Pollution au cyanure dans la région de Kayes : quand l’orpaillage rime avec la mort au Mali !
Au Mali, l’utilisation du cyanure, du mercure et des dragues pour l’extraction de l’or, sous le regard impuissant ou complice des services techniques compétents en la matière, constitue un casse-tête pour les populations des places de Kéniéba et Sadiola. Or, ces produits prohibés, tout comme les dragues, exposent les êtres humains à la mort et contribuent à la pollution des cours d’eau et à la destruction de l’écosystème. Le Falémé, le plus important cours d’eau de la zone, est actuellement dans un état très avancé de pollution au cyanure avec une teneur maximale évaluée à 214 %, soit 209 fois supérieure à la norme malienne estimée à 5 % par le Laboratoire national des eaux à Bamako.
« C’est impossible de faire l’orpaillage aujourd’hui sans le cyanure. Si tu ne l’utilises pas, tu vas jeter ton minerai avec du vrai or. Et certains viendront reprendre ta boue qui contient certainement des pépites d’or et gagneront plus que toi ! », affirme M. Konaté, propriétaire d’un chantier de cyanure à 2 km de la ville de Sadiola, précisément sur la route de Kéniéba (Sud-Ouest du Mali) dans le village de Brokoné. Il détient 24 bassins de cyanure et emploie 3 personnes. Sous un soleil de plomb, ses 3 employés prenaient du thé sous un arbre à environ 15 mètres des bassins.
Difficile de chiffrer le nombre de bassins que contient ce chantier, mais selon M. Koné : « Ici dans ce chantier, il y a un environ 150 propriétaires de chantier. Et certains possèdent plus de 200 bassins sur le site. Ce chantier est situé sur une superficie de huit hectares. Comme vous le voyez, c’est entouré par un enclos en fer dont certaines parties ne tiennent plus. Les coordonnées GPS relevées du chantier de Brokoné : V827+RPG Sadiola et R8X8+548 Sadiola. Ces deux coordonnées sont prises dans le même enclos.
Selon Konaté, tous les cyanures utilisés dans cet enclos sont achetés dans des magasins dans la ville de Sadiola : « Le produit est généralement dans des sacs de 50kg et nous les acheminons ici par moto. » Le cyanure est un métal lourd sous forme de petites boules blanches comme le sucre. Il n’a pas d’odeur et se dissout très facilement au contact de l’eau.
C’est uniquement dans les chantiers où le cyanure est utilisé. Ce sont les minerais extraits des puits qui sont traités dans les chantiers. Les orpailleurs, après extraction du minerai l’envoient d’abord au moulin, communément appelé aussi cracheur, pour le broyer. Le minerai ainsi ramolli est ensuite lavé sur une rampe recouverte de morceaux de tapis rugueux qui retiennent l’or avec un peu de boue dans laquelle on y met du mercure. Ce mélange est brûlé à l’aide du charbon de bois pour dégager du mercure et obtenir l’or pur. Cette phase est appelée l’amalgamation.
Après l’étape du mercure, le résidu de minerais déjà lavé au tapis, appelé « rejet », est ensuite envoyé au chantier pour être traité au cyanure. Ces chantiers sont souvent distants des sites d’extraction du minerai et sont clôturés. La première étape de ces chantiers consiste à creuser des bassins rectangulaires d’un mètre sur deux ou plus. Les profondeurs ne dépassent pas un mètre et on y met des tapis en plastique un peu lourds sur lesquels on verse des minerais déjà exploités.
Dans certaines zones de la commune de Faléa, au lieu des tapis en plastique, les orpailleurs cimentent le bassin avant d’y mettre le minerai sur lequel on verse une quantité d’eau. Puis, on mélange le cyanure, la chaux et l’acide sulfurique avec une autre eau qui est versée dans le bassin. À côté du bassin, ils creusent un trou dans lequel se trouve un tube en forme de U contenant des copeaux de zinc.
