Togo – Burkina Faso : dans l’ombre d’un trafic illicite de mercure

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Malgré les interdictions en vigueur, le mercure demeure essentiel à l’extraction de l’or, favorisant un marché noir persistant. Dans un schéma complexe, le mercure, en provenance du Togo, pénètre illégalement dans la région du Sahel et les zones aurifères du Burkina Faso, avant de regagner discrètement le territoire togolais. Cette opération clandestine est orchestrée par des négociants originaires du Burkina Faso.

Mognonré, village situé à cheval entre les frontières du Togo et du Ghana, dans la région du Centre-Est du Burkina Faso abrite un gisement aurifère, devenu également un lieu de trafic de mercure. Fournisseurs de mercure, grossistes, petits acheteurs, responsables de points de rachat d’or, mineurs artisanaux : voilà les principaux acteurs qui constituent ce réseau.

Le circuit d’approvisionnement du métal liquide, selon Ousmane Kéré, un mineur âgé de la cinquantaine, commence par des ravitailleurs. Ils arrivent du Togo à motos en contournant les services de contrôle de la police et de la douane avec du mercure conditionné dans des bidons et/ou des bouteilles classées dans des caisses en bois. À cette marchandise, s’ajoutent le cyanure et d’autres explosifs en bâtonnets.

Ensuite, ils rallient le gisement aurifère de Mognonré en empruntant différentes pistes. « Une fois sur le site, ils (les ravitailleurs, ndlr) se dirigent vers des magasins et boutiques de fortune détenus par des grossistes et des gestionnaires de comptoir», explique Ousmane.

Selon le mineur Ousmane Kéré, le mercure utilisé sur le site aurifère de Mognonré provient du Togo

D’après Abdoul Salam Naaba, le représentant de la coopérative des orpailleurs du site de Gnikpière dans la province du Ioba, région du Sud-Ouest du Burkina, l’usage du mercure dans les gisements aurifères burkinabè remonte au début des années 2000, plus précisément sur le site d’orpaillage du village de Mognonré.

Avant l’introduction du mercure, les mineurs recouraient à l’acide pour extraire l’or, un processus laborieux qui donnait lieu à une qualité médiocre de métal précieux. Grâce aux conseils de mineurs ghanéens, le secret du mercure leur fut révélé, améliorant significativement leurs méthodes. 

Depuis lors, des intermédiaires assurent l’approvisionnement en mercure, profvenant soit du Togo, soit du Ghana, à partir de ce village. Ces intermédiaires demeurent inconnus. Interrogé sur leur identité, Abdoul Salam Naaba préfère ne pas se prononcer. Il ne dévoilera aucun nom.

Abdoul Salam Naaba, Représentant de la coopérative des orpailleurs du site de Gnikpière dans la province du Ioba, région du Sud-ouest du Burkina

Cependant, il ne fait aucun doute que le village de Mognonré constitue le point d’entrée clandestin du mercure en provenance du Togo. Abdoulaye Ouédraogo, gérant d’un comptoir d’achat d’or sur le site, indique qu’en plus du Togo, le Nigéria est aussi une source d’approvisionnement.

Le mercure, importé principalement des pays de l’Asie et d’Amérique du Sud, transite par le port de Lomé au Togo pour arriver dans les sites aurifères du Burkina Faso par des circuits illégaux.

Le Togo, en ratifiant la convention de Minamata en 2017, un traité mondial destiné à protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets négatifs du mercure, a interdit officiellement, la vente, l’achat et l’usage de ce métal liquide sur son territoire. 

Le Burkina Faso, également signataire de la convention dans la même année, selon l’agent de la direction de la préservation de l’environnement Serge Alain Nébié, a proscrit l’utilisation des produits chimiques, notamment le mercure, dans les sites d’orpaillage.

Officiellement, le Burkina Faso n’importe plus du mercure depuis 2018, comme le fait remarquer le ministre de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement, Roger Baro, dans sa communication intitulée : « Expériences, meilleures pratiques et enseignements du Burkina Faso dans la lutte contre le commerce illégal du mercure », lors d’un atelier organisé par son département en juin 2023. Sauf en cas d’autorisation spéciale d’importation, selon un décret présidentiel de 2018.Dans ce cas, le pays de transit (le Togo) approuve la demande de l’importateur (le Burkina Faso) qui garantit la protection de la santé humaine et de l’environnement et le respect du stockage provisoire du produit. 

