Traites d’enfants : Ces mineures qui se vendent comme du bétail à Ouagadougou
Le besoin en filles de ménage, communément appelées “bonnes” a favorisé le développement de la traite d’enfants surtout les mineures dans la ville de Ouagadougou. L’un des quartiers généraux de cet « esclavage des temps modernes » se trouve à la gare de l’est. Immersion dans ce marché de mineures !
« Ma patronne m’a dit au départ qu’elle voulait une fille pour l’aider à servir les clients dans un kiosque. Chaque matin, je me rends effectivement au kiosque. Mais en plus des services du kiosque, elle me demandait aussi de me charger des activités domestiques à la descente. Je ne peux pas tenir. Moi je ne peux pas. Je préfère aller ailleurs », témoigne Asséta, 15 ans, rencontrée à la gare de l’est de Ouagadougou, le 18 septembre 2020. Dans sa main, elle tenait un sachet de couleur bleue comme sac de voyage et se dirigeait vers le centre-ville. Elle vient de rompre unilatéralement avec sa patronne, cinq jours après avoir conclu un contrat verbal de travail.
Cette décision lui a coûté un décoiffement et une restitution des anciens habits qu’elle avait pourtant reçus de sa patronne. « Je lui ai dit de défaire les cheveux que j’avais tressés et de me ramener toutes mes habits que je lui ai donnés. Après cela, je l’ai ramenée où je l’avais prise », raconte la patronne, dans une colère noire qu’elle avait du mal à cacher. Comme pour se consoler, elle laisse entendre que de toute façon, ce n’est pas grave, parce que, les enfants, elle en trouvera encore.
Depuis l’âge de 13 ans, la petite Asséta, originaire de Gorgo dans la commune de Koupéla, province du Kouritenga, localité située à plus de 140 kilomètres de Ouagadougou, est régulièrement « placée » dans des ménages. Pour ce contrat qui s’est achevé en queue de poisson, elle avait été placée pour une rétribution mensuelle de 20.000 francs par mois. L’histoire de Asséta n’est pas un cas isolé.
Un réseau de trafiquants
A la gare de l’Est de Ouagadougou, située sur la route nationale numéro 4, à une centaine de mètres de l’École Nationale des Régies Financières (ENAREF), plusieurs activités connexes se sont développées à côté du transport. Parmi elles, une entreprise de placement d’enfants dans les ménages. Tout commence à la fin des travaux champêtres. Après ces travaux, les fillettes quittent leurs localités respectives, certaines à l’insu de leurs parents et d’autres au vu et au su de ceux-ci. Direction, Ouagadougou, la capitale burkinabè, à la recherche de mieux-être.
Le trajet est fait avec la complicité de certains conducteurs qui transportent ces mineures jusqu’à la gare de l’Est, en échange d’un billet de 1.000 ou de 2.000 francs par enfant. Sur place, elles sont confiées à des personnes, constituées en réseau, qui font du placement des filles de ménages dans les familles leur business. Ces “commerçants”, uniquement des hommes, ont parfois de listes de potentiels demandeurs, composée majoritairement de femmes, sous la main. Ils deviennent des tuteurs pour ces mineures sans forcément savoir si leurs parents sont oui ou non au courant de leur départ du domicile familial.
Ils sont bien connus de nombreux Ouagavillois et Ouagavilloises. Car c’est auprès d’eux que la plupart des femmes embauchent les filles de ménage. A la tête du réseau se trouve celui que plusieurs personnes qui travaillent à la gare et aux alentours, ainsi que les clientes (les femmes qui viennent embaucher les filles) appellent affectueusement « Yaaba, Baba, ou le vieux ». Septuagénaire, il est très effacé, discret et calme. Yaaba est incontournable dans le circuit de placement des filles de ménage à Ouagadougou. Il mène l’activité en collaboration avec deux hommes, des quarantenaires aux corpulences imposantes. L’un est surnommé Zimafo et l’autre Silmiga. Ils sont chargés de coordonner l’arrivée et le placement des filles.
Pour Yaaba, ce travail de placement est une aide qu’il accorde à ces mineures bien que leurs parents ne soient pas souvent informés. Cette « aide » dont le vieux se dit rendre aux mineures, il la monnaie à sa guise sans rendre compte à personne. Ses journées sont rythmées de « Reggya ! », c’est-à-dire « tenez !», en langue locale mooré. Ses deux poches sont remplies de billets de 10.000 et de 5.000 FCFA qu’il exhibe aux yeux de tous pour rendre la monnaie à ses clientes. Yaaba n’a pas une seule entrée d’argent issue de ce « commerce des mineures ». Sur chaque fille qu’il « place », il encaisse une somme de 5000 francs. Hormis cette caution, il perçoit de temps en temps des primes de reconnaissance de la part de ses clientes et même des mineures placées dans les ménages.
