Phénomène migratoire au Burkina Faso : Complainte silencieuse d’une longue attente des femmes dans le Boulgou
L’immigration, un phénomène qui touche plusieurs pays d’Afrique surtout sa frange jeune. Les médias foisonnent d’images sur ces voyages sans retour, des images d’une Afrique qui se vide de ses bras valides à la recherche d’un meilleur avenir. Mais dans le rétroviseur de ceux qui arrivent à franchir l’obstacle des océans, il y a ces épouses qui perdent leurs compagnons. Un drame silencieux. Dans la province du Boulgou au Centre-Est du Burkina Faso, presque dans toutes les familles, il y a un membre parti à l’aventure. Mais là-bas également, il est rare de trouver une famille qui n’a pas un fils à l’extérieur qui a laissé derrière lui une épouse. L’immigration reste un problème pour nos pays. En effet, en plus de perdre ses bras valides dans les océans, il y a les femmes qui perdent leurs époux même quand ceux-ci ont réussi à franchir les océans.
Dans la province du Boulgou au Centre-Est du Burkina, s’élève peu à peu la complainte de femmes abandonnées à leur sort dans l’attente de leurs époux partis à la recherche du bonheur. Faut-il en parler pour trouver des solutions pour atténuer la situation de ces femmes ou laisser le phénomène continuer ? Marginalisées après le départ de ces époux qui pour certains ont préféré les abandonner pour une autre ou pour d’autres ne sont jamais de retour au bercail, elles s’impatientent. Dans l’univers de ces femmes, nous en avons rencontrées qui vivent leur sort dans un silence. « C’est depuis 2009 que mon mari est parti », nous confie Digani Gouba « Nous avons vécu juste quelques années ensemble après notre mariage », ajoute -t-elle. Pareil pour Salamatou Larba qui a également vécu juste quelques temps avec son époux qui l’a laissé à son départ avec un nourrisson de 45 jours. Mais à la différence de celle-ci, Digani Gouba a deux enfants.
« Arrivé là-bas, il ne m’appelait pas et n’envoyait pas d’argent également », c’est ce que nous explique la plupart des femmes que nous avons rencontrées dans cette situation. Si dans le cas de Digani Gouba, la relation avec les frères de son époux n’était pas au beau fixe et il fallait chaque fois aller dans sa famille pour avoir de quoi manger avec les enfants, Larba Salamatou, quant à elle, peut remercier le grand frère de son époux qui a pris soin d’elle et qui continue de le faire. « Finalement, je suis retournée dans ma famille puisque j’étais là et y’avait pas de suite », dixit Digani Gouba.
Ce qui a poussé la jeune dame à abandonner son foyer.« Au fait, j’ai d’abord attendu 5 bonnes années et pendant ce temps, je vendais des habits. Quand j’avais un peu d’argent, je faisais l’effort de l’appeler et quand je l’appelais, il me disait de raconter ce que j’avais à lui dire rapidement car si mes unités finissent, il ne me rappellerait pas. Après les 5 années, il est revenu mais il a fait escale en Côte d’Ivoire car à l’époque, le visa italien se prenait à l’ambassade italienne en Côte d’Ivoire. Il y avait une copine de nationalité guinéenne avec qui il est resté en contact durant son séjour en Italie.
Dès son premier retour il a épousé cette dernière. Arrivé ici, il ne s’est pas occupé de moi et n’a pas même cherché à aller saluer mes parents. A son départ, je suis allée expliquer cela à mes parents et eux m’ont dit que peut-être qu’il ne veut plus de moi car si j’avais fait quelque chose de mal à son absence, il serait venu leur expliquer et ensemble l’on trouverait un consensus. Je suis restée jusqu’ en 2017 sans changement et c’est comme ça que j’ai quitté le foyer car si je reste et que j’entretiens des relations intimes avec d’autres hommes, je peux avoir des ennuis », a relaté Digani Gouba. A la question de savoir quels genres d’ennuis ? Elle nous répond que la coutume de son mari interdit à une femme mariée d’avoir des relations extra-conjugales.
« Néanmoins, quand je quittais le foyer, ses parents n’étaient pas d’accord et jusqu’à présent ses frères me rendent visite », a-t-elle indiquée. Et de rétorquer que son « époux » lui-même s’en fout. « J’ai payé seule la scolarité des enfants jusqu’à ce que l’aîné ait son Brevet d’étude du premier cycle. Mais après le Brevet de l’enfant, il a insisté à ce que je lui remette l’enfant sinon je vais continuer à payer la scolarité toute seule et comme je suis limitée financièrement, je me suis vue obligée de remettre l’enfant qui est présentement chez son frère à Ouagadougou. Mais quant au cadet, je continue seule de le scolariser », confie Digani Gouba.
