Pesticides obsolètes : un boulet au pied que le Mali peine à éliminer
Pour soutenir l’agriculture, le Mali importe des produits chimiques. Avec le temps, beaucoup de ces produits sont devenus dangereux, inutiles et difficiles à éliminer. L’Etat ne parvient ni à s’en débarrasser, ni à sécuriser les personnes et les animaux aux alentours.
« En 2019, j’ai retrouvé ma fille morte sur le chemin de retour du champ avec une bouteille de pesticides à la main. Je ne sais pas comment elle l’a eu, mais il est clair que nous les cultivateurs n’avons pas assez de recul lorsque nous utilisons ces produits dans nos champs », confie Bakaridjan Coulibaly, cotonculteur dans la zone de Bougouni, à 170 km au sud-est de Bamako.
Zantié Dembélé, un agriculteur du village du Dempela, dans la région de Sikasso (300 km de Bamako, au sud), a vu 14 de ses proches intoxiqués après avoir consommé du mil traité aux pesticides : « J’ai demandé si c’était du mil pulvérisé. On m’a répondu que non. Alors, j’ai remis le mil aux femmes qui l’ont moulu et cuisiné. »
Difficile de confirmer ces accusations et de mettre le tout sur les pesticides, faute d’analyse sur ces cas précis. Il n’en reste pas moins vrai qu’au Mali, près de 200 personnes meurent chaque année d’intoxication et plusieurs milliers contractent des maladies dues à l’utilisation intensive de pesticides souvent périmés, selon un rapport produit en avril 2021 par la Banque mondiale.
Kita, à 180 Km de Bamako, aux frontières du Mali et du Sénégal, est une zone de culture de coton. La cité dispose de trois sites pour l’entreposage de conteneurs et d’emballages vides de pesticides. Un des sites (celui de Boudofo) a pris feu en 2021.
Autre site, Fana. 170 km de Bamako, sur l’axe Bamako-Ségou. Dans la cour de la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT) des produits stockés, sommairement réemballés. « L’absence de bestioles, mouches ou moustiques, vous démontre suffisamment la toxicité de ces produits », explique un agent de la CMDT.
L’économie malienne repose en grande partie sur sa production agricole. En 2021, sa contribution représentait 38,34 % du PIB, selon les données de la cellule de planification et de statistique du ministère de l’Environnement. Si l’usage des pesticides est indispensable au bon développement du secteur et de l’économie en général, le pays est confronté à un problème de gestion de pesticides obsolètes.
La Banque mondiale, en 2021, a ainsi recensé 580 tonnes de produits impropres à l’utilisation, « tous des pesticides », dont certains datent de plusieurs décennies. La revente de ces produits est une activité lucrative pour des milliers de jeunes qui les distribuent sans connaître les mesures de sécurité ni souvent, l’origine de la marchandise. Près de 80 % de ces pesticides périmés sont utilisés dans la culture du coton, polluant les terres et les sources d’eau avec des conséquences dramatiques sur le bétail et la chaîne alimentaire. Les emballages de pesticides et les déchets résiduels se comptent en dizaines de tonnes sur l’ensemble du territoire malien. Les récipients ayant contenu ces substances toxiques sont malheureusement réutilisés, notamment pour stocker l’eau, le lait, le jus…
Selon Dr Mamadou Camara, expert en prévention et en gestion de pesticides au Mali, les pesticides sont de plusieurs sortes. Il y a notamment les substances régulatrices de croissance des plantes, défoliants, agents de dessiccation, agents d’éclaircissage des fruits ou pour empêcher la chute prématurée des fruits. A cela, il ajoute les substances appliquées sur les cultures, soit avant, soit après la récolte, pour protéger les produits contre la détérioration durant l’entreposage et le transport.