13 ans, elle vient d’arriver à Ouagadougou pour la première fois pour chercher du travail
Zalissa, 13 ans, rencontrée également dans ce marché de mineures, le vendredi 22 septembre 2020, est, elle-aussi, l’une des victimes du circuit de Yaaba. Elle vient d’arriver à Ouagadougou pour la première fois pour chercher du travail. Pour cette originaire de Mogtédo, commune rurale de la province du Ganzourgou dans la région du plateau central, son jeune âge est son malheur. « Je préfère les plus petites, parce qu’elles sont plus dociles », laisse entendre une cliente de Yaaba à la vue de la fillette. La petite Zalissa décroche aussitôt du travail. Elle est vite embarquée après la conclusion du contrat : 15.000 FCFA par mois pour surveiller des enfants.
Amie, elle, dit avoir 14 ans. Elle est originaire de Zorgho, localité située à une centaine de kilomètres de la capitale burkinabè. Le réseau de Yaaba et certaines clientes l’ont surnommée « bi-yoogo », « mauvais enfant » en langue locale mooré. Le lundi 02 octobre 2020, elle se faisait remonter les bretelles par Yaaba et compagnie à la gare de l’Est. Son surnom « bi-yoogo » vient du fait qu’elle ait été renvoyée par plusieurs employeuses en l’espace d’une semaine après son arrivée.
L’histoire de la petite Amie était sur toutes les lèvres des femmes qui ont élu domicile dans cette gare de l’Est dans l’attente de l’arrivée des filles de ménages. « Toi, tu es quel genre de fille, tu n’es plus une enfant, 14 ans. On te prend et on te ramène. Pas une seule fois, plusieurs fois. Moi en tout cas, je ne veux pas celle-là », murmurait, en mooré, l’une des clientes. Avant même qu’elle ne termine sa parole, une autre, madame Koudrema, nom d’emprunt, lui coupe la parole. « Moi non plus. J’ai vraiment besoin de fille en ce moment pour surveiller mon enfant au bureau mais je ne veux pas celle-là ».
Pendant qu’elle essaie de s’expliquer, une autre éclate de rire en se lâchant : « Vous voyez, est-ce que, moi, je parle », interroge-t-elle, avant de répondre elle-même à sa propre question : « C’est mieux d’attendre pour avoir de bonnes filles ». Entre temps, Yaaba reçoit un coup de fil. A peine dix minutes, et voilà, une femme d’environ 50 ans qui se présente dans une voiture 4×4 avec son chauffeur. Quelques minutes d’échange et le marché fut conclu à 20.000 francs FCA. C’est le salaire que bi-yoogo recevra chaque fin de mois. Pendant ce temps Yaaba avait déjà encaissé ses 5000 francs de caution. Mais avant d’embarquer, Zimafo lui lance ceci : « Hey toi là, si tu pars cette fois-ci, tu sais ce que tu dois faire, n’est-ce pas ? ». Puis, il la met en garde : « Tu sais ce qui vas se passer, si ça arrive. Tu repartiras d’où tu es venue ».
Asséta, Amie et Zalissa ne sont pas les seules victimes de cet esclavage moderne qui s’est développé en pleine capitale burkinabè. Car elles sont des dizaines de filles des provinces du Ganzourgou et du Kouritenga qui descendent chaque jour dans cette gare de l’Est qui a pris l’allure d’un marché humain. Ces filles arrivent sous la coupe de Yaaba et compagnie avec un seul objectif, trouver un travail. Les moins âgées sont aussitôt embarquées à leur arrivée car elles sont la préférence des demanderesses.
Quand un partenariat pervertit la protection de l’enfant
« Les gens pensent que le travail que nous faisons ici, nous le faisons tout seul. Non, nous travaillons ensemble avec l’action sociale et l’ONG Terre des hommes. C’est même l’ONG Terre des hommes qui nous a donné le registre sur lequel nous enregistrons toutes les personnes qui viennent chercher les enfants chez nous », lâche Zimafo, avant de se renfermer dans une sorte de mutisme sur les autres questions, lorsque nous nous lui avons décliné notre identité de journaliste.
« Comme je viens de vous le dire, l’activité nous la menons avec l’action sociale, des ONG et moi-même, je suis aussi membre d’une association. Mais nous ne pouvons pas prendre la responsabilité de répondre à vos questions sans une autorisation préalable des personnes avec qui nous travaillons », déclare-t-il. Selon lui, ne pas parler aux journalistes sans autorisation est une recommandation de ces structures. Pour obtenir l’autorisation de discuter avec eux, il nous conseille de ne pas faire cas de notre rencontre avec lui.
