
Coupe abusive du bois, principale cause de la déforestation à Filingué
Il y a environ 30 ans, Goumbin Marayya était une richesse forestière inestimable pour les populations locales. Mais aujourd’hui, cette forêt disparaît progressivement en raison de la coupe abusive du bois. Chaque année, plus de 3.000 arbres, toutes espèces confondues, sont abattus à Filingué, selon le responsable communal de l’environnement.
Dans cette ville, deux foyers sur trois utilisent principalement le bois et le charbon de bois pour la cuisson et le chauffage. L’accès au gaz domestique reste difficile pour la majorité de la population en raison de son indisponibilité et de son coût élevé. Une situation qui entraîne la coupe excessive des arbres, ce qui a un impact sur le climat et l’écosystème de la région. Ibrahim Chaibou, habitant de la ville de Filingué, témoigne.

Image du bois destiné à la commercialisation
« Dans le secteur de l’énergie, c’est l’utilisation du bois qui domine et cela ne date pas d’aujourd’hui et c’est de manière traditionnelle, vous le savez autant que moi. Il faut prendre la chose sous deux (2) aspects : il y a l’aspect qui consacre le bois comme le combustible que nous utilisons quotidiennement, mais aussi pour le commerce local. Ce qu’il faudrait, peut-être, c’est de continuer à sensibiliser les populations locales qu’au lieu de couper les arbres à chaque fois, il faudrait utiliser le gaz ou bien l’énergie moderne qui est plus efficace, mais aussi moins polluant que le bois ».
Au Niger, la demande en bois a connu une importante augmentation ces dernières années. Selon le commandant Bokoye Souleymane, chargé de programme à la Direction des eaux et forêts, en 2020, la demande en bois est évaluée à 4 millions de tonnes, ce qui occasionne une perte annuelle des ressources forestières estimées à 120 000 ha, soit l’équivalent de près de 5 fois la superficie de la ville de Niamey.
A Filingué, d’autres raisons expliquent l’ampleur de la coupe abusive du bois. Il s’agit de l’absence d’autorisations de coupe d’arbres par les autorités compétentes et du commerce non réglementé du bois de chauffe comme le témoigne un coupeur clandestin de bois.
« La forêt de Goumbin Marayya se trouve dans un état de disparition parce que les arbres qu’elle abrite sont coupés. Il y a ceux qui prennent au niveau du service de l’environnement un papier qui les autorise à couper les arbres, mais en réalité, la plupart de ceux qui coupent les arbres le font dans l’informel. Nous sommes beaucoup à couper le bois dans la brousse de Filingué sans aucune autorisation. Généralement, nous nous rendons le matin en brousse et nous passons toute la journée à couper des arbres. Avec l’insécurité, les agents des eaux et forêts ne peuvent venir là où nous coupons le bois. A la tombée de la nuit, nous faisons le chargement des bois coupés sur nos charrettes pour rentrer à Filingué. La plupart du temps, nous arrivons à Filingué vers le crépuscule, sinon tard dans la nuit, au moment où les agents de l’environnement ne sont plus de service. Souvent, nous changeons d’itinéraire quand ils arrivent à retrouver nos traces. Mais ce qui nous aide à échapper aux agents, c’est que nous nous informons entre nous. Dès que je vois un véhicule de forestiers, j’informe aussitôt les autres et vis versa. Nous coupons les arbres pour subvenir aux besoins de nos familles étant donné qu’il n’y a pas de travail à faire ».
Chaque jour, des véhicules gros porteurs et des charrettes font des va-et-vient remplis de bois coupés de façon anarchique et illégale. Selon nos constats, quotidiennement, plus une dizaine de charrettes remplies du bois coupés sans autorisation rentrent clandestinement dans la ville de Filingué. Une situation qui indigne l’acteur de la société civile, Moussa Inoussa :

Photo d’une charette transportant du bois à Filingué
« La coupe du bois se fait de façon anarchique et cela est d’autant vrai qu’il suffit juste de faire un tour à la sortie nord de Filingué, vous allez constater de vous-même les charrettes qui rentrent en sous-groupe de 2 ou 3 dans la ville de Filingué remplies du bois surtout au crépuscule au moment du coucher du soleil la période pendant laquelle les auteurs échappent au contrôle des agents des eaux et forêts. Tu prends en exemple, le quartier Caren Dole, ils sont beaucoup ceux qui ont fait de cette activité source de revenue, et ce, pendant plusieurs années au point qu’ils sont devenus une référence et ils maitrisent la brousse qu’ils échappent aux eaux et forêts et tout ceci sans aucune autorisation du service de l’environnement au préalable. La vente se fait au vu de tous parce que tous les bois qu’ils coupent servent d’alimenter la ville de Filingué, c’est nous qui en payons ».