La longue attente de Salamatou Larba
« Je suis à moitié veuve », expire Salamatou Larba pour résumer ce qu’elle vit. Cela fait 30 ans qu’elle attend son époux qui n’est toujours pas de retour de son Italie. Pas de contact, ni de transfert d’argent, elle vit cela comme une vie normale puisqu’elle dit être habituée. A l’époque « il n’y’avait pas de téléphone portable ni de réseaux sociaux pour des appels quotidiens », explique-t-elle avant d’indiquer qu’au début, il faisait des transferts d’argent. Mais les choses ont très vite changé car non seulement monsieur a arrêté ses transferts, pire elle a vécu 10 ans sans avoir de ses nouvelles. De ce fait, Salamatou Larba a décidé d’aller rester chez ses frères en Côte d’Ivoire.
« J’ai vécu durant 5 années chez mes frères et à un moment donné, j’ai appris qu’il me cherchait. Donc il m’appelait régulièrement quand j’étais en Côte d’Ivoire car il avait eu mon contact. Quand je partais en Côte d’Ivoire, j’avais laissé mon enfant avec ses parents ici au village. Mais l’enfant m’avait rejoint plus tard en Côte D’ivoire », a-t-elle signifié. Un beau matin son époux lui a demandé de rentrer au village avec comme argument qu’ il se préparait à revenir au pays. « Je ne voulais pas venir car je ne voulais plus vivre la même situation qu’auparavant. Mais, il m’a rassuré qu’il construirait une maison et qu’il m’enverrait régulièrement de l’argent d’ailleurs même qu’il s’apprêtait à rentrer », se lamente-t-elle.
Des promesses toujours en instance
« Cela fait bientôt 11 ans que je suis revenue de la Côte d’Ivoire, mais il n’est jamais revenu ». Toujours désespérée, elle continue son histoire en confiant que celui-ci ne l’appelle plus et n’envoie plus un seul centime pour quoi que ce soit. « Depuis que je suis revenue, il n’a jamais cherché à savoir comment je vais et comment est-ce que je vis. Le projet de la construction de la maison est resté sans suite et il ne m’a jamais demandé si j’ai même un abri. Mais son frère aîné fait l’effort et s’occupe bien de moi sinon je suis dans une situation précaire », se lamente-t-elle.
Une situation précaire qui aurait pu être évitée. « Au début quand j’étais encore jeune, j’ai voulu partir et me remarier pour refaire ma vie mais mes parents se sont opposés sous prétexte qu’il reviendra » a-t-elle expliquée. « J’ai attendu 5 ans, il n’est pas venu, 10 ans, il n’est pas revenu et toujours c’était le même scénario, quand je veux partir les parents refusent catégoriquement et me voilà aujourd’hui devenue une vieille », se remémore Salamatou Larba. « Notre fils a grandi et il a une femme et un enfant », lâche-t-elle pour montrer le temps écoulé. Et de déplorer le fait que quand leur fils a informé son père de son mariage, il ne l’a pas soutenu.
Quand nous avons rencontré Boukaré Sawadogo le frère aîné du mari de Salamatou Larba, il a fait savoir que son frère ne l’appelle pas. Il soutient que c’est lui qui s’occupe de Salamatou Larba depuis son départ. Sieur Sawadogo avoue être déçu du comportement de son frère mais il n’y peut rien. « Vraiment, c’est compliqué cette histoire », a-t-il lâché.
Le cas de Martine Bansé, est également pitoyable car cela fait 12 ans que son mari vit en Italie et ne l’a jamais appelé depuis son départ. « Mon mari ne me fait pas de transfert d’argent et c’est son père qui s’occupait de moi, mais le père est décédé », raconte-t-elle. La question de savoir comment elle fait pour s’occuper des enfants, elle répond qu’elle se débrouille, en cultivant pendant la période hivernale et en plus elle vend du riz avec de la soupe et d’ailleurs nous l’avons retrouvée sous son hangar entrain de laver ses plats de soupe.