Selon l’accord conclu entre les deux pays, la cargaison de mercure bénéficie d’un accompagnement spécifique tout au long de son transit terrestre depuis le port de Lomé jusqu’au Burkina Faso. Elle est convoyée sous escorte par voie terrestre jusqu’à la frontière par des agents de l’Unité Mixte de Contrôle des Conteneurs (UMCC) du Togo, selon la Direction togolaise des Mines et de la Géologie que nous avons approchée.

En dépit de ce dispositif, le mercure arrive à se retrouver illégalement dans les sites aurifères. Selon une source douanière du Burkina (un chef de poste), le trafic débute lors des transbordements des cargaisons dans le port de Lomé.

D’après ce douanier, avec la complicité de certaines personnes du port, le mercure et bien d’autres produits chimiques comme le cyanure et des explosifs en bâtonnets utilisés pour dynamiter des roches, sont chargés dans des camions avec d’autres marchandises.

Une fois sortis du port, révèle Barthélemy Kafando, un ancien chauffeur reconverti en mécanicien de camion, ces véhicules de transport de marchandises restent quelques jours à Lomé. Ils ravitaillent des clients grossistes dans la ville d’une petite quantité de mercure. 

Ces clients à leur tour reconditionnent le métal liquide dans des bidons de cinq à vingt litres qui vont être chargés comme des marchandises dans le coffre arrière des voitures d’occasion achetées par des particuliers, pour être acheminées au Burkina Faso. 

En plus des camions, le mercure est parfois camouflé avec d’autres marchandises dans ces voitures d’occasion achetées à Lomé, pour être acheminé au Burkina Faso

Au cours du trajet, une partie du mercure reste sur le territoire togolais notamment dans sa partie nord à Dapaong et à Cinkassé. Depuis ces localités, ces trafiquants de mercure parviennent à ravitailler les sites aurifères des villages frontaliers au Burkina Faso comme celui de Mognonré, ajoute Barthélemy Kafando.

Quant à l’autre partie (la plus grande), a confié le mécanicien de camion,elle est acheminée au Burkina Faso en se soustrayant des contrôles douaniers. Contactée, par courrier, pour des explications sur ce trafic, la Direction générale de la Douane du Burkina n’a pas voulu se prononcer en dépit de multiples relances. Les ministres togolais de la Sécurité et de la Protection civile d’où relève l’OCTRIDB (Office central de répression du trafic illicite des drogues et du blanchiment) et des Mines, eux aussi, n’ont pas répondu à notre sollicitation.

Selon  Barthélemy Kafando, c’est à partir des marchés des villes du Burkina telles que Pouytenga (région du Centre-Est) et Ouagadougou (région du Centre) que le mercure arrivé du Togo est dispatché dans les différentes exploitations minières artisanales du pays. « À partir du marché de Pouytenga, le mercure est distribué dans les sites d’orpaillage des régions du Centre-Est, du Sahel et de l’Est du Burkina.  Quant à la marchandise du marché de Ouagadougou, elle est destinée principalement aux régions du Sud-ouest et au Nord du pays », précise l’ancien chauffeur.  

Selon les déclarations d’un coursier (dont nous avons préservé l’anonymat en raison de craintes de représailles) au marché Sankar-Yaaré de Ouagadougou, au Burkina Faso, le métal liquide argenté utilisé pour purifier l’or pendant son extraction sur les sites aurifères du pays est préalablement stocké la nuit dans des entrepôts du marché et à proximité.

Stockage nocturne

Au marché Sankar-Yaaré, des individus se faisant passer pour des vendeurs de céréales avec la complaisance intéressée des éléments de la police municipale et de gardiens du marché, dissimulent ces marchandises illicites. « Derrière des montagnes de sacs de céréales, se cachent en réalité des contenants de mercure et d’autres substances chimiques », déclare le coursier au marché Sankar-Yaaré. Malgré notre coup de fil de rappel et notre demande d’interview timbrée exigée par la mairie de Ouagadougou, la police municipale n’a pas donné suite à notre requête.  

Ce fût contenant du mercure retrouvé dans un magasin du marché de Sankar-Yaaré à Ouagadougou va être acheminé sur un site aurifère du pays

Plusieurs témoignages recueillis auprès des commerçants de la capitale burkinabè laissent entendre que l’incendie survenu en janvier 2023 sur le marché de Sankar-Yaaré pourrait être lié à la présence du stockage clandestin d’explosifs, de cyanure et de mercure. Cependant, cette hypothèse n’est confirmée par aucune enquête à ce stade.

