« Quand la mine s’installait, le blanc nous a dit qu’il allait être notre ami, qu’il n’allait pas nous faire souffrir. Il nous a dit qu’il n’allait pas nous chasser de nos exploitations artisanales d’or. Mais un jour, il a amené la police qui nous a chassées. Hommes, femmes et enfants. Cela fait au moins 5 ans que nous ne travaillons plus. Nous n’avons rien. Nos maris n’ont rien. Pourtant il faut payer la scolarité des enfants, il faut se soigner. Mais avec quoi ? ». S’indigne Rasmata Kaboré, présidente des femmes de Nobsin, le regard triste. Sibdou Sawadogo, présidente des femmes du village de Mogteodo V3, déplore l’exode des bras valides à cause de la pauvreté : « Nos enfants et nos maris quittent le village et même le pays à la recherche de leur pitance. Nous n’avions jamais vu cela », témoigne-t-elle. « Ils fuient vers le Mali, la Côte d’Ivoire, le Niger. Certains y meurent. D’autres reviennent malades », regrette Mitbkiéta Sawadogo, une habitante de Nobsin.

Ces femmes participaient toutes à une réunion des femmes des localités affectées par le projet aurifère, le 22 juin 2020, à Nobsin. L’idée de ces rencontres est née pour trouver des solutions aux difficultés qu’elles vivent depuis l’interdiction de l’orpaillage artisanal dans les limites du permis d’exploitation de la mine, en 2011.

Le site de relocalisation de Longrin-Mossi dans les eaux de pluies en août 2020/L’Evénement

Les travaux du projet aurifère de Bomboré ont été lancés par le Premier ministre, Christophe Joseph Marie Dabiré, le 24 mai 2019. C’est une mine industrielle d’une superficie de 24,92 km2, est d’une durée de vie de 13 ans. La mine est détenue à 100 % par Orezone, une société canadienne, filiale de la société Orezone Inc Sarl.  10 % du capital ont été cédés à l’État burkinabè, conformément à l’article 43 du code minier de 2015. La mine est située sur les terroirs des villages de Nobsin, Mogtédo V4, Mogtédo V5, Mogtédo V3, Mogtédo V2 et Bomboré V1, dans la commune rurale de Mogtédo, province du Ganzourgou, dans la région du Plateau central, à 80 kilomètres de Ouagadougou. Dans cette zone, les principales activités économiques et de subsistance de la population sont l’agriculture et l’orpaillage. L’orpaillage occupe hommes, femmes et enfants, en saison sèche comme en saison hivernale, depuis 30 ans.

L’hectare de champ agricole compensé à 600 000 francs CFA

Les femmes ne sont pas les seules à se plaindre de l’entrée de la société minière dans leur vie. Il y a surtout les hommes, préoccupés par la perte de leurs champs et maisons. Le Plan d’action de réinstallation de février 2016 révèle que les activités d’installation de la mine affectent 4 329 personnes regroupées dans 1265 ménages. Elles entraînent également la perte de 1443 habitations, 2 402 annexes d’habitation et 594 infrastructures à usage commercial. Par ailleurs, elles conduiront soit à la destruction ou à la perte d’accès à 343 champs agricoles sur une superficie de 412,5 hectares et 54 971 arbres. 49 ouvrages hydrauliques, mosquées, logements pour enseignants et agents de santé, latrines, seront aussi détruits.

Face à la perte des champs, les chefs de ménages s’attendaient à une compensation en nature, c’est-à-dire terre pour terre. Finalement, celle-ci a été financière. Au départ, la mine a proposé 300 000 FCFA par hectare. Face au refus des propriétaires terriens, ce prix a évolué pour atteindre 600 000 FCFA. Les récoltes également sont compensées financièrement à raison de 301 830 FCFA par hectare et par an pendant une durée de 05 ans. Soit un montant total de 1 509 150 FCFA pour les 05 ans.

Au Burkina Faso, ni le code minier de 2015 ni la loi portant expropriation pour cause d’utilité publique et indemnisation des personnes affectées de 2018 ne prévoient la compensation terre pour terre. Ils ne fixent pas non plus le montant de la compensation financière. Ce montant est laissé à la négociation entre exploitants miniers et propriétaires terriens. Dans le cas du projet aurifère de Bomboré, les propriétaires terriens disent avoir accepté les 600 000 francs CFA parce qu’ils le veuillent ou non, ils n’auront plus leurs champs.

