Alimentation de la ville de Ouahigouya en eau potable : voici pourquoi l’État ne tient pas promesse

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A l’inauguration du Barrage de Guitti, à 235 km au nord-est de la capitale Ouagadougou, le ministère de l’Eau et de l’Assainissement et l’Office national de l’Eau et de l’Assainissement du Burkina Faso (ONEA), avaient fait cette promesse : alimenter enfin Ouahigouya, le chef-lieu de la région du Nord, avec ses près de 100 000 habitants, en eau potable. Nous étions en 2017. La Coopération danoise et la Banque Islamique de Développement s’y étaient engagées, mais ces institutions ont fini par se retirer du projet. Aujourd’hui, c’est l’Agence Française de Développement qui tient le projet. Mais l’arrivée de l’eau de Guitti à Ouahigouya n’est pas encore effective. Enquête sur les causes et responsabilités de cette situation.

En saison sèche comme en saison pluvieuse, il faut se priver de sommeil pour avoir l’eau potable à la borne-fontaine, deux fois par semaine pour les plus chanceux. Les discordes dans les cours communes pour avoir accès à l’eau potable sont légion. Les agents de santé ont refusé de démarrer les activités au centre de santé et de promotion sociale du secteur 13 de Ouahigouya à cause du manque d’eau. Chaque année, et ce, depuis cinq ans, les autorités font miroiter le projet Alimentation en eau potable de Ouahigouya (AEP Ouahigouya) à partir du barrage de Guitti, à une quarantaine de kilomètres de là, pour calmer les plaintes des femmes.  

Le 31 mars 2022 dans la salle des fêtes de la mairie de Ouahigouya, les invités ont répondu à un appel de l’Office nationale de l’Eau et de l’Assainissement du Burkina (ONEA) et de l’Agence française de développement avec pour objet : « Démarrage officiel du Projet d’Approvisionnement en Eau Potable (AEP) de Ouahigouya à partir du barrage de Guitti ». Les discours étaient parfaits.  Grâce aux jolies diapos conçues et commentées pour la circonstance, l’assistance applaudit : « Je rappelle que sur la ligne de Ouahigouya, nous allons transiter 24000 m3/jour et sur la ligne de Seguenega 6000 m3/jour puisque la station de pompage a une capacité de 30000 m3/jour jusqu’à l’horizon 2035 », explique le technicien de l’ONEA.  

Après les discours, l’AFD et l’ONEA embarquent la presse pour une visite sur le site de construction d’une bâche de stockage devant servir à distribuer l’eau dans la commune de Ouahigouya. Et là, il n’y a aucun coup de pioche. Pourtant, à compter de ce jour, le délai d’exécution s’étend sur 18 petits mois. 

Le barrage de Guitti se trouve dans la commune de Séguénéga, à 55 km de Ouahigouya. Plusieurs infrastructures entrant dans l’exécution du projet doivent être réalisées dans cette commune pour faciliter le transport de l’eau vers Ouahigouya. Selon un communiqué de l’AFD en date du 24 juin 2019, c’est dans le village de Guitti relevant de la commune de Séguénéga que la station de traitement et de pompage sera érigée. La conduite d’adduction partira de Guitti à Ouahigouya sur 80 km. 

Deux mois après la cérémonie de lancement, nous obtenons un rendez-vous à la mairie de Séguénéga pour parler du problème d’eau dans la commune. Hasard de calendrier, nous sommes le 7 juin, jour d’examen. Les élèves du Burkina Faso composent pour le Certificat d’étude primaire (CEP). Safoura OUEDRAOGO vit dans un village situé à une quinzaine de kilomètres de Séguénéga.

Pour l’examen du CEP, elle accompagne les candidats de son école dans la ville de Séguénéga où se trouve leur centre de composition. Difficile pour elle d’avoir de l’eau potable pour ses élèves : « Ici, il y a problème d’eau. L’eau du forage qui est non loin d’ici est impropre à la consommation. Je suis obligée d’acheter de l’eau minérale en sachet pour que les enfants boivent. En plus, pour la cuisine, je suis obligée d’acheter de l’eau avec les fûts. Là, non seulement pour l’avoir, c’est difficile, le prix n’est pas accessible : 1000 FCFA le fût de 200 litres. Il faut combien de fûts pour faire la cuisine et la vaisselle des 39 candidats pendant quatre jours. Alors que cette dépense n’était même pas prévue », s’inquiète Safoura OUEDRAOGO, cette dame chargée de surveiller et de nourrir les élèves venus de Ramsa, un village situé à une quinzaine de kilomètres de Séguénéga centre.

La population souffre et l’ex-maire de la commune ne cache pas son indignation : Dans mon propre village (à Gambo ndlr), nous avons négocié avec la population pour offrir l’espace gratuitement à l’ONEA pour construire le château d’eau, dans le cadre du projet AEP Ouahigouya à partir du barrage de Guitti, mais on ne voit toujours rien”, confie Rakiswendé SAWADOGO. Dans la commune de Séguénéga, il est prévu 58 bornes fontaines 

« A cause d’un problème administratif, on a perdu plus de 10 milliards de FCFA de la BID »

Dans le compte rendu du conseil des ministres du 09 avril 2014, il est écrit : « Le deuxième rapport est relatif à un projet de loi portant autorisation de ratification de l’accord de prêt UV-133 conclu le 11 novembre 2013, au Koweït entre le Burkina Faso et la Banque islamique de développement (BID) pour la participation au financement du Projet d’alimentation en eau potable de la ville de Ouahigouya à partir du barrage de Guitti d’un montant de dix milliards quatre-vingt-quinze millions cent soixante-dix-huit mille deux cent trente (10 095 178 230) francs CFA… ».