Mais Yamba Sawadogo, l’un de ces commerçants, insiste sur le fait que des investigations approfondies de la police scientifique pourraient révéler la présence de ces produits dangereux soigneusement dissimulés dans les entrepôts clandestins aux abords du marché.

Dans la nuit du lundi 11 au mardi 12 septembre 2023, un reporter de notre équipe s’est rendu à proximité d’un des magasins situés du côté sud du marché. Environ une heure d’attente écoulée, juché sur une moto à proximité, il a pu constater l’arrivée d’un camion-fourgon de couleur blanche, immatriculé11 KH 61.. qui s’est stationné devant un entrepôt à 21 heures et 16 minutes.  

Quelques minutes après, cinq individus procèdent au déchargement des fûts de couleur bleue et d’un couvercle noir ceinturés hermétiquement par un métal cylindrique. Sous prétexte d’acheter un fût vide pour stocker de l’eau, le reporter s’est vu répondre, par l’un des employés, l’air nerveux, qu’« il n’y a pas de fût vide ici ». « Ceux-ci sont des produits chimiques destinés aux sites d’orpaillage », a-t-il ajouté. Le commerçant Yamba Sawadogo persiste qu’il s’agit bel et bien du mercure parce qu’il lui est arrivé une fois de constater qu’au déchargement, le contenu d’un fût mal fermé se déverse par mégarde. 

Roch Donatien Nagalo, Secrétaire général du Syndicat national des commerçants du Burkina (SYNACOM-B), fait remarquer que le stockage de ces substances chimiques dans le marché n’est pas une nouveauté. « Malgré les avertissements adressés à l’ensemble des commerçants avant l’incendie, certains acteurs du système ont continué à participer à ces activités illégales », affirme M. Nagalo qui appelle les autorités à intervenir pour mettre fin à ces pratiques et à soutenir la reconstruction du marché de Sankar-Yaaré. 

Un chiffre alarmant dans l’orpaillage

Dans les sites d’orpaillage, Serge Alain Nébié, agent de la Direction de la prévention de l’environnement, indique qu’actuellement, pour produire 1g d’or, l’artisan minier burkinabè, utilise 1,57 g de mercure. S’appuyant sur le plan d’action national « de réduction, voire d’élimination du mercure dans l’extraction minière artisanale et à petite échelle d’or conformément à la Convention de Minamata sur le mercure 2020-2029 », il confie qu’environ 78 tonnes de mercure sont utilisées annuellement sur les sites aurifères.

Serge Alain Nébié, Assistant du point focal de la convention de Minamata au Burkina

Suivant ce coursier au marché Sankar-Yaaré, la demande la plus importante en mercure provient de la région du Sud-Ouest du Burkina, du fait de sa forte capacité de production aurifère.

En 2017, au Burkina Faso, une étude conjointe de l’Institut national de la statistique et de la démographie (INSD) et des ministères des Mines et de l’Administration territoriale a été réalisée dans le cadre de l’Enquête nationale sur le secteur de l’orpaillage (ENSO).

Selon cette dernière étude, la région du Sud-Ouest du Burkina Faso occupe une place prépondérante dans la chaîne de production aurifère à l’échelle nationale, affichant une production annuelle estimée à 9,5 tonnes d’or au sein des Exploitations minières artisanales et à petite échelle (EMAPE).

L’intense production aurifère des sites artisanaux du Sud-Ouest du Burkina Faso suscite l’intérêt des orpailleurs pour le mercure, un élément crucial dans l’extraction de l’or.

Selon le président de l’Association des artisans miniers de la province de la Bougouriba dans la région du Sud-Ouest du Burkina Faso, Raphaël Tapsoba, « l’or ne peut être extrait efficacement des sites d’orpaillage actuels sans l’utilisation du mercure »

« Malgré son interdiction, nous sommes contraints de continuer à l’utiliser, car nous n’avons pas d’alternatives viables », justifie-t-il. Il explique que l’or gît en profondeur dans le sol sous forme de particules dispersées, nécessitant l’utilisation de mercure pour les amalgamer.

Raphaël Tapsoba, président de l’Association des artisans miniers de la province de la Bougouriba

Dans l’optique de mettre en place, un plan stratégique national de sensibilisation pour la réduction et l’élimination du mercure dans l’extraction et l’amalgamation de l’or, l’État a créé l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi-mécanisées (ANEEMAS) en 2015. Malheureusement, l’objectif escompté n’a pas été atteint, à en croire, un travailleur de l’Agence qui a requis l’anonymat.

Depuis le 9 août 2023, le gouvernement burkinabè a transformé l’ANEEMAS en Société nationale des substances précieuses (SONASP). Sa mission : la régulation de la production, la commercialisation de l’or. 

