quatre factures « d’honoraires professionnels simulés » », révèle dans sa livraison du 22 juin 2021, le confrère canadien tvanouvelles.ca[4] rappelant que ce dernier « est visé par deux plaintes disciplinaires comportant 24 chefs (disciplinaires) allant de l’entrave au travail des enquêteurs du Bureau du Syndic à l’appropriation illégale de sommes d’argent ».
En 2016, le Consul Honoraire du Togo au Québec, Me Stéphane Harvey, est accusé d’avoir « intimidé, exercé ou menacé d’exercer des représailles » contre un client en intentant une demande en justice en dommage-intérêt contre celui-ci en raison de la « dénonciation, par ce dernier, de comportements contraires au code de déontologie ».
Récemment, et dans une décision de 213 pages rendue le 7 avril 2022, le Barreau de Québec l’a reconnu coupable de multiples infractions. Il est reconnu coupable de « s’être approprié des sommes détenues dans le compte en fidéicommis d’un de ses clients, d’avoir fait défaut de rendre compte de sa gestion, d’avoir intimidé son client, d’avoir entravé l’enquête du syndic, d’avoir contrefait ou fait contrefaire les initiales d’un de ses clients sur une de ses factures. Il a même payé sa cotisation annuelle du Barreau en pigeant dans le compte d’un autre de ses clients », rapporte Radio Canada.
Selon une décision sur la culpabilité, un certain « Monsieur R explique que des informations circulent depuis la fin de l’année 2017 au sujet de l’intimé [Me Harvey]. Son intégrité est remise en question. Selon ces informations, un citoyen s’est plaint au Barreau du fait que l’intimé [Me Harvey] aurait détourné des fonds ». « Les autorités du Togo n’ont pas bien pris ce renseignement. Cette information a fait reporter une mission économique impliquant l’intimé (Me Harvey) », précise la décision du Barreau. Sollicité, le gouvernement togolais n’a pas donné de suite.
Dans une réponse laconique à notre questionnaire que nous lui avons adressé, Me Harvey a estimé que « c’est plutôt » lui « qui a été victime d’une fraude » et nous « invite à consulter les articles parus » à son sujet dans Droit inc pour nous rendre à l’évidence. « L’information que vous avez précède de cette découverte », a-t-il chuté.
Le 7 juillet 2021, la Cour Supérieure québécoise l’a condamné dans un litige qui l’oppose à un de ses associés Patrick Guay. De nationalité canadienne, Me Harvey, avocat au Barreau de Québec, pratique en litige, en commercial et en criminel. Aussi homme d’affaires, il renforce son business, sa position dans les mines africaines et fait avancer ses projets aurifères en Afrique. A cette fin, il fait nommer auprès des chancelleries, ses hommes Consul honoraire du Sénégal et du Burkina Faso, la tentative de l’Angola ayant échoué.
Affaires. Deux hommes d’affaires. Harvey et Guay, deux associés qui se sont connus en 2007. Propriétaire de la Compagnie Investissement Guay Légaré Inc, Patrick Guay, un homme d’affaires qui fait dans l’immobilier, était un client du cabinet Gestion Stéphane Harvey Inc détenu par Me Harvey. En plus de son double statut d’Avocat et de Consul Honoraire, ce dernier investit, lui aussi dans l’immobilier. Les deux hommes font affaire ensemble et ont été partenaires dans le secteur minier en Afrique. En 2013, ils ont investi dans une Compagnie africaine d’investissement : SEGA ressources, spécialisée dans l’exploitation d’une mine d’or en Côte d’Ivoire.
M. Guay a raconté au Tribunal que « Me Harvey lui aurait expliqué que l’or étant en pépites, les pépites devaient être liquéfiées afin que l’or puisse transiger au Canada». Dans un document de Tribunal, dont nous avons copie, il ressort que l’avocat serait détenteur avec deux autres associés d’une société minière en Côte d’Ivoire, qui à l’époque, manquait de liquidité.
Patrick Guay, à la requête de Me Stéphane Harvey, a accepté de financer à hauteur de 100 000 $ l’achat d’équipements en Côte d’Ivoire, notamment un four nécessaire à l’exploitation de l’or. Mais « Monsieur Guay n’a eu aucune nouvelle ni de son investissement ni de la société, laissant subsister un doute sur l’existence même de cette affaire », rapporte le Tribunal. Patrick Guay n’a pas pu rentrer dans ses droits, puisque, selon Harvey, la société ayant fait faillite, « il aurait passé son investissement aux pertes ». Début d’un froid entre les deux hommes.
