
Cette photo illustre le processus de lavage du minerai pour séparer l'or. Les bassines colorées (souvent appelées "panning" ou "batées") et les grandes piles de sable et de gravier sont caractéristiques de l'orpaillage manuel ou semi-mécanisé / Ph:SD
Mali : l’orpaillage et le changement climatique déciment la forêt de Lougouani
La forêt classée de Lougouani, un écrin de biodiversité de 9 928 hectares s’étendant le long du fleuve Bagoé dans le cercle de Kadiolo au Mali, est en péril. Autrefois poumon écologique et ressource vitale pour les villages de Lougouani, de Kébéni et de Massiogo, ce patrimoine naturel, institué par le décret N°241/PGRM du 26 septembre 1985 (confirmé par l’Institut National de la Statistique, INSTAT, dans son Recueil de données du Système d’Informations Statistiques Environnementales – SISE 2012-2016), est gravement menacée par l’orpaillage artisanal illégal et le changement climatique. Cette double pression provoque une déforestation rapide, une disparition drastique de la biodiversité et des impacts socio-économiques sévères pour plus de 77 000 habitants. Malgré des mesures étatiques et locales, la situation reste critique avec une perte estimée de 60% de la couverture forestière depuis 2005, questionnant la pérennité de ce patrimoine naturel.
“Sans action, d’ici 2030 la forêt classée de Lougouani ne sera plus qu’un lointain souvenir”. C’est en ces termes qu’en 2014, le Capitaine Bekou Coulibaly, alors chef du service de cantonnement des Eaux et Forêts de Kadiolo, tirait la sonnette d’alarme. Onze ans après, ses inquiétudes semblent réelles.
La forêt classée de Lougouani est située dans le cercle de Kadiolo, région de Sikasso au Mali, le long du fleuve Bagoé. Ce site est un habitat naturel crucial, abritant une biodiversité riche avec des espèces végétales et animales variées. Cette forêt joue également un rôle écologique majeur, agissant comme un poumon vert et une ressource essentielle pour les populations des villages environnants de Lougouani, Kébéni et Massiogo.
Entre 2001 et 2024, la forêt de Lougouani subit une pression croissante due à l’orpaillage artisanal, qui a évolué vers des pratiques semi-industrielles et illégales. Cette exploitation minière ravageuse détruit le couvert forestier (7 hectares de couvert arboré perdu dans le Cercle, ce qui le place parmi les zones de la région de Sikasso les plus touchées par la déforestation), pollue les eaux et menace la faune et la flore locales.
Parallèlement, les effets du changement climatique aggravent la vulnérabilité de cet écosystème en modifiant les régimes pluviométriques et en augmentant les températures, favorisant la dégradation des sols et l’érosion.

Cartographie illustrative de la perte des forêts à Kadiolo (Source Global Forest Watch)
L’orpaillage ravageur
La forêt du Lougouani est aujourd’hui parsemée de champs et de trous béants abandonnés par les orpailleurs. Le chef du village de Massiogo, Siaka Koné, se désole de l’assèchement des marigots et l’ensablement progressif du fleuve Bagoé. Les dragues et mines semi-industrielles, notamment celles exploitées par des entreprises étrangères , sont pointées du doigt pour l’utilisation des produits chimiques comme le mercure et le cyanure.Nous n’avons pas pu les contacter, et la plupart de ces Chinois ne comprennent pas le français. De plus, les intermédiaires n’ont pas voulu nous aider à leur parler.
Dans ce contexte, la biodiversité de Lougouani s’amenuise à grande vitesse. Le Recueil SISE 2012-2016 de l’INSTAT évoque des espèces végétales et animales menacées au niveau national, mais des données spécifiques à Lougouani restent à approfondir. Autrefois abondante, la faune a été décimée. Les grands arbres, qui fournissent ombre et oxygène, ont cédé la place à des zones dénudées. Les animaux sauvages et même les poissons ont fui ou disparu, impactant gravement l’écosystème.