Le Pr Adama TOLOFOUDJÉ est spécialiste en Génie Chimique et Génie des Procédés et chargé de cours à la Faculté des Sciences et Techniques de Bamako. Il dirige le laboratoire de la Faculté et mène des études sur les sites d’orpaillage. Il donne ces précisions dans son rapport Green Vista publié en mars 2022 : « Le zinc enrichi d’or est récupéré du bassin et mis dans des récipients en aluminium. Sur ce zinc enrichi est versée une solution d’acide sulfurique. L’acide sulfurique réagit avec le zinc et l’or est libéré dans une solution. Le zinc ainsi récupéré est réutilisé pour capter l’or ».
Compte tenu de son efficacité à récupérer l’or, la cyanuration est de plus en plus prisée par les orpailleurs. Le Pr TOLOFOUDJÉ écrit dans son Green Vista, que c’est la cyanuration qui permet d’obtenir la plus grande quantité d’or : « C’est un processus qui consiste à obtenir la séparation de l’or par l’immersion du minerai finement broyé (provenant parfois des rejets de lavage ou 70 % d’or peut être récupéré) dans un bain de cyanure alcalin », souligne-t-il.
Autrement dit, on ne peut, d’après lui, qu’avoir 30 % de l’or du minerai avec le mercure. Une personne qui n’utilise pas le cyanure pourrait jeter les résidus avec beaucoup d‘or, occasionnant ainsi des pertes, sans s’en rendre compte. Ce produit chimique très toxique est prisé par les orpailleurs sur les sites aurifères. Et pourtant, le nouveau code minier, promulgué en septembre 2019, interdit formellement l’utilisation du cyanure sur les sites d’orpaillage. L’article 50 de ce Code prescrit :
« L’utilisation des explosifs et des substances chimiques dangereuses, notamment le cyanure, le mercure et les acides dans les activités d’exploitation artisanale, est interdite ». |
Malheureusement, cette loi ne prévoit pas de sanctions contre ceux qui utilisent ces produits chimiques hautement toxiques. Bien que ces produits soient nuisibles à la santé et contribuent à la pollution des cours d’eau et à la dégradation de notre écosystème. En dehors de ces produits toxiques, il faut souligner la présence des dragues qui sont installées dans le lit du fleuve La Falémé. Cela, en violation de l’article 44 de ce même code qui énonce :
« L’exploitation de substances minérales dans les lits des cours d’eau par dragage ainsi que par toute autre méthode est interdite ». Et le texte va loin, à son article 195, en prévoyant des sanctions contre les coupables. « Sont punis d’un emprisonnement d’un (1) mois à trois (3) ans et d’une amende de 1 000 0000 à 5 000 000 Francs CFA ou de l’une de ces deux peines seulement : c) ceux qui se livrent à l’exploitation de substances minérales par dragage ». |
Au moment où les autorités adoptent ce code en 2019, le fleuve Falémé agonisait déjà du fait du dragage. Dès lors, ce nouveau texte avait suscité de l’espoir chez les populations riveraines. Beaucoup espéraient la fin de cette pratique. Malheureusement, ces machines opèrent dans certaines zones de Kéniéba. Ce qui leur importe, c’est l’appât du gain et non la préservation de la santé et de l’environnement.
Depuis fin mars 2023, dans la zone de Fadougou, comme dans beaucoup d’autres villages, on peut parcourir plusieurs kilomètres dans le lit de la Falémé sans constater une trace d’eau à cause de l’effet des dragues et des boues (résidus du lavage des minerais) qui y sont déversées à longueur de journée. Les quelques rares points d’eau, signes de survie de ce fleuve, sont contaminés par le cyanure, un métal lourd plus mortel que le mercure et les acides. M. Doumbia, Directeur Régional du Laboratoire des eaux à Kayes explique que le cyanure peut tuer par inhalation de l’air contaminé, par voie cutanée ou par des aliments.