Selon le Lieutenant Idrissa, agent en service à la Direction départementale de l’environnement de Filingué, le faible effectif d’agents de l’Etat rend difficile la lutte contre la coupe clandestine des arbres. Constaté dans le cadre de ce reportage, le Lieutenant a préféré répondre à nos questions par écrit.
« D’abord, on comprend par la coupe du bois, quand elle ne respecte pas les normes techniques, de couper l’arbre pour lui permettre de bien régénérer et continuer de produire du bois. Beaucoup des gens s’adonnent à cette activité parce que de nos jours la demande en bois est forte en milieu urbain qu’en milieu rural. Effectivement, malgré l’existence du service, cette pratique est loin de connaitre sa fin. Cela s’explique à deux niveaux : Premièrement, l’effectif des agents de l’environnement est faible par rapport à la zone de couverture ce qui fait qu’on ne peut pas tout contrôler en même temps et aussi le manque de moyens logistiques en quantité du coup, on ne peut pas partir où nous voulons quand nous le voulons. À cela s’ajoute l’interventionnisme. Nous allons prendre la victime de la coupe abusive aujourd’hui, demain on nous appelle pour plaider en faveur de la personne comme quoi, il ne refera plus ça et on ne peut pas dire non surtout que souvent ce sont des leaders communautaires qui nous demandent la faveur. C’est sont ces deux aspects qui expliquent la prise de l’ampleur de la coupe du bois à Filingué ».
Dans un pays désertique comme le Niger, perdre chaque année d’importantes ressources forestières, rien qu’à travers la coupe d’arbres, impacte négativement le vécu quotidien de l’homme à travers la disparition de la biodiversité, selon les explications de l’agronome Racho Boubacar.
« Les conséquences de la coupe abusive du bois, de façon générale, d’abord, il faut se dire qu’il y a les changements climatiques, le cycle même de l’eau. L’avancée du désert en parlant de la destruction de l’environnement, le couvert végétal est parti, il n’y a rien, la dégradation, les sols, ils ne sont plus rentables aujourd’hui aux alentours de Filingué les champs, ils répondent juste aux noms des champs, mais en réalité, on trouve quoi ? Alors que nous, quand on était enfants, aux alentours de Filingué, on peut, les champs sont viables et aujourd’hui les champs sont vides, les sables est rouge, on voit clairement, il n’y a rien ».
Pour le Lieutenant Ismaël, les conséquences de la coupe du bois impactent négativement aussi le sol.
« A Filingué, dans les années à venir, vous n’aurez plus d’espace vert, les champs seront complément dégradés et aussi, il y aura une érosion massive, hydrique, éolienne qui vont davantage dégrader les terres cultivables, mais aussi la poussière qui va s’intensifier sur la ville de Filingué. Sur l’environnement, la coupe abusive du bois entraine non seulement l’élévation des températures et une dégradation continue accélérée de terres cultivables, mais aussi, on peut avoir un manque de rendements des productions agricoles ».
Au Niger, plusieurs organisations à vocation de protection de l’environnement ont vu le jour. C’est le cas du Mouvement des Jeunes Volontaires de Tounfalis qui font des sensibilisations à l’endroit de la population sur la protection des arbres et surtout sur la lutte contre le sachet plastics qui empêche la progression des arbres, selon la vice-présidente de l’association, Zouèra Ibrahim.