C’est avec ces maigres revenus, qu’elle arrive à scolariser les enfants : « J’avais 4 enfants quand mon mari partait mais l’un est décédé », nous a-t-elle souligné. Mon premier fils a 18 ans, la deuxième à 15 ans et le dernier à 13 ans « Ses frères sont-là mais personne ne me soutient, même pas en vivre pour nourrir les enfants », a laissé entendre Martine Bansé. Ses parents lui ont demandé de rester pour m’occuper des enfants. « Je fais l’effort souvent de l’appeler et parfois je peux passer 10 jours en train de l’appeler mais il ne va pas décrocher. Il décroche quand il est content et s’il le veut », a-t-elle martelé. Et se pose des questions sur la vie de son mari à l’étranger : « Dire qu’il a une femme là-bas ? Vraiment, je ne peux rien dire car je n’ai pas cette information puisque je n’ai pas de ses nouvelles », a –t-elle confié.
Et si l’immigration jouait sur l’avenir des enfants
Seul face aux charges vitales, Nestor Gouba, le fils aîné de Martine Bansé a fini par être déscolarisé en classe de 5eme, faute de moyens. Celui-ci l’aide pour le moment à vendre sa soupe. Yara, la mère de Martine Bansé a demandé à sa fille de rester pour s’occuper des enfants. « Sinon cela fait 12 ans qu’elle n’a pas les nouvelles de son mari mais que dis-je ? », s’interroge cette mère déjà fatiguée par le poids de l’âge. « Je ne peux que conseiller ma fille de rester auprès de mes petits enfants pour s’en occuper », nous dit-elle.Si certaines ont préféré quitter la maison conjugale de peur de se faire lyncher par les ancêtres en cas de relation extra-conjugale, les coutumiers et religieux quant à eux sont aussi perplexes sur ces conséquences de l’immigration.
Le chef de village de Tangaré, un village à quelques encablures de la commune de Garango a fait savoir que c’est le chômage qui pousse les jeunes à partir loin de leurs femmes. Car ils ne peuvent pas les emmener avec eux. Selon le chef, ce n’est pas normal qu’un homme abandonne sa femme pendant des années, mais la situation n’est pas reluisante ici pour les hommes, en particulier les jeunes. Il explique que ce sont ceux qui partent et qui reviennent faire des réalisations qui incitent d’autres à partir.
Les cas de divorce engendrent des problèmes, surtout…
« Je ne peux qu’interpeller le gouvernement sur la nécessité de créer de l’emploi surtout pour les jeunes », lance le chef. Selon lui, les hommes qui vivent avec leur femme au pays gagnent moins que ceux qui sont partis pour l’Eldorado. A la question de savoir si les coutumiers s’invitent dans la résolution des conflits conjugaux, le chef répond que ce n’est pas tous les conflits qu’ils peuvent régler. « Si un conflit survient dans un couple et la femme s’approche des coutumiers, ils conseillent celle-ci d’aller voir la famille du mari car cela est mal vu qu’une femme convoque son mari devant les coutumiers ou les autorités compétentes. La plupart du temps, nous les renvoyons à l’action sociale », a –t-il indiqué.
Même son de cloche pour l’imam Mohamed Gampiné, imam sunnite à Garango qui soutient qu’à un moment donné, la confiance disparaît de chaque côté, vu le nombre d’années qui s’accumule et cela peut conduire au divorce. Selon lui, l’islam n’a pas interdit à un homme d’aller à l’aventure pour subvenir à ses besoins. Mais cela a des conséquences dans un couple. Car l’homme ne pouvant plus accomplir ses devoirs conjugaux. « Aussi, il y a des conséquences sur les relations familiales entre père, mère et enfants car il peut arriver que la femme se retrouve seule à éduquer l’enfant, chose qui n’est pas normale car l’éducation des enfants appartient aux deux parents », rappelle-t-il. Et d’ajouter que les relations entre la femme et la belle-famille prennent également un coup, du moment que la femme se retrouve à être responsable de plusieurs charges.
« Chez nous ici, ce phénomène n’est pas très répandu mais dans les communes ou villages comme Beguedo, Niaogho, Ouarégou, Zabré, Boussouma etc, nous avons des cas très fréquents », spécifie l’imam Gampiné. « Dès qu’il apprend que la femme a eu des relations extra-conjugales, il la répudie. Quand il revient, il se remarie, laisse cette dernière et quand le problème survient encore il la répudie » dénonce le religieux. Et de s’indigner du fait qu’il y ait de nombreuses femmes divorcées dans certaines contrées de la province. Selon lui, l’islam ne permet pas qu’un homme ou une femme vive seul, mais en couple. « Il est écrit : les hommes, les femmes sont vos couvertures et les femmes également les hommes sont vos couvertures ».