Mais dans la foulée, Me Harvey va pouvoir réussir à convaincre M. Guay sur la possibilité de le faire nommer au poste de Consul honoraire de Burkina Faso au Québec. Une offre que ce dernier dit avoir accepté malgré lui pour faire plaisir.
Lobbying. En plus du Consulat honoraire du Togo, son bureau concentrait en toile d’araignée ceux du Sénégal et du Burkina Faso. En un « chasseur de tête », un lobbyiste, il a contribué à faire nommer des Consuls honoraires au Québec pour des pays : d’abord Me Michel Barakatt (qui était son associé et adjoint au consulat honoraire du Togo) pour le Sénégal en 2012 et Patrick Guay pour le Burkina Faso, en 2015. Il dit en avoir des mandats. « J’avais des mandats d’aider les ambassadeurs ici à Québec ; quand ils voulaient quelqu’un de Québec, ils m’appelaient », a-t-il indiqué dans une de ces déclarations au Tribunal.
En faisant nommer M. Guay Consul honoraire du Burkina Faso au Québec, Me Harvey a voulu profiter « de la contigüité du Togo et du Burkina Faso pour développer, dans une même zone géographique transnationale de la frontière, des affaires », lit-on dans les dossiers judiciaires.
Et pourtant, selon l’avis de l’expert François Leduc, le processus de recrutement d’un Consul est du ressort de l’ambassadeur qui « n’engagera pas de chasseurs de têtes » ; au contraire « il sollicite son réseau de relations ». « Un lobbyiste peut être mandaté pour promouvoir une cause, un contrat, une décision politique, mais pas normalement la nomination d’un assistant de l’ambassadeur, comme l’est le consul honoraire », a-t-il conclu (lire l’encadré).
En quoi consiste généralement le processus de recrutement par le pays étranger afin de choisir son candidat au poste de consul honoraire ?
Généralement l’ambassadeur considère ses propres connaissances et consulte privément : le consul sortant, les notables qu’il connaît dans la circonscription visée, certains de ses propres ressortissants dans la région. Il peut pressentir une personnalité qui n’a pas jusque-là de rapports particuliers avec son pays, mais qui œuvre dans un domaine qu’il veut développer. Il peut arriver qu’il consulte en toute confiance des collègues diplomates de pays amis. Les recommandations personnelles sérieusement fondées jouent un rôle important. Il n’est pas rare que mis au courant d’une vacance ou d’un nouveau poste projeté, un intéressé se présente lui-même. Les motifs sont multiples, mais l’ambition sociale explique souvent l’initiative. Il appartient à l’aspirant de convaincre l’ambassade de ses qualités, de ses aptitudes, de son attachement au pays, et de démontrer l’importance des « contacts » utiles qu’il pourra activer dans la circonscription, lorsqu’il lui faudra soutenir l’ambassade. Mais si le poste n’est qu’une honorable sinécure, il est possible que l’ambassadeur choisisse l’aspirant pour faire en réalité une faveur intéressée à un tiers influent qui aura « poussé » le candidat. Rien de cela ne ressemble à un mandat de référence. Selon vous, s’agit-il d’un processus complexe qui requiert les services d’un professionnel et, si oui, quel type de professionnel peut effectuer ce travail ? L’ambassadeur n’engagera pas de chasseur de têtes. Il sollicite son réseau de relations. A l’inverse, un aspirant qui prend lui-même l’initiative voudra, s’il est peu connu, se munir de recommandations crédibles de notables. Il pourra se faire présenter une première fois, mais il évitera de se faire ensuite représenter! Dans la mesure où il n’est pas essentiel de recourir aux services d’un professionnel, est-il pertinent d’en mandater un afin de garantir ses chances de succès d’être nommé consul honoraire ? Rien ne peut garantir les « chances de succès » et elles ne seraient normalement pas augmentées par l’intervention soutenue d’un représentant. Le processus initial de recrutement n’est pas du tout comparable à une séquence procédurale normée, comme en immigration par exemple, un domaine où les conseillers professionnels peuvent utilement guider pour mettre en valeur tout ce qui favorise la sélection conforme et pour s’assurer que les procédures sont correctement et entièrement accompli”. L’aspirant n’a un peu de contrôle qu’à la première étape de la séquence sélection, nomination, notification, reconnaissance. Il doit faire son travail, bien étudier ce qu’il ne sait pas encore du pays, rassembler les bonnes raisons pour lesquelles lui personnellement