La prolifération des chantiers de cyanure
Il existe en quantité suffisante dans les communes du cercle de Kéniéba où l’orpaillage est pratiqué. Nous nous sommes interrogés sur les conditions d’implantation de ces chantiers de cyanure qui pullulent aujourd’hui dans la région de Kayes. Moussa Sissoko est un parajuriste, dans le village de Brokone, commune de Sadiola, qui a mené plusieurs combats contre les méfaits de l’orpaillage. Il défend et oriente des victimes de l’orpaillage et autres secteurs sans contrepartie.
Selon lui, l’installation des chantiers est exclusivement du ressort des chefs de villages. Ce sont eux qui montrent une steppe, un endroit sans arbre, mais loin du village pour empêcher que l’eau contaminée des chantiers ne puisse pas infiltrer le sol et la détruire des arbres. Mais, les chantiers qui longent les abords de la route de Kéniéba, à 1km du village, sont bien installés dans des zones touffues d’arbres et non des steppes. Certains exploitants abattent même des gros arbres pour mieux s’installer.
Entre Kayes et Sadiola, au niveau du village de Krouketo, le constat est inquiétant : une centaine de chantiers de cyanure opèrent et souvent certains sont bien visibles même par les usagers du goudron. A. Cissé travaille sur le chantier d’un de ses parents avec deux étrangers d’un pays voisin. Selon lui, il est difficile d’estimer le nombre de chantiers existant dans cette zone. Mais il évalue à une centaine le nombre de chantiers abandonnés après que les minerais soient vidés.
Contrairement au chantier de Brokoné, celui de Krouketo n’est pas entouré. C’est l’un des plus gros chantiers de la commune de Sadiola et sa superficie est estimée à 47 hectares. Nous y avons relevé deux coordonnées GPS : 2795+37C Kourkéto, 27C6+QM7 Kourkéto. Le président de la fédération nationale des orpailleurs, Monsieur Keita reconnaît : « A Sadiola, ce n’est pas caché. Les chantiers existent partout… On ne doit même pas boire l’eau de Sadiola. Nous sommes en train de préparer une mission sur Sadiola ».
Monsieur Moro Macalou est conseiller communal à Sadiola : « L’installation de ces chantiers échappe au contrôle de la mairie. Ce sont les chefs de villages qui s’en occupent », affirme-t-il. Ce qui sous-entend une passivité ou une complicité des élus locaux car le code minier à son article 47 précise :
« L’exploitation artisanale à l’intérieur des couloirs d’exploitation artisanale est gérée par les Collectivités territoriales. Le permis d’exploitation artisanale est accordé par les autorités des Collectivités territoriales sur un périmètre à l’intérieur d’un couloir d’exploitation artisanale de leur ressort ». |
Dans la commune de Dabia (cercle de Kéniéba), ces infrastructures existent en grande quantité. Dans les chantiers qui sont clôturés, on constate la présence des tapis de plastique au fond des bassins. Mais, c’est leur emplacement qui suscite des interrogations : les forêts sont détruites au fil des temps et la végétation devient moins luxuriante dans ces zones agro-pastorales par excellence. Pire, certains sont situés non loin des cours d’eau, comme les rivières ou le fleuve Falémé. Mais il manque de chiffre au service des eaux et des forêts de Kayes sur la superficie de forêt endommagée par l’orpaillage dans la région.
La contamination des eaux de surface dépasse de 0,05 % la dose mortelle
Lorsque les orpailleurs finissent avec la cyanuration, le minerai vidé est jeté dans la nature. Et puis, les anciens bassins sont abandonnés avec leur dose de cyanure. Dans un entretien qu’il nous a accordé, le professeur Adama TOLOFOUDJÉ, explique que par ruissellement avec les eaux de pluie, les cyanures de ces bassins ou de ces boues se retrouvent dans les eaux de surface comme les puits, les fleuves ou les marigots. Ainsi, ces eaux polluées sont mortelles et deviennent du coup un danger pour les humains, les arbres ou les animaux.
Pour vérifier la contamination de l’eau par le cyanure, nous avons approché la Direction Nationale du Laboratoire des Eaux à Bamako afin d’obtenir des informations sur des rapports d’étude relatifs à la qualité des eaux. Cette structure a réalisé plusieurs études dans ce sens. Mais, nos démarches ont été vaines, car le laboratoire a expliqué que ses données sont sensibles et ne peuvent pas être données à la presse.