« Au niveau de notre organisation, nous sensibilisons la population sur les dangers de la coupe anarchique des arbres et sur l’importance de les planter et de les entretenir, nous faisons cela, surtout pendant la saison hivernale au moment de la fête de l’indépendance du Niger de chaque 3 aout. Nous plantons non seulement les arbres, mais nous distribuons également des plants aux gens pour planter aussi. Nous luttons également contre la prolifération des déchets plastiques qui constituent un frein au développement des arbres, c’était à travers une campagne de sensibilisation. Nous voulons que les gens comprennent, si les arbres qu’ils sont en train de couper n’ont pas été entretenus par d’autres personnes avant nous, nous n’allons pas les trouver jusqu’à les couper. Il faut aussi savoir planter un arbre lorsqu’on coupe un autre ».
Que faire face à cette situation qui ne fait que prendre de l’ampleur au Niger ? Il serait nécessaire, voire obligatoire, de trouver des issues favorables pour lutter contre la déforestation afin de récupérer le couvert végétal, source de survie des êtres vivants indispensable à l’épanouissement de l’homme et d’éviter la dégradation de l’environnement. L’agronome Racho Boubacar propose quelques pistes de solutions qu’il situe à deux niveaux.
« Pour résoudre ce phénomène ou pour un peu démunie ou minimiser les risques, je dirai que c’est à des différents niveaux, il y a le côté des autorités, l’État et il y a aussi du côté de la population en tant que tel. Mais comme on dit, l’État est le chef suprême, tout repose sur les épaules de l’État ; pourquoi je dis ça, parce que, la population souvent, il faut la comprendre. La population souvent, elle est ignorante, chacun voit l’arbre, il veut utiliser pour se satisfaire point il ne voit pas que s’il coupe aujourd’hui et celui qui va venir demain qui aura le même besoin que lui, il va faire comment ? En matière de la gestion des arbres, il y a ce qu’on appelle la régénération naturelle assistée, c’est ça qui est préconisé, il faut couper, et il faut entretenir. Quand on trouve un arbre, il ne faut pas le hacher, complètent, tu enlèves une partie et tu entretiens l’autre partie, comme ça ce que tu as aujourd’hui, demain d’autres branches vont repousser, tu vas venir continuer à utiliser et encore quand on coupe, il faut savoir planter. Il a fallu que les gens comprennent à planter et à entretenir les arbres. Maintenant du côté de l’État, il faut qu’il revienne pour accompagner cette population parce que aujourd’hui ne serait-ce que pendant la fête du 3 aout à chaque année, on prend des hectares, on plante des arbres, mais est-ce qu’avant 3 août prochain parmi ces arbres, on plante des milliers des plants est-ce que dans ce millier, on peut avoir 100 viables ? Il n’y a pas de suivi donc là, c’est la responsabilité de l’État ».
Pour Moussa Inoussa acteur de la société civile à Filingué la solution, c’est de renforcer le suivi par l’État et les partenaires pour la pérennisation des acquis de plusieurs années de travail dans le domaine de la récupération des terres pour retrouver le couvert végétal.
« Je pense que la solution, l’État et les partenaires à travers les récupérations des terres doivent faire du suivi parce que quand on fait des plantations chacun de son côté doit faire le suivi, c’est surtout ce qui manque parce qu’on en a tellement fait dans le pays, mais quand même ça n’a pas d’impacts, il n’y a pas de résultats ça ne se voit pas sur le terrain. Je pense que c’est à l’État et les partenaires parce que la population ne comprend, elle ne mesure pas l’impact de ce qu’ils sont en train de faire ; donc, c’est de continuer à faire des récupérations des terres, des plantations et faire surtout du suivi parce que s’il y aura du suivi vu les terrains qui ont été récupérés, on allait avoir des forets puisque ça fait des années que l’État et les partenaires font ce travail, mais vraiment comme je le dis, il n’y a pas d’impact ».
Le secteur forestier au Niger est régi par la loi n°2004-040 du 8 juin 2004, portant régime forestier. La vulgarisation et l’application stricte de cette loi, peuvent contribuer à diminuer la coupe du bois et de protéger les forêts. D’autres parts, il faut continuer de sensibiliser la population dans son ensemble sur les dangers liés à la coupe du bois, mais aussi sur l’importance de planter et d’entretenir les arbres et de mettre un plan de suivi afin de pérenniser les différentes réalisations faites dans le cadre de la récupération des terres et de la plantation des arbres au Niger.
Enquête réalisée par Assoumane AMADOU CHITOU, avec le soutien de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest, dans le cadre du “programme Sahel”