Cette photo illustre le processus de lavage du minerai pour séparer l’or. Les bassines colorées (souvent appelées “panning” ou “batées”) et les grandes piles de sable et de gravier sont caractéristiques de l’orpaillage manuel ou semi-mécanisé / Ph:SD
Les conséquences de cette dégradation s’étendent bien au-delà de l’environnement, affectant profondément la vie des communautés riveraines. En effet, la pénurie alimentaire et la flambée des prix sont les résultantes de la baisse drastique de la production agricole. La disparition des zones de pâturage contraint les éleveurs à envoyer leurs animaux en transhumance vers la Côte d’Ivoire, exacerbant la pénurie locale de lait et de viande.
Cette situation a fait flamber les prix des denrées essentielles. Une charrette de bois, autrefois vendue à 1 000 FCFA, coûte désormais entre 3 000 et 4 000 FCFA. La disparition des poissons a également renchérit considérablement les protéines animales. « La forêt de Lougouani est sérieusement dévastée. Nous, les éleveurs, avons perdu beaucoup de têtes de bœuf tombées dans ces trous », déplore Boukary Demba Sidibé, éleveur à Kebeni.
Bien que l’orpaillage génère des revenus pour environ 65% de la population riveraine de la forêt classée (selon une estimation locale basée sur des entretiens avec les habitants et autorités locales), il est aussi une source majeure de tensions. Siaka Koné, chef du village de Massiogo, souligne que l’activité attise des conflits entre communautés et au sein des familles. L’ancien maire de Misséni, Nabaga Coulibaly, évoque des conflits entre les trois villages (Lougouani, Massiogo et Kebeni) qui se disputent la paternité du site. Toutes choses qui a nécessité l’intervention de la mairie pour “aplanir les différends”, confia-t-il.

L’image montre un équipement flottant (une drague) utilisé pour aspirer le sable et le gravier du lit de la rivière. Cette méthode trouble l’eau, contamine les écosystèmes aquatiques (souvent avec du mercure ou du cyanure) et menace les réserves d’eau potable / Ph:SD
L’assèchement des puits et la contamination de l’eau obligent les orpailleurs à consommer l’eau des trous d’orpaillage, posant de graves risques sanitaires. Souleymane Bamba constate que la disparition des grands arbres pousse les orpailleurs à travailler sous des bâches en plastique, les exposant à des problèmes de santé respiratoire en raison de la poussière et de l’air vicié.
Cette contamination pose également de graves risques pour la santé des communautés locales. La faune et la flore locales ont été décimées, entraînant la disparition de nombreux animaux et poissons qui ont fui ou sont morts. La pression de cette activité est si forte que, selon une estimation locale, la forêt a perdu 60 % de sa couverture forestière depuis 2005, passant de 9 928 hectares à environ 3 970 hectares. Ces chiffres reflètent une tendance régionale plus large, où la zone de Yanfolila a perdu 66% de la couverture arborée de la région de Sikasso entre 2001 et 2024.

L’image montre une vaste zone de terre excavée et boueuse, typique d’une carrière clandestine d’orpaillage qui utilise des engins lourds. Cette technique détruit la structure du sol et le couvert végétal / Ph:SD
La réaction de l’autorité
En 2009, une opération militaire conduite par le Gouvernement a conduit à l’évacuation forcée des orpailleurs de la forêt classée de Lougouani, selon les précisions apportées par les articles de Bamada.net et du journal Essor. Ces orpailleurs se sont alors repliés à quelques kilomètres, où ils ont établi un nouveau site d’orpaillage, baptisé Massiogo Courani. Pour empêcher tout retour sur le site initial, des gendarmes ont été déployés afin d’en interdire l’accès. Malgré cela, des incursions nocturnes, parfois facilitées par une surveillance limitée ou une complicité probable, ont été constatées.
Dans la nuit du 25 au 26 février 2014, une patrouille dirigée par le Capitaine Bekou Coulibaly, chef du Cantonnement forestier de Kadiolo à l’époque, a surpris sept orpailleurs clandestins en flagrant délit. Ces derniers ont été remis à la gendarmerie et présentés au juge le 3 mars 2014. Cependant, un jugement rendu en 2015 en faveur des orpailleurs a profondément démoralisé les agents forestiers, selon des sources internes, entraînant une reprise massive de l’exploitation illégale. Interrogé, le service du cantonnement des Eaux et Forêts de Kadiolo n’a pas souhaité faire de commentaire.
Face à cette situation préoccupante, un nouveau code minier (Loi n°2023-040 du 29 août 2023) et ses décrets d’application ont été adoptés afin de mieux réglementer le secteur et lutter contre l’exploitation minière illégale. Mais la déforestation à travers l’orpaillage illégale s’est poursuivie, causant des dégâts environnementaux et des pertes en vies humaines comme ce qui s’est passé à Kokoyo, un hameau situé dans la commune de Nouga, Cercle de Kangaba, où un drame s’est produit mercredi 29 janvier 2025. Bilan, au moins 13 morts dans un éboulement. Suite aux tragédies survenues à Kokoyo et Bilali Koto (cercle de Kéniéba), le gouvernement malien a réagi en Conseil des ministres en abrogeant les actes de nomination des responsables administratifs impliqués dans ces incidents.
Parmi les responsables visés figurent les préfets, sous-préfets, chefs des forces de sécurité (police et gendarmerie), ainsi que les agents locaux des services des Eaux et Forêts et du service subrégional de la Géologie et des Mines. Par ailleurs, les autorités des Collectivités Territoriales ont suspendu les permis d’exploitation artisanale accordés à des personnes de nationalité étrangère, dans un effort accru pour endiguer l’exploitation illégale des ressources minières.