deviendra pour l’ambassade un relai précieux dans sa circonscription, selon la nature particulière des tâches à accomplir et le développement des relations que l’ambassade envisage. C’est évidemment lui-même qui doit avoir à ce sujet des entretiens sérieux, en particulier avec l’ambassade. Après les éventuelles présentations exploratoires, l’aspirant ne se fera sans doute pas représenter auprès de l’ambassade, car cela disqualifierait au départ ses aptitudes au démarchage, aptitudes dont il voudra faire preuve à l’ambassade pour convaincre de sa valeur. Dans la mesure où un tel mandat est donné, quel est le coût raisonnable relié à de tels services ? Un lobbyiste peut être mandaté pour promouvoir une cause, un contrat, une décision politique, mais pas normalement la nomination d’un assistant de l’ambassadeur, comme l’est le consul honoraire. Un mandat à telle fin est un type d’initiative étranger à la pratique, à la culture du milieu diplomatique. Un ambitieux fortuné indifférent au contenu du travail et idéalisant un supposé gain de statut social pourrait vouloir « investir » dans son plan des dizaines de milliers de dollars, si cela par magie suspecte lui gagne le titre. Tout est possible. Ça ne sera pas le prix d’un service professionnel, mais celui de la vanité, ou d’une faveur vénale, ou les deux. Source : Extrait de Rapport sur le processus de nomination des Consuls honoraires et leurs fonctions, par François Leduc, ancien conseiller au ministère des Relations internationales, auteur du Guide de la pratique des relations internationales du Québec, Décembre 2017. Ce rapport répond aux questions posées par Lacoursière Avocats à Québec. |
Facturation. En 2015, clap de fin : les relations entre Harvey et Guay sont dans l’eau chaude. Plus rien n’allait de soi entre les deux associés qui se sont connus depuis 2007. Patrick Guay décide d’abdiquer. Il quitte ses fonctions de Consul honoraire du Burkina Faso au Québec et se retire « de l’environnement de Me Harvey, qu’il qualifie de malsain ». Estimant que ce désistement lui aurait créé des préjudices dans le monde diplomatique, Me Harvey trouve des « raisons nébuleuses » pour faire payer Guay.
Il facture ses honoraires et réclame à M. Guay une rétribution pour l’avoir aidé à obtenir le poste de Consul Honoraire. Il estime que l’obtention d’un tel poste coûterait à 250 000 $ dont il réclame la moitié à Patrick Guay.
Tout compte fait, « Monsieur Guay reçoit de Me Harvey, une facture datée du 10 décembre 2015, au montant de 143 718,75 $, pour honoraires forfaitaires de référencement auprès du Burkina Faso pour nomination au titre de consul honoraire. La facture est composée d’honoraires au montant de 75 000 $, une facture de Monsieur Morneau de 50 000 $ datée du 7 mai 2015, et la mention d’un paiement reçu (compensation) de 100 000 $. Monsieur Guay dira ne rien comprendre à cette demande de paiement », selon un jugement en appel de la Cour supérieure rendu le 7 juillet 2021.
Alors qu’au début, Patrick Guay dit avoir fait savoir à son interlocuteur que cette nomination ne devrait « lui occasionner aucun frais », aucune dépense pécuniaire. A son inquiétude, Me Harvey lui aurait fait comprendre, qu’il n’en serait pas ainsi et qu’un budget pour les dépenses ordinaires est mis à la disposition à chaque Consul par son Ambassade.
Selon des experts, il est peu commun et peu désirable que des Consuls honoraires paient pour avoir ce poste. Me Harvey, lui-même, a confié au Tribunal avoir occupé son poste de consul honoraire du Togo à titre bénévole et sans aucune rémunération à part une plaque diplomatique sur sa voiture et l’exonération de taxes sur paiement pour l’immatriculation.
Dans le procès, le Tribunal déboute Me Harvey et tranche « qu’il s’agit d’un scénario monté de toutes pièces par lui, dont le but est de ne pas rembourser le prêt de 100 000 $ ou d’en payer le moins possible ».
Interrogé par le Tribunal dans le cadre du procès, l’expert François Leduc, a expliqué aux juges que les avantages étant « minces », il serait rare de voir des personnes ou pays payer des sommes importantes dans le cadre de la nomination d’un Consul honoraire.
Plusieurs Consuls honoraires entendus par le Tribunal ont témoigné n’avoir rien déboursé pour occuper ce poste. Comme c’est le cas d’une Consule honoraire d’Islande, en fonction depuis 2007, qui « exprime n’avoir assumé aucun coût pour devenir consul honoraire ».