Sylvain Nafiba Ouédraogo, Coordonnateur du Comité ouest-africain d’homologation des pesticides de l’institut du Sahel, au Mali, ajoute à cette définition, « toutes substances destinées à repousser, détruire ou combattre les ravageurs ». Pour faire face aux risques d’empoisonnement, de contamination et autres, le Mali et la Banque mondiale ont élaboré, dès 2007, une approche intégrée de gestion des stocks afin de prévenir leur accumulation, contrôler l’importation et homologuer les intrants chimiques. La formation d’agents phytosanitaires et la sensibilisation de la population aux risques sanitaires a complété cette initiative.
Selon Yacouba Diarra, environnementaliste et Directeur régional de l’assainissement et du contrôle des pollutions et des nuisances du district de Bamako (DRACPN), « les insecticides ont pour effet de provoquer la mort des insectes, acariens, escargots, limaces et nématodes ».
Les pesticides ne tuent pas seulement les prédateurs, mais éliminent les insectes et les végétaux qui sont bénéfiques et utiles à l’homme ; ils réduisent la qualité du sol, de l’air et des eaux ; les pesticides polluent les fleuves et les océans (à travers notamment les infiltrations dans les canaux d’irrigation, les eaux de ruissellement) ; les pesticides peuvent détruire les Écosystèmes (disparition de certaines espèces indicatrices et incapacité de certains milieux à maintenir la vie). « Ils réduisent la qualité du sol, de l’air et des eaux », explique Mamadou Camara. Une information d’ailleurs que confirment deux autres experts : Nonon Diarra, environnementaliste, Président de l’association CROPLIFE et Yacouba Diarra, Directeur régional de l’Assainissement, du contrôle des pollutions et des nuisances du district de Bamako.
Les stocks de pesticides obsolètes ont atteint un tel niveau que le gouvernement malien a décidé de mettre en œuvre le Programme Africain relatif aux Stocks de Pesticides (PASP). Dénommée PASP-Mali, la section malienne a mis en place un Comité national de gestion des pesticides et a permis d’éliminer (jusqu’en juin 2006) 65 tonnes de produits périmés et déchets liés, sur un inventaire national des stocks de 834 tonnes. Il a également permis d’identifier et de sécuriser une partie des stocks et de mener des opérations pilotes de dépollution. PASP-Mali dispose de 249 magasins sur 231 sites à travers les huit régions du Mali et le District de Bamako. Selon Dr Mamadou Camara, « il faut que ces dépôts et magasins répondent aux normes de sécurité et aux directives édictées par la FAO pour éviter la contamination de l’environnement avoisinant ».
PASP-Mali a, en plus, mis l’accent sur la formation. Dans ce domaine, un vaste programme de formation a permis à tous les acteurs de la filière de se familiariser avec la législation en vigueur, la classification des produits, le traitement et la décontamination du matériel utilisé. Mais aussi avec l’utilisation d’équipements de protection et le reconditionnement des emballages vides. En 2019, ce sont 35 000 bidons, 21 000 flacons, 1 000 sachets de phytosanitaires qui ont été collectés par la CMDT à travers le pays. Un système de collecte et de centralisation de ces emballages a aussi été initié dans certaines régions comme Kita et Koutiala par le biais de la société coopérative des producteurs de coton.
Mais ce programme « a vite montré ses limites et a laissé place au projet de prévention et d’élimination des pesticides obsolètes PEPPO Mali », explique Dr Mamadou Camara, Coordinateur du projet PEPPO Mali, initié en partenariat avec la Banque mondiale. Le PEPPO Mali a été mis en place avec l’appui du Fonds pour l’environnement mondial et du Danemark. Entre 2014 et 2018, il a permis d’éliminer 532 tonnes de pesticides périmés et déchets toxiques, selon le rapport de la Banque mondiale, publié en 2021. Ainsi, si l’on totalise les quantités éliminées par le PEPPO (523 tonnes) et celles du PASP, (65 tonnes), on se retrouve avec une quantité éliminée de 588 tonnes éliminées, sur un inventaire national des stocks de 834 tonnes. Une étude environnementale et sociale du PEPPO Mali a permis de localiser et de recenser les lieux ainsi que le matériel contaminé. Une évaluation des risques sur la santé a aussi été menée autour des sites prioritaires de stockage des pesticides obsolètes.