Les volets encadrement et surveillance des activités d’exploitation artisanale et semi-mécanisée reviennent donc à la Direction générale des Mines et de la Géologie, à travers la Direction de l’Exploitation minière artisanale et semi-mécanisée (DEMAS). Contactée, cette Direction nous renvoie à la SONASP qui, jusqu’à ce jour, n’a pas encore répondu à nos sollicitations.  

Malgré cette disposition, le mercure réussit à traverser les mailles. De Ouagadougou, il se fraie clandestinement un chemin inverse vers Lomé par l’intermédiaire des négociants burkinabè.

Trajet inversé

Kokou ElormAmegadze, Directeur exécutif par intérim de la section togolaise de l’ONG Amis de la terre, évoque le rôle prépondérant des négociants burkinabè dans l’industrie aurifère. Selon lui, ces négociants, étant très impliqués dans l’exploitation de l’or, pourraient apporter clandestinement du mercure au Togo où il est utilisé à diverses fins.

Selon les conclusions de l’étude menée en 2021 sur l’inventaire du mercure dans le cadre du projet Plan national d’action d’Exploitation Minière Artisanale à Petite Echelle de l’or (PAN EMAPE) au Togo de 2021, il a été établi que le mercure est couramment utilisé dans le processus de refonte par les bijoutiers au Togo. Or « l’or utilisé par les bijoutiers provient directement des orpailleurs, des négociants en or des pays voisins », note PAN EMAPE-Togo 2021.

Grâce au mercure, les artisans arrivent à extraire les particules d’or contenues dans cette boue de sable recueillie après broyage des roches

De l’avis Kayi Ajavon, Point focal togolais de la Convention de Minamata, le trafic de mercure se déroule en parallèle des flux illicites d’or. Elle affirme que l’or et le mercure sont souvent associés. 

Selon elle, les grossistes de l’or qui pourraient être de différentes nationalités (Togolaise ou Burkinabè) fournissent généralement le mercure aux orpailleurs afin qu’ils puissent traiter le minerai extrait sur-le-champ, en vue de sa future commercialisation. Cette coordination implique la mise en place d’un système de collecte orchestré par les négociants agissant en tant qu’intermédiaires auprès des orpailleurs.

Mme Ajavon souligne que certains orpailleurs se transforment eux-mêmes en négociants travaillant directement avec les grossistes en or. Elle insiste sur le rôle crucial des négociants en provenance des pays voisins comme le Burkina Faso qui sont souvent à l’origine de la fourniture de mercure aux orpailleurs.

Selon elle, « c’est grâce aux sensibilisations qu’il y a eues quelques rares cas de dénonciations » ; elle dit être alertée avec son équipe en avril 2023 du cas d’un négociant qui utilise le mercure pour le traitement de l’or.

Un rappel que l’éducation et la conscience demeurent les armes les plus puissantes dans la lutte contre le trafic de mercure et la protection de l’environnement, à l’en croire.

Enquête réalisée par Paténéma Oumar OUEDRAOGO (Burkina Faso) et Pierre-Claver KUVO (Togo), avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

EncadréL’extraction de l’or à partir du mercure

Les mineurs artisanaux utilisent le mercure, une neurotoxine dangereuse, pour extraire l’or du minerai. Malgré les diverses tentatives en cours pour réduire et éliminer le mercure dans l’extraction artisanale de l’or, cette méthode reste populaire dans les sites aurifères parce qu’ils estiment que la méthode est efficace avec une forte probabilité de récupérer toutes les particules. En effet, après le broyage du minerai sorti des galeries, l’on procède au lavage sur une planche inclinée dont le fond est recouvert d’un tapis épais qui permet de piéger des grains d’or. Après cette étape, le tapis est retiré de la planche et remué dans une bassine contenant de l’eau propre de sorte à obtenir un liquide concentré. On y ajoute, en ce moment, une certaine quantité de mercure et on procède à une malaxation pendant un certain temps au cours de laquelle le métal liquide piège toutes les particules d’or. L’on obtient ainsi une boule d’amalgame de mercure et d’or. Enfin, l’on procède au brûlage de la boule à l’air libre sur un feu de bois ou avec un chalumeau à gaz. Le mercure disparaît progressivement sous l’effet de la chaleur pour ne rester uniquement qu’une boule d’or. Mais pendant le brûlage, il se dégage une épaisse fumée blanche de mercure qui contamine l’environnement.

POO & PCK

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