Alors, nous nous sommes rendus au fleuve La Falémé qui est le plus grand cours d’eau de la zone servant les populations maliennes, sénégalaises et guinéennes. Dans chacun de ces pays, on constate de plus en plus que des populations lancent des cris de détresse face à ce fleuve agonisant à cause des dragues et des produits chimiques utilisés par les orpailleurs.
Nous y avons prélevé des échantillons d’eau afin de les soumettre aux spécialistes pour tester leur qualité. C’est ce qui nous a conduit dans la commune de Dabia, notamment dans les villages de Makouké-Ngara, Mamoudouya et Makouké-Niafa le 29 juin 2023. Ces trois échantillons ont été analysés par le Laboratoire national des eaux à Bamako et les résultats sont alarmants. Le premier échantillon a été pris à Makouké Ngaraya.
« L’analyse révèle la présence du cyanure dans cet échantillon avec une dose de 0,59 %. Précisons qu’il existe près de ce site de prélèvement un chantier de cyanure installé à environ 200 m du fleuve. Le deuxième échantillon prélevé à Makouké Niafa a révélé la contamination de l’eau au cyanure avec une dose de 0,26. L’échantillon prélevé à Mamoudouya indique la présence de 2, 14 % de cyanure dans l’eau. Ces chiffres établissent la pollution très avancée de l’eau car, selon le Laboratoire national de l’eau, lorsque la contamination des eaux de surface dépasse 0,05 %, c’est la dose létale, c’est-à-dire, mortelle pour tous les êtres vivants. Autrement dit, le fleuve est contaminé avec un maximum de 2,09 fois supérieurs aux normes maliennes. Ce qui constitue un vrai danger pour les êtres vivants ». |
Cette pollution de l’écosystème ne concerne pas seulement les zones maliennes, mais aussi des localités sénégalaises. Et le cyanure n’est pas la seule source de contamination, il y a aussi d’autres métaux lourds comme le mercure, le plomb, etc.
Au Centre de Santé de Référence (CSREf) de Kéniéba, le médecin chef, Dr Diarra, admet que ces produits chimiques utilisés par les orpailleurs sont sources d’intoxication alimentaire. Interrogé sur les cas d’intoxications liées au cyanure, il a affirmé qu’il est difficile de donner des cas précis liés au seul cyanure.
Toutefois, il nous a permis d’obtenir une note globale sur les cas d’intoxication alimentaire aux produits chimiques, réalisée entre 2016 à 2023 dans son centre. Ce document révèle que 3209 personnes ont été victimes de contamination alimentaire chimique soit 1632 hommes et 1577 femmes. Toujours selon le même document, 63 personnes sont mortes d’intoxication alimentaire au niveau du CSRF de Kéniéba durant ces 7 dernières années.
Dans un article publié en avril 2023 et intitulé « La Falémé face à la menace de l’or », nos confrères de la BBC révélaient la forte présence des métaux lourds dans les eaux de puits dans la région de Kédougou (Sénégal). Notre confrère, Maria Gerth Niculescu, auteure dudit article, rapporte ces propos de Dr Fodé Danfakha, ex-médecin-chef du District sanitaire de Kédougou : « On a retrouvé des taux jusqu’à 300 fois supérieurs aux doses recommandées par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) ».
Toujours selon cet élément de notre confrère, Dr Fodé a révélé une présence dangereuse de métaux lourds dans l’organisme de 16 personnes et 21 moutons souffrant de troubles neurologiques et ayant fait l’objet de prélèvements ».
Monsieur Fofana a un grand jardin d’environ 10 hectares, situé à côté de notre deuxième site de prélèvement. Dans un entretien qu’il nous a accordé, il dit avoir alerté à maintes reprises les autorités locales sur la contamination de l’eau par des produits toxiques. Beaucoup de ses pieds d’arbres sont morts après avoir été arrosés par l’eau du fleuve. Nous avons constaté dans son jardin que plusieurs orangers ont été neutralisés par les effets de ces produits toxiques.