Depuis 2015, l’ONEA a publié l’appel d’offre pour le contrôle et la surveillance des travaux du projet sur le financement de la BID

Mais la BID conditionne le décaissement des fonds par l’indemnisation des populations impactées par le projet. Toujours est-il que sur la base de cet accord de financement, l’ONEA lance un appel à manifestation d’intérêt dont l’ouverture des plis est prévue le 16 mars 2015. Prestation sollicitée : surveillance et contrôle des travaux (du projet AEP Ouahigouya à partir de Guitti).

« On était content, on a réuni nos papiers. Personnellement, je devais aller à la BID pour les rassurer afin qu’ils lèvent la main pour le décaissement. Patatras, la mission n’a pas eu lieu pour des questions administratives. Diplomatiquement, nous avons donc écrit au bailleur pour lui signifier que pour des contraintes de dernières minutes… Une semaine après, nous recevons un mail nous signifiant que le financement est purement annulé. C’était le deuil total. Ce qui s’est passé en bas, je ne sais pas. », raconte l’ex-ministre de l’Eau et de l’Assainissement, Niouga Ambroise OUEDRAOGO.

Mais dans les faits, raconte un ancien haut cadre du ministère, la mission en question n’a pas eu lieu pour des questions budgétaires. En janvier 2019, Christophe DABIRE est nommé Premier ministre. Il prend l’engagement de réduire le train de vie de l’Etat. « Et la mission pour rencontrer les responsables de la BID pour décider du décaissement des fonds du projet AEP Ouahigouya a été annulée sous le couvert de la réduction du train de vie de l’Etat », insiste cet ancien cadre du ministère de l’Eau et de l’Assainissement.

« Paris exige la reprise des études techniques »

Et le cycle de la recherche d’un partenaire financier recommence. Le 24 juin 2019 à Paris, le ministre de l’Economie et des Finances, Lassané Kaboré, signe avec l’Agence Française de Développement, un accord de financement. « A travers le présent financement de l’AFD d’un montant de 32 millions d’euros, le Burkina Faso permet à l’ONEA de réaliser ses investissements structurants prioritaires dans le domaine de l’accès à l’eau potable, spécifiquement dans les communes de Ouahigouya, de Séguénéga et de Bobo-Dioulasso », lit-on dans le communiqué de presse de l’AFD.

Mais après la signature de la convention, l’AFD juge que les études précédentes doivent être reprises. Mais la situation sécuritaire dans cette partie du pays ne favorise pas les travaux d’études techniques. Et pour cause, un nouveau facteur qui handicape l’avancement du projet. « Le problème n’est pas la reprise des études. Le problème, c’est que l’étude et un certain nombre d’activités devaient être menées par des expatriés. Ces derniers ont estimé qu’ils ne seraient pas en sécurité dans la zone. », explique Niouga Ambroise OUEDRAOGO.

Niouga Ambroise OUEDRAOGO, Ex-ministre de l’Eau et de l’Assainissement

Les blocages fonciers

La commune de Oula est aussi bénéficiaire du projet AEP Ouahigouya à partir du barrage de Guitti. Sept villages de la commune sont concernés : Tanlili, Pélé, Margo, Rigui, Kao, Lougouri, Oula et Bouro. Les sites identifiés pour recevoir des installations se trouvent dans les villages de Margo, Rigui, Lougouri, Oula. Mais les négociations n’ont pas été simples dans tous les villages.

« Pélé et Tanlili sont des villages où les nappes sont contaminées par l’arsenic. Donc, nous n’avons pas souffert pour les convaincre. Nous avons mené les négociations entre 2018 et 2019. Toutefois, à Reko où le site identifié touchait leur forêt, ça n’a pas été simple. Et nous avons dû les rassurer que l’ONEA va remplacer les plantes qui seront détruites par un reboisement. Le site qui devait recevoir le château qui allait desservir Oula était premièrement à Kour-baré. Mais nous étions obligés de changer de site parce que les négociations ont été infructueuses », explique l’ex-Maire de Oula, Sidi-Mahamadi SAVADOGO.

A Ouahigouya, les mêmes blocages ont été observés. Le gouvernement a dû faire appel à Ziliwaoga Marie-Rose SANOU/ SAWADOGO, une femme d’affaires issue de la cour royale du Yatenga et aussi influente à Ouahigouya, pour sortir l’ONEA du bourbier. « L’ONEA avait des problèmes avec la mairie. Et c’est le gouvernement qui m’a contactée pour venir aider. J’ai donné trois hectares à l’Eglise pour qu’elle libère un hectare afin que l’ONEA dispose d’un site pour ses installations », raconte-t-elle.

Ziliwaoga Marie-Rose SANOU / SAWADOGO, une femme d’affaires qui offre 3ha au Diocèse de Ouahigouya pour qu’il cède 1ha à l’ONEA

Aujourd’hui, l’arrivée de l’eau de Guitti à Ouahigouya dépend de l’évolution de la situation sécuritaire au Nord du Burkina Faso à partir du moment où il y aura des expatriés sur le terrain. Néanmoins, l’Etat burkinabè est coupable dans le retard dont souffre le projet d’alimentation en eau potable de Ouahigouya à partir de Guitti.

Enquête réalisée par Patrice Kambou, avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

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