Dans la foulée de ce scandale, le « démarcheur du monde diplomatique » n’a pas pu obtenir la nomination de Jean-Marc Mercier au poste du Consul honoraire pour l’Angola. Selon lui, cela est imputable au fait que l’affaire Guay lui a entaché sa crédibilité auprès des diplomaties. Et comme lui-même le dit on lui a retiré sa « confiance à ce niveau-là, d’aider les ambassadeurs à nommer des consuls ».
Empire. Dans son cabinet, flottaient les drapeaux du Togo, du Sénégal et du Burkina, on dirait « un mini siège des Nations Unies » au Québec a affirmé Leduc, expert en relation diplomatique. Une concentration de Consulats autour de la zone ouest-africaine qui étonne plus d’un.
En réalité, Me Harvey a voulu étendre son empire de Consuls honoraires pour faire des affaires ; ses propres affaires donc. Après la Côte d’Ivoire où il a des activités aurifères, Me Harvey et sa Galaxie visent les mines d’or du Burkina Faso et du Togo.
« Et pour opérer, il faut des permis qui sont octroyés par le gouvernement. On avait les permis en Côte d’Ivoire et on voulait peut-être développer le marché du Burkina Faso. Donc pour avoir des permis du gouvernement, c’est important de faire du réseautage et puis c’est comme ça que le pays du Burkina Faso est arrivé », selon ses propres déclarations.
A l’en croire, la nomination de M. Patrick Guay aurait permis d’améliorer ses « affaires » et de « faciliter, en ayant notre réseau », les démarches pour obtenir les permis d’exploitation d’une seconde mine au Burkina Faso, après la Côte d’Ivoire. Ce qui, selon l’expert en relation diplomatique François Leduc, « s’éloigne du rôle institutionnel du consul honoraire ».
Me Harvey « représente au Tribunal qu’un Consulat Honoraire est un moyen de favoriser des investissements et en faire au Burkina Faso. Visant le domaine minier, il représente qu’ils pouvaient, Monsieur Guay et lui, avoir un permis pour exploiter une mine au Burkina Faso », renseignent les documents du Tribunal en notre possession.
Il dit avoir été informé par l’Ambassadeur du Burkina Faso au Canada, avec qui il partage une certaine proximité, que « dans le sud du pays, le gouvernement du Burkina Faso voulait développer le domaine minier ».
Et d’ajouter : « Ce qui était intéressant (parce que le Burkina Faso étant attenant au Togo), on voulait développer la partie nord [du Togo] ». Le nord du Togo étant frontalière au sud du Burkina Faso, pour Me Harvey « ça devenait intéressant si on pouvait avoir des permis dans cette région-là ». En clair, « la région qu’on visait, c’était la région qui est sur la frontière entre le Togo et le Burkina Faso ».
Chaque année, des milliers de tonnes d’or passent illégalement du Burkina-Faso au Togo pour des paradis aurifères. Ce trafic illicite de l’or entre les deux pays est dénoncé par plusieurs rapports, dont l’enquête de l’Ong suisse Déclaration de Berne menée en 2015.
Contactée, l’Ambassade du Togo a déclaré n’avoir pas eu « vent de ses investissements dans des mines ». « Mais un Consul honoraire fait ses activités. Ce n’est pas un diplomate. Il ne lui est pas interdit de faire des activités. Il n’est pas payé, il défend les intérêts du pays qui l’accrédite », explique Ptangme Peketi, Premier conseiller et chargé d’affaires de l’Ambassade du Togo.
Mais ce qui est frappant pour l’expert François Leduc « c’était l’importance du développement de leurs affaires dans les pays étrangers, en l’occurrence le Burkina Faso, le Togo, la Côte d’Ivoire ; l’importance qu’ils attachaient au développement de leurs propres affaires là-bas, du fait qu’on voulait profiter de la contiguïté du Togo et du Burkina Faso pour développer dans une même zone géographique transnationale de la frontière, des affaires ».
Leduc y voit « un motif important pour eux de s’intéresser à la fonction de consul honoraire parce que ça met en situation d’accroître leur crédibilité personnelle auprès d’autres partenaires d’affaires et aussi d’accroître très certainement l’information utile dans, dans leur projet ».