Selon la Banque Mondiale, les pesticides deviennent obsolètes lorsque la date de péremption (validée par l’autorité réglementaire et inscrite sur l’étiquette du produit ou directement sur son emballage) a expiré. « Cette obsolescence est due au fait que les données dont l’analyse a permis de fixer la date de péremption indiquée sur l’étiquette, sont dépassées et ne sont plus pertinentes après la date de péremption fixée », selon la loi n° 02-014 du 03 juin 2002 instituant l’homologation et le contrôle des pesticides en République du Mali. Il y a au moins neuf groupes de pesticides obsolètes, parmi lesquels, les pesticides non autorisés ; les pesticides dont la date de péremption est dépassée ; ceux qui, même autorisés au départ, ont été par la suite interdits à cause de leur nuisance, d’après Dr Mamadou Camara du PEPPO.
Au Mali, ce sont essentiellement des entreprises étatiques qui utilisent les pesticides. On peut citer, par exemple, la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT), l’Office de Protection des Végétaux (OPV), le Centre national de lutte contre le criquet pèlerin (CNLCP) et l’Office national des hautes vallées du Niger (OHVN). « Ces structures sont les quatre grands détenteurs de pesticides au Mali, qui importent les produits et fournissent les utilisateurs. Quand ils importent et qu’ils n’ont pas pu tout utiliser dans les deux ans, les pesticides deviennent obsolètes », selon Dr Mamadou Camara, expert en prévention et en gestion de pesticides au Mali.
Sur le terrain, la réalité est que la gestion des pesticides est très compliquée tant entre fournisseurs et utilisateurs qu’entre utilisateurs. La plupart des cultivateurs ne savent pas lire les notices et préfèrent cacher ou conserver chez eux les pesticides déjà périmés pour les prochaines cultures.
Les pesticides au Mali sont homologués par un organisme sous-régional commun aux pays du Sahel, l’Institut du Sahel, une structure spécialisée du Comité Inter-Etats de Lutte contre la Sècheresse au Sahel (CILSS). Les agréments sont valables pour une durée de deux ans. En 2011, le gouvernement du Mali a signé avec la firme allemande Sava Gmbh, un contrat d’élimination des pesticides obsolètes. Au terme de cet engagement, la firme devrait faire retourner en Allemagne des produits périmés pour leur traitement. En raison du coup d’Etat intervenu au Mali en mars 2012, ce contrat est tombé à l’eau, sans que les déchets répertoriés aient pu être exportés.
Pour prévenir l’accumulation de produits à péremption limitée et gérer les flux, le gouvernement collabore étroitement avec les différents opérateurs qui détiennent les stocks : « Nos stocks obsolètes ont été détruits », explique Docteur Ousmane Cissé, Directeur de la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT), dans le rapport de la Banque mondiale cité plus haut. « Dorénavant, les pesticides que nous utilisons sont recommandés par le Comité sahélien et homologués, donc autorisés à la vente. Nous animons aussi régulièrement des sessions d’information avec les agriculteurs et incitons nos fournisseurs en phytosanitaires à y participer », précise-t-il dans le même document.
Les grands utilisateurs des pesticides au Mali se disent conscients des difficultés de stockage et des effets sur l’environnement et la bio-ressource, en privé. Cependant, ils refusent de s’exprimer sur le sujet en public. Il en est ainsi de la Compagnie malienne de développement des textiles (CMDT), de la Direction nationale de l’Agriculture, de l’Office pour la protection des végétaux (OPV) et de l’Office de la Haute Vallée du Niger (OHVN). Dans le cadre de cette enquête, certaines de ces structures nous ont renvoyé vers d’autres structures qui, en réalité, ne sont pas en mesure de donner les données avec précision. La CMDT a, quant à elle, demandé des correspondances écrites, restées sans suite plus de trois mois après.
Les pesticides obsolètes restent une réalité et une menace au Mali : menace pour l’environnement ; les personnes et les animaux. Plus encore, leur élimination reste un véritable casse-tête pour l’Etat.
Enquête réalisée par Aminata Agaly Yattara avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).