A la question de savoir combien de temps, un homme peut-il passer loin de sa femme. Il avoue que la religion n’a pas prescrit le temps qu’un homme devrait passer loin de sa femme. Cependant explique-t-il, du temps du prophète, il fut un moment, quand les hommes partaient en guerre, ils mettaient du temps avant de revenir et les femmes avaient commencé à se plaindre. Pour résoudre ce problème, un calife avait posé la question aux femmes de savoir combien de temps elles donnent à leurs époux pour être absents, nombreuses ont répondu 06 mois.
« Aussi, la religion nous dit avant de partir en voyage, il est bon de s’entretenir avec la femme et de la préparer psychologiquement. Pendant tout le séjour, aussi l’homme doit rester en contact avec sa femme et continuer ses responsabilités d’homme, à savoir les charges familiales », rappelle-t-il comme prescrit dans la religion. « Cependant, il est aussi recommandé de ne pas trop envahir la femme de présents, au point que certains hommes la convoitent », prévient-il.
A la question de savoir s’il est permis à la femme, en islam, de demander le divorce, l’imam Gampiné répond par l’affirmative. Cependant si l’époux absent s’occupe bien de sa femme, cela n’est pas permis. Il a saisi l’occasion pour appeler les uns et les autres à ne pas oublier leurs obligations. Et de signifier qu’à leur niveau (c’est-à-dire la communauté musulmane) ils mènent des sensibilisations et invitent les aventuriers à rester en de bons termes avec leurs femmes. « Toutefois, nous demandons aux femmes aussi d’être indulgentes à cause des enfants », conclut-il.
Rester en contact avec sa famille pendant une absence est une bénédiction.
Amado Dipama, burkinabè vivant à Munich en Allemagne depuis 2002 n’en revient pas sur le comportement de certains hommes vivant en occident vis-à-vis de leurs épouses restées au bercail. Selon lui, depuis le premier mois qu’il a franchi les frontières de l’Allemagne, il n’a jamais manqué un seul mois sans faire de transfert d’argent à son épouse pour les charges familiales. Il estime que rester en contact permanent avec son épouse et la famille est une source de bénédiction pour soi. Il n’a pas manqué de prodiguer des conseils à ses frères et sœurs partis à la recherche du bonheur de ne pas oublier leurs racines, c’est-à-dire les parents, les enfants et le conjoint. « Je suis allé en Allemagne parce que les conditions dans lesquelles je me trouvais ne me permettaient pas de garantir mes vieux jours et aussi l’avenir de mes enfants », raconte Dipama. Et de confesser qu’il a fait 09 ans avant de revenir pour la première fois en 2011 auprès de sa famille pour les uns à Ouagadougou et pour d’autres au Village.
Roland Kyelem, Directeur Régional du ministère de la femme, de la solidarité, de la famille et de l’action humanitaire du Centre-Est, a fait savoir qu’ils sont informés de la situation préoccupante de ces femmes de migrants. Selon lui, ils reçoivent presque tous les jours ces femmes à qui ils apportent des soutiens psycho sociaux car c’est tout ce qu’ils peuvent faire pour ces femmes pour l’instant.En effet, Roland Kyelem confie, que pour l’instant il n’y a pas une politique clairement définie pour la prise en charge des femmes. « Ce ne sont que des réflexions qui sont menées » nous a –t-il confié. Selon lui, le phénomène est très complexe car assez souvent quand les femmes viennent vers leur service, elles ne veulent pas que la belle-famille soit informée qu’elles se sont présentées à l’Action sociale.
A la question de savoir s’ils sont aussi informés de la déscolarisation de certains enfants, le Directeur Régional répond que si le cas a été notifié au niveau de la direction, des dispositions sont prises pour que l’enfant retourne à l’école. Et cela grâce à l’aide que le gouvernement et ses partenaires mettent à leur disposition pour parrainer certains enfants. Et d’arguer que parmi ces enfants il y a ceux dont les pères vivent à l’étranger. Cependant, il avoue qu’il y a des cas dont ils ne sont pas informés.
Nous sommes rentrées en contact avec le président de la Fédération des associations des burkinabè d’Italie Samadou Soulene pour évoquer le problème mais jusqu’à présent ce dernier ne nous est pas revenu.
Cet article a été réalisé par Wakiyatou KOBRE dans le cadre du projet « Women Journalists Empowerment » de la CENOZO
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