« L’eau du fleuve fait mourir mes plantes. J’ai perdu plusieurs pieds d’orangers et de bananiers. Avant que l’eau ne soit polluée, je pouvais gagner environ 5 millions de FCFA, en vendant de la banane. Mais avec cette eau, avoir un million est un défi », ajoute-t-il. Ce jardinier s’inquiète aussi de la contamination des animaux sauvages qui viennent s’abreuver au Fleuve Falémé.
La Falémé est un affluent du fleuve Sénégal et prend sa source en Guinée. Il sert de frontière naturelle entre le Mali et le Sénégal avec une longueur estimée à 650km. Ce cours d’eau attirait les éleveurs pendant la saison sèche car les animaux s’y abreuvaient. Mais, de nos jours, cette eau est un poison pour les animaux à cause des effets du dragage et des produits toxiques.
Dans un rapport d’étude publié en 2021 et intitulé « Projet Wefe Sénégal – Appui à la gestion des ressources en eau et du Nexus eau-énergie-agriculture dans le Bassin du Fleuve Sénégal », le prof. Tolofoudié alertait : « Même si on arrêtait toutes les activités de dragage et d’orpaillage, il faudrait attendre près de 20 ans pour que la couleur de l’eau de la Falémé devienne normale ».
À la direction régionale des services vétérinaires de Kayes, le responsable du service, Dr DARA, souligne que les éleveurs ont tous actuellement boudé la zone de Kéniéba qui était pourtant leur première destination. Pour cause, les animaux manquent d’eau car la majeure partie des eaux de surface sont polluées par le cyanure.
Selon lui, certains éleveurs s’étaient plaints soulignant que les troupeaux sont morts par contamination au produit toxique utilisé par les orpailleurs. Mais pour des raisons d’ordre technique, la direction n’est pas parvenue à faire des prélèvements pour confirmer ou infirmer la thèse de ces éleveurs. M. Diassana, chef secteur élevage de Kéniéba, évoque aussi la perte de certaines têtes de troupeaux suite à une contamination au cyanure.
Dans la commune de Sadiola, M. Moro Macalou souligne que les animaux meurent fréquemment après avoir été contaminés au cyanure. Mais il déplore l’absence de sanctions contre les auteurs car, selon lui, les victimes ne réclament généralement que leur bétail. Une alternative à laquelle adhèrent les orpailleurs, sans murmure.
Des poissons contaminés, un danger pour les consommateurs
Lorsqu’un cours d’eau est contaminé par une forte dose de cyanure, la vie des poissons qui s’y trouvent est en danger. « Nous voyons fréquemment des poissons morts flottés sur l’eau. Mais, nous ne les pêchons pas car, nous ignorons de quoi ils sont morts », souligne Bakari Sagata, pêcheur dans la commune de Dabia.
Lorsque la dose n’est pas élevée, certains poissons ne meurent pas, mais restent contaminés et se retrouvent finalement dans les filets des pêcheurs qui ont de la peine à les écouler sur le marché car certaines personnes avisées sont conscientes de la pollution de l’eau. « On a de la peine à écouler les quelques rares poissons que nous pêchons vivants. Certains clients aussi refusent de les acheter à cause de la mauvaise qualité de l’eau du fleuve », ajoute Bakari Sagata.
Monsieur Doumbia est le Directeur régional du Laboratoire des eaux de Kayes. Il explique aussi que la pollution de l’eau au cyanure contamine les planctons animaliers et végétaux qui constituent la principale nourriture des poissons. Et en consommant ces poissons de façon successive, l’homme se contamine et contracte des maladies qui le conduiront à la mort. C’est pourquoi M. Doumbia prévient les populations en ces termes : « L’homme peut cumuler des doses qui deviendront létales, c’est-à-dire mortelles ».