L’expert en diplomatie reconnaît qu’il « est légitime d’avoir des intérêts comme ça » ; mais ce qui est aussi frappant était « la concentration autour de certaines zones et puis, l’importance qu’on attachait à développer une grappe de consulats, dans un même et autour d’un même bureau pour accentuer les affaires consulaires et diplomatiques ».
Effectivement, la fonction est bénévole. Cependant, à en croire l’expert Leduc, il est aisé de comprendre pourquoi un tel poste attire et suscite la ruée de Me Harvey avec tout son réseau.
Dans l’ombre d’une nomination
Mystère. Une nomination dans un noir opaque ? Au Togo, tout un mystère entoure la nomination des Consuls honoraires dans les pays étrangers. A l’instar du Mali, des Comores, du Burkina Faso et du Cameroun, le Togo fait partie d’une cinquantaine de pays au monde qui sont discrets sur les conditions et le processus de nomination des Consuls honoraires à l’extérieur ou à l’intérieur.
Dans le cadre de cette enquête nous avons voulu en savoir davantage sur la nomination de ces Consuls honoraires, des consuls généraux et/ou des vices consuls par le Togo et la disponibilité d’une liste officielle des Consuls, entre autres. Mais le ministère togolais des Affaires étrangères, de l’Intégration régionale et des Togolais de l’Extérieur n’a pas répondu à nos nombreuses sollicitations malgré l’existence des textes législatifs relatifs à l’accès aux informations publiques.
« A ma connaissance, il n’y a pas un site officiel sur lequel ces informations sont publiées. Même le site d’information republicoftogo ne publie plus », a confié à De Cive une source gouvernementale qui reconnait néanmoins que le Togo nomme des Consuls généraux, des consuls et des consuls honoraires qui représentent le pays là où il n’y a pas d’Ambassade.
Comment Me Stéphane Harvey est-il devenu Consul Honoraire du Togo au Québec ? C’était en 2008. Me Harvey fait la connaissance de l’Ambassadeur d’alors du Togo à Ottawa à qui il rendait « des petits services simples comme aller chercher les diplomates à l’aéroports » ou prendre des rendez-vous pour les autorités togolaises en visite au Canada, selon déclarations. A cette époque, c’est Bawoumondom Amelete qui était ambassadeur du Togo au Canada.
Le 7 septembre 2008, Gilbert Fossoun Houngbo venait d’être nommé Premier ministre, succédant ainsi à Komlan Mally. Au sommet de la Francophonie tenu du 17 au 19 décembre de cette année au Québec où il s’est inscrit en tant que délégué du Togo, Me Harvey dit avoir fait sa première rencontre avec le Premier ministre togolais. « Le Premier ministre du Togo était accompagné de divers ministres au gouvernement ; j’ai participé activement à l’organisation », a déclaré Me Harvey lors de son interrogatoire préalable du 11 mai 2016. Avec lui, il a discuté des opportunités d’affaires, a-t-il avoué.
Il a indiqué l’avoir « conseillé d’établir une relation plus étroite avec le gouvernement du Québec ». C’est ainsi que les deux hommes se seraient convenus sur la nécessité d’ouvrir un Consulat honoraire du Togo au Québec à la tête duquel il a été nommé en juin 2009 après un an.
Il dit avoir « des pouvoirs élargis depuis quelques années ». A l’en croire, entre 2012 et 2013, il a eu l’autorisation auprès de l’Ambassade du Togo au Canada d’émettre des visas pour le Togo, un marché qu’il confia à Daniel Morneau contre rémunération.
Peu connu des Togolais, Me Harvey, selon les informations, n’est jamais en contact avec eux. « Je dois avouer que je ne savais pas que Me Harvey assumait les fonctions de Consul honoraire du Togo à Québec. Je l’entends plus dans les médias en lien avec ses déboires médiatiques et ses problèmes avec son ordre », a indiqué à De Cive sous couvert un Togolais vivant au Québec.
Les demandes de visa qu’il traitait concernait surtout des étrangers ou autres Canadiens qui voulaient aller au Togo. Les Togolais ont leur passeport togolais ou passeraient plutôt par l’Ambassade en cas de problème. « Son rôle était de délivrer des visas, d’acheminer des documents d’identification, de protéger les intérêts du Togo et des compatriotes togolais », a indiqué Ptangme Peketi.
Un univers des affaires secrètes
Elias Ammar. De Lomé à l’aéroport de Kloten, « via Paris, sur des vols réguliers d’Air France », des lingots d’or togolais d’origine illicite atterrisse en Suisse, un paradis aurifère, a révélé une enquête exclusive réalisée en 2015 par l’Ong Déclaration de Berne. Cette enquête intitulée Un filon en or, la véritable histoire de l’or « togolais » raffiné en Suisse a identifié au cœur de l’intrigue un Consul honoraire du Togo au Liban : Elias Ammar. Un magnat de l’or.
