Trafic du bois rose au Burkina : un commerce illégal nourri par des fonctionnaires
Il est connu pour être une espèce très prisée à travers le monde. Recherché pour des vertus qu’on lui attribue, le Pterocarpus erinaceus ou bois rose fait partie des espèces forestières qui se vendent bien. En Afrique de l’Ouest, le bois rose se commercialise malgré son interdiction dans plusieurs pays. Au Burkina Faso, la situation n’est pas une exception. Malgré l’interdiction qui est faite quant à son exploitation et à sa commercialisation, le bois rose fait l’objet d’une coupe abusive et de vente malgré les stratégies de lutte. Comment les auteurs de cette exploitation s’y prennent–ils ? Qui sont les fautifs ? Des agents des eaux et forêts se prêtent au jeu de « facilitateurs » des contrevenants. Comment ? Que fait le ministère en charge de la protection de l’environnement pour arrêter cette saignée ? Si rien n’est fait, le bois rose risque bien une extermination au Burkina Faso.
Le Burkina Faso n’est pas le pays qui abrite la plus grande densité de bois rose sur le continent, encore moins en Afrique de l’Ouest. Cependant, le pays dispose d’une quantité qui est malheureusement menacée à travers son exportation via des circuits illégaux. Le bois rose est une espèce protégée au Burkina Faso comme dans certains pays de la sous-région. L’arrêté nº2004-019/MECV du 07 juillet 2004 portant détermination de la liste des espèces forestières bénéficiant de mesures de protection particulière en fait cas. Cet arrêté vise la mise en œuvre du Code forestier objet de la loi nº006/97/ADP portant Code forestier au Burkina Faso, adoptée en 1997. Aussi, ce Code forestier en son article 44 dispose que « certaines espèces forestières, en raison de leur intérêt ethnobotanique spécifique ou des risques de disparition qui les menacent, bénéficient de mesures de protection particulières. Leur liste est déterminée par arrêté du ministre chargé des forêts. » Contre toutes ces dispositions, il existe des réseaux d’exploitation et de commercialisation illégales du bois rose.
Une lutte d’envergure internationale
En 2014, le Directeur des Eaux et Forêts de l’époque avait été suspendu au regard de son implication présumée dans un réseau d’exploitation et d’exportation du bois rose burkinabè. D’autres agents avaient également été relevés de leur fonction. Le ministère de l’Environnement avait promis que les fautifs seraient traduits en Conseil de discipline. Puis, plus rien. Il a fallu une enquête d’envergure internationale pour aider à freiner la saignée du bois rose.
C’est ainsi qu’en 2015, Interpol lance une vaste opération pour traquer les trafiquants dans la sous-région ouest-africaine. Dénommée Opération Log, elle a pris en compte le Burkina Faso. Différentes forces de sécurité composées des forces de la Gendarmerie, de la Police, des Douanes et des Eaux et Forêts ont alors été mises à contribution. Plus de 104 agents ont été mobilisés, selon une source proche d’Interpol. A l’issue des investigations, des entrepôts de bois rose ont été répertoriés à Bobo-Dioulasso, situés sur des parcelles non viabilisées et des cours clôturées mais non habitées. Ces entrepôts ont été retrouvés pour la plupart dans la zone industrielle de la capitale économique du Burkina, confient les enquêteurs.
Toujours selon le rapport d’enquête, l’un des entrepôts est une cour exploitée par l’entreprise Bolloré au port sec de la ville de Bobo-Dioulasso. Lors de la découverte, il a été saisi sur place, deux containers de bois rose en instance d’être convoyés par le train à Abidjan en Côte d’Ivoire, confie-t-on, en sus. De grandes quantités de bois rose ont été saisies dans les forêts au cours des coupes ainsi que sur les routes et entreposées dans les locaux des services forestiers de Bobo-Dioulasso, de Houndé et de Banfora. La quantité totale de bois rose saisie est estimée à près de 9.000 billes (troncs).
Quid des acteurs de la contrebande ?
Outre le bois rose saisi, l’opération Log a permis d’interpeller et auditionner plusieurs acteurs de ce commerce illégal, dresser des procès-verbaux d’audition pour les différents Procureurs des localités concernées. Des mandats d’arrêt ont également été lancés contre deux personnes : un Burkinabè du nom de Hamza Sawadogo et un Nigérien du nom de Moctar Saidou. Au total, 20 trafiquants illégaux de bois rose ont été interpellés, 4 ont été déférés, dont un Chinois du nom de Tony, confient les enquêteurs.
Certains défenseurs de l’environnement pointent du doigt le ministère pour son silence et son inaction, au regard de la persistance du phénomène. Acculé, il a voulu une fois de plus prendre le taureau par les cornes. Des mesures ont alors été prises afin d’atténuer ce commerce illégal du bois rose. Ainsi, il a été décidé de la suspension des activités des scieries de la région des Cascades, de la non-reconduction de la mesure portant autorisation spéciale d’exploitation du bois rose (qui avait été précédemment accordée aux acteurs), de l’élaboration d’une stratégie nationale de gestion durable du bois de service, du bois d’œuvre et de la réalisation de missions d’investigations par l’Inspection technique du ministère, dites investigations relatives au trafic illicite du bois rose dans les régions concernées. Nous étions en 2018. Malheureusement, ces mesures n’ont pas non plus mis fin à la pratique. Celle-ci s’est poursuivie au grand dam de l’Etat.
Puis, en 2019, de fortes rumeurs sur les réseaux sociaux font cas d’un abattage à grande échelle de bois rose dans les régions des Cascades et du Sud-Ouest, avec une exportation toute aussi grande qu’illégale. L’opinion s’en était offusquée à nouveau. A cette période, les responsables du ministère de l’Environnement ont voulu encore s’expliquer, tout en mettant en garde les contrevenants. La situation est restée inchangée.