Vue nocturne d’une vaste carrière d’orpaillage clandestine. Les lumières des engins lourds (visible au centre) et la hauteur des murs d’excavation mettent en évidence l’ampleur de la destruction environnementale / Ph:SD
Selon Global Forest Watch, le Mali a perdu 56 % de son couvert forestier entre 2001 et 2023, avec un pic dans les régions du sud comme Sikasso. L’analyse de cette plateforme de surveillance des forêts met en évidence l’impact des activités minières comme un des principaux moteurs de la perte de forêts.
Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) a publié plusieurs rapports documentant l’impact de l’orpaillage sur les forêts et les cours d’eau en Afrique de l’Ouest. Les experts du PNUE confirment que la déforestation massive, la dégradation des sols et la pollution chimique (mercure, cyanure) sont des conséquences directes de cette activité.
La dynamique des forêts dans la région face au changement climatique
Le changement climatique n’est pas le moteur direct de la déforestation, mais il en aggrave les conséquences. La perte de couvert forestier à Sikasso a généré d’énormes quantités d’émissions de CO₂ (1,60 million de tonnes entre 2001 et 2024 et 4,45 millions de tonnes en 2024) selon Global Forest Watch (GFW), contribuant ainsi au réchauffement climatique et à la dégradation des sols. Ce cercle vicieux rend la régénération de la forêt encore plus difficile et augmente sa vulnérabilité face à des menaces comme les feux de brousse. En l’absence d’arbres, les sols deviennent plus vulnérables à l’érosion et à la désertification, un processus accéléré par l’augmentation des températures et la variabilité des précipitations causées par le changement climatique.

Visualisation générée par l’IA à partir des données collectées
Les données sur la déforestation dans le cercle de Kadiolo proviennent de la plateforme de surveillance des forêts Global Forest Watch, en collaboration avec l’Université du Maryland. Ces chiffres, y compris la perte de 18 800 hectares entre 2000 et 2020, sont calculés à partir de l’analyse d’imagerie satellite et sont disponibles sur le tableau de bord en ligne de Global Forest Watch.

Visualisation générée par l’IA à partir des données collectées

Evolution nette des forêts à Kadiolo vue par GFW
Selon Global Forest Watch, le total des pertes est différent de la perte annuelle de couvert végétal, car ces données ont été créées à l’aide d’une méthode et d’une définition de la forêt différentes. Les perturbations représentent les zones ayant subi à la fois des pertes et des gains entre 2000 et 2020.
Plus précisément, entre 2000 et 2020, Kadiolo a gagné 14700 ha de couvert arboré à l’échelle régionale, ce qui représente 15% de tout le gain de couvert arboré dans Sikasso. Il est important de noter que 100% de ce gain de couvert arboré s’est produit en dehors des plantations. Les principales localités ayant contribué au gain de couverture forestière dans la région de Sikasso entre 2000 et 2020 sont les suivantes :