Au Beyrouth, la capitale du Liban où vivent de nombreux Togolais, c’est un immeuble Ammar Group qui abritait le Consulat honoraire du Togo. Le Groupe Ammar n’est autre que cet exportateur togolais de l’or. La plupart de l’or extrait au Sahel (Burkina Faso, Niger ou Mali) et au Bénin est acheminé illégalement au Togo voisin grâce aux frontières poreuses.
C’est ce circuit illicite qui permet d’expliquer pourquoi le Togo exporte beaucoup plus d’or qu’il n’en produit. 10 066 kgs de ce minerai (pour une valeur de 10 147 millions de francs CFA – 17,5 millions de dollars) ont été exportés depuis le Togo en 2018 selon l’ITIE (Initiative pour la transparence dans les industries extractives). Mais la production extraite au Togo, dans les régions des Plateaux, de la Kara et Centrale est largement moindre, selon plusieurs experts locaux, même si aucune étude n’a été encore réalisée pour évaluer « la différence significative entre les exportations et la production » selon ITIE-Togo.
2018 | 2017 | 2016 | ||||
Produit/Société | Quantité | Valeur (millions de FCFA) | Quantité | Valeur (millions de FCFA) | Quantité | Valeur (millions de FCFA) |
Or | 10 066 | 10 147 | 19 919 | 20 065 | 15 179 | 15 314 |
WAFEX | 6 273 | 6 320 | 13 488 | 13 569 | 9 437 | 9 512 |
SOLTRANS | 3 793 | 3 827 | 6 431 | 6 496 | 5 742 | 5 803 |
Source : Rapport final 2018 de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives du Togo (ITIE-Togo) publié en juillet 2021.
D’après une étude de la Banque mondiale de 2015, la majeure partie de l’or quitte ensuite légalement le Togo, en direction de la Suisse, des Emirats arabes unis, du Liban ou encore de l’Inde, où il est raffiné. C’est grâce à son attractivité fiscale que le Togo est devenu en Afrique de l’Ouest une plaque tournante du trafic d’or. Sa taxe à l’exportation pour l’or est seulement de 30 à 45 000 FCFA le kilo, contre 450 000 FCFA en moyenne dans les pays voisins.
En effet, pendant plusieurs années, les groupes Wafex et Soltrans appartenant à la famille libanaise Ammar, contrôlaient l’achat d’or pour l’exportation depuis le Togo. Il nous revient que cette famille achetait à Lomé de l’or issu de la contrebande et l’exportait ensuite en Suisse à travers, sa filiale genevoise, MM Multitrade SA.
Après avoir vendu leur marchandise, ces deux géants libanais revenaient au Togo, où ils sont installés depuis 2002, avec des voitures d’occasion qu’ils revendaient sur place, a indiqué pour sa part une source de la Direction des Mines et de la Géologie lors d’un entretient qu’elle nous accordé il y a un an, c’est-à-dire le 10 septembre 2021. Elle précise que l’argent de la vente de ces véhicules, leur permettait d’effectuer de nouvel achat d’or.
Dans une étude d’évaluation réalisée en 2018, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) apportait des précisions sur ce circuit : l’or devient ainsi une « monnaie parallèle qui peut être utilisée en dehors de la zone Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) pour l’achat d’autres biens et services, permettant de contourner la législation régionale qui impose le contrôle de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ».
Elias Ammar (qui, jusqu’en 2017, était Consul honoraire du Togo au Liban) et ses deux frères Antoine et Joseph sont propriétaires du Groupe Ammar. Plusieurs rapports ont indexé ces trois frères libanais comme principaux exportateurs togolais de l’or vers Genève en Suisse où ils ont créé, en 2012, MM Multitrade SA, leur antenne helvétique.
« En réalité, les Ammar n’ont fait qu’amasser davantage de profits en renforçant leur contrôle sur la chaîne de l’offre, du Togo jusqu’en Suisse », a rapporté l’Ong Déclaration de Berne. Elle explique que « pour satisfaire sa soif d’or, le groupe Ammar s’appuie sur des réseaux de contrebandiers burkinabés qui s’affranchissent de toute contribution fiscale au ‘’ Pays des hommes intègres’’ ».