Cependant, la compensation financière est la chose la moins voulue par les paysans. Ceux-ci estiment que sans leurs champs agricoles et sans l’orpaillage, ils seront confrontés à la famine les prochaines années et ne pourront pas assurer l’avenir de leurs enfants. « Orezone nous livre à la misère », s’indigne Hamidou Ouédraogo, l’une des personnes affectées dans le village de Nobsin, rencontré sur place le 22 juin 2020. « Qu’est-ce qu’un cultivateur exproprié définitivement de son champ peut bien faire avec un dédommagement de 600 000 francs par hectare. S’il doit par exemple dépenser 500 francs par jour pour la restauration d’une seule personne. Cela fait 15.000 francs par mois et 180 000 francs par an. S’il a au moins 10 personnes dans son ménage comme c’est courant chez nous, il devra dépenser 1.800.000 francs, rien que pour la restauration. Sans compter la scolarité des enfants et les soins sanitaires », détaille-t-il.

Selon Adama Demé, gérant de la Société de conseil et de réalisation pour la gestion de l’Environnement (SOCREGE), des recherches de terres ont été faites jusqu’à Bagré Pôle pour compenser les champs expropriés. Mais elles ont été infructueuses, explique le patron du cabinet chargé de la mise en œuvre du plan d’action de réinstallation et programme de restauration des moyens de subsistance dans la zone. Il s’exprimait au cours d’un entretien, le 18 août 2020, dans le cadre de cette enquête, dans les locaux de Orezone, à Ouagadougou.

« Dans la Commune de Mogtédo et plus singulièrement dans la zone aménagée il y a des terres non cultivables que Orezone aurait pu rendre cultivables pour satisfaire la compensation bien pour bien. Certes, il n’y aura pas assez de terres pour toutes les personnes affectées mais celles qui perdent toutes leurs terres peuvent avoir un petit lopin de terres pour leur agriculture », analyse un acteur des questions communautaires dans le secteur minier, évoquant son devoir de réserve pour ne pas être cité nommément.

Une réinstallation à problèmes

Un constat se dégage sur l’ensemble des sites de réinstallation des populations affectées : l’absence des ouvrages de drainages des eaux de pluies le long de chaque voie principale. Selon le Plan d’action de réinstallation, la mine doit construire au moins 07 à Nobsin-natenga, 01 à Koksin, 03 Nonraoghin, 02 à Longrin-Peulhs, 05 à Longrin-Mossi, 03 à Razinghin et 04 à Mogtéodo V4. La non construction de ces ouvrages est une préoccupation soulevée par des représentants des sites de Razinghin et de Mogtédo V4, le 30 octobre 2019, au cours d’une rencontre avec les responsables de la mine.

La réalisation des caniveaux est une exigence de l’Arrêté conjoint du ministère de l’urbanisme et de l’habitat et du ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation, portant autorisation de lotir, signé le 28 décembre 2018. La session du Comité technique d’évaluation environnementale (COTEVE), tenue les 06 et 07 octobre 2018, a aussi recommandé à Orezone de les construire. Mais ni l’Arrêté conjoint ni la recommandation du COTEVE n’ont été respectées. « Nous sommes dans un processus. Pendant la réalisation de la voirie, il y a eu la réalisation d’un tunnel d’évacuation pour le moment. En fonction des besoins, on sera amené à réaliser les caniveaux », confie Serge Damiba, gérant du cabinet Archi Consult, chargé du suivi des travaux de construction des infrastructures du Plan d’action de réinstallation. Il participait à l’entretien du 18 août 2020, dans les locaux de Orezone, à Ouagadougou.