Des forestiers toujours complices
« Cette affaire est une réalité ! » Cette phrase lâchée sans ambages par un agent des Eaux et Forêts dans la région des Hauts-Bassins est une affirmation qui en dit long sur la réalité du commerce du bois rose au Burkina Faso. Pourtant, le commerce de cette espèce a pris son envol il y a juste quelques années. Selon plusieurs sources et des acteurs du domaine de la préservation de l’environnement, notamment, du ministère de l’Environnement, il manque une réelle volonté de combattre la coupe abusive du bois rose, ce qui explique la recrudescence et la persistance de la coupe et de la commercialisation.
Selon un agent des Eaux et Forêts qui officie dans la région des Hauts-Bassins, « des forêts dans la région sont assaillies par des populations qui terrassent sans pitié » lesdits arbres. Cependant, il n’y a pas que la région des Hauts-Bassins. La ville de Bobo-Dioulasso n’est qu’une plaque tournante de ce commerce.
Selon les explications de cet agent des Eaux et Forêts, l’on se rend compte que la capitale de la région des Hauts-Bassins joue un double rôle dans le trafic. Non seulement, explique-t-il, il y a des coupes de bois rose dans la région, mais aussi, elle sert de lieu de stockage. Démonstration : des camions chargés de bois rose arrivent de la région des Cascades, située plus à l’ouest. Les contrevenants disposent de documents dits officiels et arrivent ainsi à traverser aisément les différents postes de contrôle. Une fois à Bobo-Dioulasso, l’espèce est stockée dans des containers qui ne s’ouvriront plus jamais jusqu’à quitter la ville en direction du Ghana.
La région des Cascades et celle du Sud-Ouest sont les principales zones pourvoyeuses de bois rose. Dans les Cascades, le bois coupé prend la direction de la ville de Bobo-Dioulasso. Selon une source locale, des tronçonneuses et des camions envahissent les forêts dans certains villages boisés des deux régions sus-citées. Leur cible prioritaire demeure le bois rose. Une fois les camions pleins, ils quittent la forêt et prennent la direction de Bobo-Dioulasso.
L’astuce trouvée est d’établir de fausses autorisations ou d’avoir des complicités au sein des agents forestiers ou encore d’user de la corruption des agents chargés du contrôle sur l’axe Banfora-Bobo-Dioulasso. Certains contrebandiers expliquent disposer de certificats d’origine du bois, des certificats qui seraient d’origine ivoirienne, confirment des enquêteurs d’Interpol. Les contrebandiers prétextent donc que leurs chargements sont d’origine ivoirienne en destination d’un autre pays : ils seraient donc en transit. Ainsi fait, ils arrivent à tromper la vigilance des contrôles pour se retrouver à Bobo-Dioulasso, afin de stocker leurs chargements dans des containers réservés à cet effet.
Pour ce qui concerne la région du Sud-Ouest, la zone de prédilection des contrebandiers reste la localité de Kampti où la forêt est la cible des commerçants du bois rose. Selon les témoignages, une fois le bois coupé dans la forêt, les conducteurs disposent de faux documents d’autorisation d’abattage qu’ils présentent aux agents des Eaux et Forêts lors des contrôles. Quand la situation coince, certains prétextent l’autorisation d’un chef de poste forestier. Ce dernier appellera, sur-le-champ, afin d’autoriser le convoi à poursuivre son trajet. Le bois est ensuite conduit vers les ports du Ghana et du Togo.
Le rapport de la convention sur le commerce international des espèces en danger de la faune et de la flore sauvages, rapport issu de la 18e réunion de la Conférence des parties tenue à Colombo au Sri Lanka du 23 mai au 3 juin 2019, fait cas du bois rose burkinabè. Le document indique que « les exportations du Ghana semblent être complétées par des importations illégales en provenance du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire, malgré le fait que tous ces pays aient mis en place des interdictions d’exportation de grumes ».
Au regard de cette situation qui frise l’incapacité du ministère de l’Environnement à stopper cette activité illégale, le Burkina Faso a adopté une stratégie nationale et un plan d’action 2021-2023 de gestion durable des ressources en bois d’œuvre et en bois de service. Dans une correspondance adressée au ministère, nous avons voulu avoir des informations sur la population de cette espèce, comprendre les difficultés qui minent la lutte et la répression, ainsi que la suite réservée aux agents pris la main dans le sac. Au moment où nous bouclions ces lignes, la lettre n’avait pas encore eu de réponse de la part du ministère.
Enquête réalisée par Aimé Kobo NABALOUM avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)
Encadré 1 : Une lutte implacable au niveau international, mais le Burkina traine les pasAu niveau international, on constate que la lutte contre le commerce du bois rose se fait de façon implacable. De nombreuses opérations ont été menées. Interpol semble être l’une des structures qui en font leur cheval de bataille. L’opération « Log » qui s’est déroulée dans 09 pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Mali, Mauritanie, Sénégal et Togo) entre juillet et septembre 2015 a révélé un vaste réseau de trafic. Les premiers résultats de cette opération ont été la saisie de bois rose (Pterocarpus Erinaceus) illégal et de bois illégal et d’autres espèces pour une valeur totale de plus de 216 millions d’USD, ainsi que l’arrestation de 44 personnes. Pendant ce temps, les autorités burkinabè ne montrent pas de signes de lutte réelle contre ce trafic. Le pays traîne les pas. AKN |
Encadré 2 : La corruption en ligne de mireSelon Interpol, la corruption se fait sur toute une chaîne de l’approvisionnement mondial en bois.
Source : Interpol |