Cette Ong estime en milliers de tonne la quantité d’or minier qui sont importés chaque année en Suisse à partir du Togo. « Très peu d’informations filtrent sur l’origine de ce métal précieux. L’or exporté via Wafex permet au clan Ammar de dégager des profits substantiels. Le groupe commercialise ainsi près des deux tiers de l’or exporté depuis le Togo », a-t-elle précisé.
Les Ammar, en toute discrétionOn sait peu de chose sur la famille Ammar, sinon que les trois frères, Antoine, Elias et Joseph, sont originaires de Damour, au Liban. Comme nombre de leurs compatriotes, ils sont bien implantés en Afrique de l’Ouest. Leur activité la plus visible est la vente de pneus. Ils distribuent en effet la marque Goodyear dans la sous-région, tant au Burkina Faso qu’au Togo ou encore au Bénin, notamment à travers une société dénommée Uni-tires Sarl. A Lomé, les locaux des frères Ammar sont situés au boulevard du 13 janvier, à deux pas de la magnifique plage autour de laquelle s’étire la capitale togolaise. L’enseigne Goodyear surplombe ce petit immeuble d’un étage. Seule une plaquette discrète indique la présence d’une autre société, Wafex Sarl. Si pénétrer dans les locaux d’Uni-tires est aisé, s’introduire dans ceux de Wafex s’avère bien plus compliqué. Un agent de sécurité bloque le passage. Lors de chacune de nos tentatives, les dirigeants n’étaient officiellement « pas là ». Mais « ils rappelleront, c’est promis ». On attend toujours. Bienvenue en Suisse L’antenne genevoise du groupe Ammar, MM Multitrade SA, est dirigée par le fils d’Elias, Ziad. Sur sa page Facebook, le jeune homme de 29 ans dit aimer prendre du bon temps à Dubaï, Cannes et Monaco. La filiale dispose de locaux proches de la gare et se contenterait de fournir « des services » financiers, logistiques et administratifs pour le compte du groupe. MM Multitrade permet aussi aux Ammar de disposer de comptes bancaires en Suisse, auprès de l’Arab Bank et de Lombard Odier (en 2012, du moins). Selon les documents en notre possession, c’est sur le compte ouvert auprès de l’Arab Bank que Valcambi paie aujourd’hui MM Multitrade en échange de ses livraisons d’or. Durant les semaines où nous tentions d’entrer en contact avec le groupe Ammar, son site internet a disparu, en toute discrétion. Source : Déclaration de Berne, Un filon en or, une histoire de l’or ‘’togolais’’ raffiné en Suisse, septembre 2015. |
Soupçonnées d’activités illégales (curieusement) par les autorités togolaises, Wafex et Soltrans, ces deux sociétés appartenant au Groupe Ammar n’ont jamais fait l’objet de poursuites judiciaires. Mais elles ont tout de même fermé leurs portes en 2018. Car suite à un rapport d’enquête du 25 septembre 2019 du Commissariat des impôts et de la Direction Générale des Mines de la Géologie, les deux entreprises ont été retirées de la liste des sociétés reconnues par l’organisation internationale Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) qui supervise le secteur extractif.
Selon un ancien employé de Wafex joint au téléphone en 2021, « les actionnaires ne sont plus au Togo et ont changé de domaine ». Injoignables, les dirigeants de Soltrans n’ont également pas pu répondre à nos questions.
En mai 2018, à en croire cette source de la Direction des Mines et de la Géologie, suite à une recommandation de la BCEAO (Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest), les autorités togolaises ont demandé de la part de ces deux sociétés libanaises de clarifier leurs sources d’approvisionnement de l’or et de déclarer la domiciliation de leurs comptes bancaires, bref de fournir des informations précises sur leurs activités. Sans suite, ces sociétés ont mis la clé sous le paillasson et disparu.
Rodney Cooper Wade. En 2021, les enquêtes de Pandora Papers[5] ont révélé les affaires secrètes de Rodney Cooper Wade, un ancien Consul honoraire britannique au Togo. Avec ses deux sociétés fictives créées dans les paradis fiscaux aux Seychelles, ce dernier a pu décrocher un contrat de 132 000 dollars US au Port autonome de Lomé.
Contacté dans le cadre de cette enquête, le Contre-Amiral Fogan Kodjo Adegnon, Directeur général du Port autonome de Lomé nous a confié n’avoir pas été informé que Rodney Cooper Wade était « en lien avec les sociétés offshores et des paradis fiscaux ». « Au départ le Port autonome de Lomé avait signé en date du 19 mars 2012 avec Monsieur Rodney Wade, représentant la société Gander consulting Ltd, un contrat pour l’utilisation d’un système de fabrication de badges d’accès », écrivait-il dans son courrier-réponse.