Monsieur Segata se dit désemparé par l’inaction et la complicité des services techniques. Avec un ton désabusé, il avoue son pessimisme quant à l’avenir de son secteur : « La pêche n’est plus un métier pouvant faire vivre dans le cercle de Kéniéba. Je gagnais dans un passé récent 30 à 40 kg de poissons par jour, actuellement, j’ai de la peine à avoir deux kilos. Or, nous achetons des filets et autres matériels. Tout comme le fleuve, les poissons aussi meurent ».
Yacouba Konota est le président des pêcheurs du cercle de Kéniéba. Il est conscient de la contamination des poissons : « J’ai personnellement alerté les autorités pour leur dire que les poissons sont contaminés et qu’ils sont dangereux pour la consommation à cause des produits toxiques qui sont déversés dans le fleuve. Il faut voir la qualité de l’eau ».
Le président des pêcheurs du cercle de Kéniéba dénonce aussi la passivité des services chargés de surveiller les orpailleurs et les cours d’eau. Une attitude qui a, selon lui, poussé beaucoup de pêcheurs à abandonner les filets au profit des placers, car il n’y a plus de poissons. « Du côté sénégalais, il y a peu de poissons, ils nous chassent sous prétexte que les Maliens détruisent le fleuve. Même ce matin, il y avait des dragues où je pêchais », affirme cet interlocuteur. Qui admet aussi que la contamination de l’eau tue les œufs de poissons, d’où l’absence d’alevins dans le Falémé.
Monsieur Dem est le chef service local de la pêche à Kéniéba. Il admet que certaines personnes bien avisées boudent maintenant les poissons venant du Falémé. Pour pouvoir vendre ces poissons, les pêcheurs les mélangent avec ceux de Manantali, où se trouve un barrage.
Laxisme ou complicité des services de contrôle ou de répression ?
Beaucoup de nos interlocuteurs se plaignent de l’inaction des agents de l’Etat chargés de veiller sur l’environnement et leur complicité avec les orpailleurs. A Sadiola, un propriétaire de chantier se confie à nous en ces termes : « Les produits toxiques ne sont pas transportés par moto. Les camions remplis de cyanure quittent directement Bamako, la capitale du Mali, jusqu’ici ».
Mamadou Dabo est le Président de l’Association pour la Protection et la Survie de l’Environnement et président sortant de la société civile du cercle Kéniéba : «Tout le monde sait ici qu’il y a des magasins où on vend ces produits… Et puis ces produits viennent par la voie routière, en véhicule. Face à cette situation, je me demande si les porteurs d’uniforme ne ferment les yeux sur le phénomène ou ils ne font pas leur travail », s’interroge-t-il.
Selon lui, ceux qui détruisent l’environnement sont « intouchables » car ils sont protégés par les autorités locales. Lorsque la société civile se retrouve devant les autorités avec ces orpailleurs, elle a des soucis : « Nous sommes face à un groupe très puissant, très puissant. C’est un lobby », affirme-t-il. Monsieur Guindo est le chef de Service local de l’Environnement et de la Pollution dans le cercle de Kéniéba. Il reconnaît l’utilisation de ces produits par les orpailleurs, surtout le mercure que « les femmes dissimulent sous leurs pagnes ».
S’agissant du cas du cyanure, le chef de Service local de l’Environnement et de la Pollution du cercle de Kéniéba est catégorique sur la complicité des chefs de villages qui autorisent l’installation des chantiers de cyanure : « Même le samedi passé, dans le village de Batama, on m’a informé que des ressortissants d’un pays voisin ont installé un chantier de cyanure près du village. J’ai organisé une mission et nous avons constaté que cela a été fait avec la complicité du chef de village et d’un conseiller. Les nouveaux occupants ont affirmé avoir payé 200.000 FCFA au chef de village avant l’installation et chaque mois ils doivent lui payer 50.000 FCFA. Nous avons saisi leurs équipements et détruit le chantier ». Monsieur Guindo pointe le doigt accusateur sur les services de contrôle des frontières qui laisseraient entrer ces produits sur le territoire national.
Enquête réalisée par Oumar BAGAYOGO avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)