Le cercle de Kadiolo a connu une déforestation importante entre 2021 et 2024, avec 100 % de la perte de couvert arboré se produisant dans la forêt naturelle. Selon Global Forest Watch, en collaboration avec l’Université du Maryland, la perte totale de couvert forestier s’élève à 7,98 kha sur cette période, ce qui a généré 2,61 Millions de tonnes d’émissions de CO₂. Le rythme de la déforestation s’est accéléré, passant d’une perte d’environ 1,3 kha en 2021 à 2,6 kha en 2024. Et Pour l’année 2024 seulement, la perte de 2,46 kha de forêt naturelle a engendré 837 kt d’émissions de CO₂.
De 2001 à 2024, Kadiolo a perdu 7 ha de couvert arboré relatif, ce qui équivaut à une diminution de 98% depuis 2000 et à 0,20% de l’ensemble de la perte de couvert arboré dans la région de Sikasso. Voir l’illustration ci-dessous réalisée par Global Forest Watch.

Réponses locales et institutionnelles, un défi crucial
Face à cette crise multidimensionnelle, des actions ont été initiées, mais leurs limites sont manifestes. La mairie de Misséni, avec l’appui des services des Eaux et Forêts (DNEF, dont les données sont compilées par l’INSTAT), a mis en place des campagnes de sensibilisation à l’exploitation rationnelle et a institué des journées de reboisement sur les sites exploités. Un comité de gestion des fonds issus de l’orpaillage, composé de membres des trois villages, a été créé pour aplanir les différends et gérer les revenus.
L’ancien maire Nabaga Coulibaly explique que la commune perçoit des revenus via la vente de vignettes pour engins, des frais pour les autorisations d’exploitation et un prélèvement sur le gramme d’or, réparti entre la commune et les autorités villageoises et coutumières. Ces fonds, dont le montant annuel s’élève à des centaines de millions en francs CFA, sont censés être réinvestis dans le développement communal et la restauration environnementale.
Cependant, ces efforts se heurtent à de nombreux obstacles : le caractère illégal de la majeure partie de l’orpaillage, l’afflux constant de personnes venues de divers pays d’Afrique de l’Ouest (parmi eux le Burkina Faso, la Guinée, la Côte d’Ivoire…) et le manque de moyens pour une surveillance et une application rigoureuse des régulations existantes. La présence de mines semi-industrielles, non soumises aux mêmes règles que l’orpaillage artisanal, complique également la situation, expliquent les autorités locales.
La situation de la forêt de Lougouani est un exemple criant des défis posés par l’exploitation des ressources naturelles et le changement climatique. Pour inverser la tendance, plusieurs pistes sont proposées par les acteurs locaux et les experts. Boukary Demba Sidibé propose la restauration d’un schéma pastoral clair et une revalorisation de l’élevage comme pilier de développement économique pour les communautés.
Kadia Touré, ménagère à Lougouani, présidente des femmes de Misséni, insiste sur l’obligation légale et morale de remblayer les trous après l’exploitation et de reboiser systématiquement pour permettre d’autres activités sur les mêmes sols. Elle appelle au respect des mesures étatiques, coutumières et foncières pour la protection de l’environnement.
L’instauration ou le retour de la jachère dans les champs est suggéré pour régénérer les sols, une pratique devenue impossible en raison de l’exploitation aurifère. Il est important de rendre plus claires et coercitives les lois encadrant l’orpaillage, d’appliquer rigoureusement les sanctions prévues en cas d’exploitation illégale et de renforcer les capacités des services de contrôle.
Une gestion plus durable des ressources, la mise en œuvre des solutions de restauration concrètes, et un dialogue renforcé entre toutes les parties prenantes – communautés, autorités, orpailleurs, ONG, et entreprises minières – sont essentiels pour préserver ce patrimoine naturel.
Malgré les profits immédiats qu’il génère, l’orpaillage a des conséquences dévastatrices à long terme sur l’environnement et les communautés de la commune de Misséni. La question demeure : les mesures actuelles suffiront-elles à inverser la tendance avant qu’il ne soit trop tard et à assurer un avenir viable aux populations du cercle de Kadiolo ?
Enquête réalisée par Sadia Camara avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO) dans le cadre du Programme Sahel.