« Le 09 décembre 2013, M. Rodney Wade informe le Port autonome de Lomé que par suite d’une restructuration de sa société Gander Consulting Ltd, la société d’édition des badges d’accès au Port autonome de Lomé sera faite par sa nouvelle société dénommée ‘’Centurian Consulting Ltd’’ », ajoute-t-il.
Et de conclure : « Fort heureusement, le contrat qui le liait au Port autonome de Lomé fut rompu le 17 juillet 2020 à notre initiative au motif que le contexte de gestion des badges sa évolué vers le système biométrique au regard des installations actuellement mise en place ».
Sous les verrous. Qu’il vous souvienne du cas de Frank Djokoto Dovi Sessou, Consul honoraire de la Turquie au Togo, mis sous les verrous à Lomé en 2016 pour « faux et usage de faux » suite à une plainte d’un certain Badjabaissi Mèvèyinoyou, Directeur de société à Lomé (capitale du Togo). Ce dernier qui devait effectuer un voyage d’affaires en Turquie a entrepris le 2 décembre 2015 des démarches auprès du Consulat pour l’obtention d’un visa d’entrée.
Les frais de visa qui s’élevaient à 145 000 F CFA étant payés, le sieur Badjabaissi Mèvèyinoyou devrait être satisfait dans les 10 jours suivant le dépôt. Une fois l’argent empoché, le Consul Frank Djokoto Dovi Sessou a préféré user de « faux et usage de faux » pour rouler le demandeur dans la farine. Suite à des enquêtes judiciaires, les faits se sont avérés. Et le coupable qui n’est rien d’autres que le Consul honoraire de Turquie au Togo a été arrêté et déféré à la prison civile.
Mawutoe d’Almeida, Consul Honoraire de la Corée du Sud au Togo, lui, aussi, était arrêté et déféré à la prison civile de Lomé en 2013 pour avoir escroqué des étudiants dans une affaire de visas et de bourses pour la Corée du Sud.
Un processus de nomination au vitriol
Aubaine. Plusieurs experts interrogés dans le cadre de cette enquête s’accordent à dire que le statut de Consul honoraire est devenu une véritable aubaine d’activités occultes, d’enrichissement illicite, d’affaires secrètes et de trafics de tout genre. Dans l’ombre de leurs titres, ces Consuls honoraires opèrent sans inquiétude. Au portillon, ils sont nombreux à tenter tout pour le tout pour se revêtir de ce titre. Au Togo, le processus se déroule dans l’opacité.
« Il faudra revoir le processus de délivrance du statut de Consul Honoraire afin d’éviter que des individus sans foi ni loi ne s’infiltrent dans le très respectueux corps des diplomates. Il y va de la crédibilité du Togo vis-à-vis des pays en question parce qu’on ne peut pas délivrer un statut de Consul à des individus qui…mènent des activités douteuses, bref n’ont aucune moralité », écrivait en 2016 le confrère L’Alternative dans sa parution n°493.
Pierre-Claver KUVO
[1] https://www.facebook.com/consulat.togoquebec, consulté le 9 novembre 2022.
[2] Tribunal de Commerce d’Abidjan (Côte d’Ivoire), Affaire La Société 8086931Inc., La Société Kobo Ressources Inc contre La Société SEGA Ressources Côte d’Ivoire, Monsieur Yao André Sholomes N’Dri, Jugement défaut du 27/12/2018. Tribunal de Commerce d’Abidjan Côte d’Ivoire), Affaire La Société 8086931Inc., La Société Kobo Ressources Inc contre La Société SEGA Ressources Côte d’Ivoire, Monsieur Yao André Sholomes N’Dri, Jugement du 21/06/2018.
[3] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1190028/harvey-stephane-avocat-syndic-enquete-ordre-professionnel, consulté le 02 novembre 2022.
[4] https://www.tvanouvelles.ca/2021/06/22/plaintes-disciplinaires-un-avocat-de-quebec-dans-leau-chaude-1, consulté le 02 novembre 2022.
[5] De Cive, Parution n°11 du 7 octobre 2021 ; https://cenozo.org/evasion-fiscale-en-eau-profonde-rodney-cooper-wade-les-affaires-secretes-dun-consul-britannique-au-port-autonome-de-lome/.