« Si vous partez, dites-seulement que vous faites un reportage sur le placement des filles de ménages et que comme ce sont eux qui s’occupent du domaine, vous voulez des informations et si possible avoir une autorisation pour aller interviewer les acteurs sur le terrain », préconise-t-il avant de nous rassurer : « S’ils vous donnent, vous revenez, je vous réponds sans problème ». Sauf que ce partenariat sur lequel il dit s’adosser pour mener cette activité n’existe pas, du moins, c’est ce que disent les concernés lorsque nous les avons rencontrés.
Le directeur régional de la femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire du centre, Somè Sagnon, que nous avons rencontré à cet effet, semble étonné. Car, selon lui, si un tel partenariat existait entre l’action sociale et des personnes menant une telle activité, il serait le premier à être informé. « C’est vous qui nous apprenez cela. Si cela existe vraiment, c’est illégal. Faire venir des mineures dans les gares et puis récupérer de l’argent en les plaçant dans les familles, c’est illégal ».
De son avis, c’est une pratique qui se ferait à l’insu ou en complicité avec peut-être certains acteurs de la zone mais pas avec les services techniques ou publics chargés de la protection. Ce n’est pas possible », confie-t-il, catégorique. « En général, nous n’avons pas une collaboration formelle avec les acteurs sur le terrain, mais c’est avec les services des arrondissements que nous avons un partenariat en terme de suivi et nous sommes accompagnés dans cette tâche par les ONG comme Terre des hommes qui travaille directement avec les acteurs sur le terrain et qui essaie de les organiser », explique le directeur régional de la femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire du centre.
Même son de cloche ou presque au niveau de l’ONG Terre des hommes (TDH). Même si l’ONG dit au moins connaître ces structures au sein des gares, elle précise ne pas avoir de partenariat formel avec elles. « Dire que nous ne connaissons pas ces personnes qui sont au niveau des gares, ce sera mentir. Oui nous les connaissons mais nous n’avons pas un partenariat formel avec elles », explique l’un des responsables chargés de la coordination du programme de protection de l’enfance à TDH, Elisée Birba. D’après lui, TDH les accompagne à travers des séances de sensibilisation.
« C’est une situation que nous avons trouvée et nous essayons d’apporter notre contribution afin de permettre que les droits des enfants puissent être respectés. C’est pourquoi, nous leur demandons de prendre les contacts des personnes qui viennent chercher les enfants à leur niveau, au besoin avoir une copie de leurs pièces pour qu’au cas où il y a un problème, l’on puisse remonter à la personne », explique-t-il.
Cependant, son adjointe, Lausanne Tall, déclare que l’ONG n’est pas informée de l’argent que les acteurs du réseau encaissent sur le compte de chaque enfant. Ça ressemble un peu à du trafic et la loi condamne cette pratique. « Même ceux qui se portent volontiers de faire venir les enfants et de les placer dans les familles moyennant quelque chose, ça aussi s’est interdit par la loi », argumente-t-elle. « Toutefois, indique-t-elle, il ne faudrait pas que l’on oublie que ces personnes contribuent beaucoup à la protection de ces enfants surtout à la sensibilisation des femmes en cas de non-paiement des salaires, de maltraitance, de violence ».
…C’est de la traite
En effet, l’aide que Yaaba et compagnie disent apporter aux enfants dans cette gare de l’Est est jugée par le directeur régional de l’action sociale comme une traite. « Il faudra qu’on avise les structures habilitées, dit-il, mais d’habitude ces genres de pratique sont mis dans le domaine de la traite. Ce genre d’agissement, dans l’informel, a été organisé pour violer les droits de l’enfant ». Il préconise le démantèlement rapide de « ces entreprises ».
Interrogé sur la question, le juge d’enfants, Mathieu Lompo, soutient que si les informations données sont vérifiées, elles sont classées dans la traite d’enfants. Car dans ce cas précis, argumente-t-il, les enfants ont été extraits de leur milieu normal pour un autre endroit et vu leur âge, c’est interdit par la loi. Selon lui, c’est dans ces circonstances qu’on aboutit souvent à des phénomènes incontrôlables notamment le travail forcé, l’exploitation, la prostitution ou l’esclavage.
Le Code pénal punit la traite d’enfants d’une peine d’emprisonnement allant de 5 à 10 ans et d’une amende d’un à cinq millions de FCFA. Mais s’il s’agit d’une traite concernant un enfant de tout au plus de 15 ans, la peine d’emprisonnement est de 11 à 20 ans et l’amende de 2 à 10 millions FCFA. La prison ferme 11 à 20 ans est également appliquée si l’enfant a fait l’objet de travail forcé ou de pires formes d’exploitation sexuelles.
Une enquête de Yvette Zongo, journaliste à lefaso.net
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