Certains sites de réinstallation sont dans des zones inondables. C’est le cas de Mogtéodo Centre V4 et de Longrin-Mossi. Les ménages devant être relogés à Longrin-Mossi ont refusé de valider leur site pour cette raison. Orezone a signé avec eux un protocole d’entente, le 1er août 2019, dans lequel il « s’engage à effectuer les travaux de génie civil nécessaires à l’effet d’éviter toute remontée d’eau ou inondation des parcelles ». Mais rien de concret sur le terrain pour le moment. Les logements sont regroupés par ménages, sur une superficie de 500m2. Seuls sont construites les maisons d’habitation. La cuisine, l’enclos pour bétail et le poulailler sont à la charge des ménages qui en possédaient avant la réinstallation contre une indemnité. Cependant, le montant de cette indemnité n’est pas précisé. La date de son paiement non plus.

Quant aux concessions, dans leur ensemble, elles sont sans murs de clôture, à l’exception de celles du chef de Nobsin et de murs témoins sur chaque site. Le plan d’action de réinstallation prévoyait une indemnité forfaitaire de 200 000 FCFA pour chaque ménage à cet effet. Mais face au refus des populations, Orezone a prévu de construire les murs de clôture une année après le début de la production de l’or. En attendant cette effectivité, tout chef de ménage qui le souhaite peut construire ses murs en s’inspirant des murs témoins et se faire rembourser après l’entrée en production de la mine.

A quand l’entrée en production ? Aucune date n’a été fixée. Les femmes, elles promettent de ne pas intégrer les nouvelles maisons tant qu’il n’y a pas de murs de clôtures. « Aménager dans des habitations sans clôtures pose des problèmes d’intimité, de sécurité et peut être source de conflit entre voisins », estime Sayouba Ouédraogo, président de l’Association Zems-taaba pour le bien-être social de Nobsin. Une réflexion soutenue par Josianne Niessougou, sociologue ayant participant à la mise en œuvre du plan d’action de réinstallation au compte de SOCREGE. Toutefois, elle a rassuré lors de l’entretien du 18 août 2020, dans les locaux de Orezone, à Ouagadougou, que les murs seront construits.

L’autre problème que pose l’absence des murs de clôture est celui de la sécurisation foncière. Au cours de l’entretien du 18 août 2020 à Orezone, Serge Damiba du cabinet Archi Consult, a déclaré qu’il n’y a pas de corrélation entre la clôture et la sécurisation foncière. Pourtant Le KITI numéro 0035 du 27 septembre 1989 portant réglementation des constructions de maisons à usage d’habitation dans les centres aménagés du Burkina Faso démontre le contraire. Il dispose que la clôture est une des composantes obligatoires dans le cadre de la mise en valeur d’un terrain, condition l’obtention d’un titre de permis urbain d’habiter (PUH) et/ou d’un titre de propriété.

Il s’avère aussi que l’élevage, deuxième activité principale après l’agriculture, n’est pas pris en compte. Le Plan d’action de réinstallation prévoit l’aménagement et la sécurisation d’une zone de pâture de 32 hectares, conformément à l’arrêté du ministre de l’environnement, de l’économie verte et du changement climatique, signé le 18 mai 2016. Il ressort de ce document que l’amenuisement des pistes à bétail à cause de l’extension des champs de culture est source de conflits entre agriculteurs et éleveurs. Plusieurs personnes affectées interrogées ne savent pas où se trouve cette zone et disent n’avoir jamais entendu parler d’un tel projet. Le gérant de SOCREGE soutient le contraire. « Pendant la réalisation du Plan d’action de réinstallation, un spécialiste a fait des études pour délimiter une zone de pâturage. Longrin-Peulh devait y être installé les éleveurs ont refusé. Néanmoins, l’idée de la zone de pâturage est restée », a-t-il témoigné au cours de l’entretien du 18 août 2020 dans les locaux de Orezone.

Des femmes travaillant sur le site minier avant la mise en oeuvre du permis d’exploitation/ORCADE

Difficile accès aux écoles, polémique autour des emplois locaux

Avec la réinstallation, la construction de la mine et sa sécurisation, plusieurs élèves se trouvent éloignés de leurs écoles. C’est le cas par exemple de Razinghin. Dans ce village, des enfants sont inscrits à l’école de Mogtéodo V4. Selon plusieurs témoignages, avec la pose du grillage de la mine, ces élèves parcourront 4 kilomètres, le double de la distance habituelle, pour rejoindre leur école. Les parents craignent des déperditions scolaires à cause de cette situation. Cependant, le directeur général de Orezone rassure. « Il y a un pont qui est prévu pour raccourcir la distance », confie-t-il.

Au cours d’une réunion publique, tenue le 26 juillet 2014, à l’école de Nobsin, les populations ont dressé l’état des infrastructures qu’elles ont perdues à cause du gel instauré par le projet aurifère. Il s’agit de la suspension de la normalisation de l’école primaire publique de 3 à 6 salles de classes sur financement de la mairie en 2011 et la construction d’une garderie populaire dotée d’un forage sur financement de l’ONG Terre des Hommes en 2011 également. Les participants à cette réunion ont souhaité que ces infrastructures soient prises en compte dans la mise en œuvre de la réinstallation.

267 278 699 071 à payer à l’État au titre des revenus et taxes durant l’exploitation minière

Redevances (4%) : 45 715 648 000 FCFA

Fonds minier de développement local (1%) : 11 428 912 000 FCFA

Impôt sur les sociétés (27,5%) : 102 933 769 400 FCFA

Dividendes de l’État : 27 891 925 490 FCFA

Retenue à la source :  15 689 208 088 FCFA

Retenue à la source des sous-traitants non-résidents : 1 32 757 600 FCFA

Taxes superficiaires : 5 349 125 100 FCFA

Taxes sur l’eau : 5 436 100 450 FCFA

Taxes sur le carburant : 31 774 964 568 FCFA

Cotisations sociales et impôt unique sur les traitements et salaires : 19 735 288 375

Source : Service juridique et administrative de Orezone

Dans le Plan d’action de réinstallation, il est d’ailleurs prévu, au titre des infrastructures communautaires, que les écoles et centres de santé « existantes et perdues du fait du gel » seront reconstruites et les terres sécurisées. Seule l’école primaire publique de Nobsina été reconstruite sur le site de réinstallation de Ipala. Ce sont les mêmes trois salles de classe qui y ont été érigées.

Le directeur général de Orezone Bomboré SA, André Baya/L’Evénement

Dans le cadre de la mise en œuvre du projet aurifère, Orezone a formé 377 personnes entre 2017 et 2019, d’après les statistiques officielles. Les domaines concernés sont la maçonnerie, la soudure, la menuiserie, la plomberie, l’électricité, l’énergie solaire, la mécanique moto, la réparation hydraulique, la conduite automobile poids lourds et la conduite d’engins lourds. Plusieurs bénéficiaires de ces formations se plaignent du manque d’emplois. Ils reprochent surtout à Orezone de ne pas les employer malgré une clause qui dit que la formation ne donne pas le droit d’exiger d’être employé par la société ou ses filiales.

Une accusation que réfute le conseiller aux affaires juridiques et administratives, Abraham Kéré. « Beaucoup de ceux qui ont bénéficié des formations ont été employés dans les travaux de construction par les prestataires de Orezone. Orezone demandait au représentant des communautés locales de lui fournir la liste des compétences locales, ces compétences locales incluant ceux ayant bénéficié des formations étaient prioritairement employées. C’est une obligation contractuelle dont le non-respect peut entraîner la résiliation du contrat », précise-t-il. Mais selon plusieurs témoignages recueillis dans les villages impactés les compétences locales n’ont pas suffisamment eu accès à l’emploi dans les travaux de construction des sites de réinstallation. Sauf quelques personnes recrutées comme manœuvres.

Alors que Orezone se définit comme une société citoyenne, le constat sur le terrain est que les dispositions liées à la réinstallation des personnes affectées ne sont pas appliquées de façon satisfaisante. Jonas Hien, directeur exécutif de l’Organisation pour le renforcement des capacités de développement (ORCADE), une ONG qui milite activement en faveur d’un secteur minier profitable aux communautés locales en appelle à la responsabilité du gouvernement face à ce problème commun aux sociétés minières. « Le gouvernement, dit-il, doit adopter des référentiels nationaux en matière de négociations et dédommagements des populations pour ce qu’elles perdent au profit des mines. Il doit aussi mettre en place un comité de suivi du respect des standards en matière de réinstallation des populations affectées, comprenant des représentants de la société civile ».