Niger : Des enfants, souffre-douleur des sites aurifères du Nord

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Agadez, chef-lieu de région du même nom situé au nord du Niger, est un centre de transit de beaucoup d’enfants. Il y a  ceux qui passent par Agadez pour se rendre en Algérie à des fins de mendicité et un nombre important est utilisé dans le maraîchage pour épandre sans aucune protection des pesticides dangereux. A ceux-là s’ajoute une catégorie, la plus nombreuse, visible sur les sites aurifères de Tchibarakatène, dans le département d’Iférouane et d’Awziguar dans la commune de Tabelot. A Awziguar, un site artisanal d’exploitation aurifère, l’utilisation des enfants mineurs dans le traitement de l’or frappe à l’œil nu. Un reporter de la CENOZO s’y était intéressé. Enquête.

Awziguar. Un bled au milieu de nulle part, dira-t-on ! Mais nous sommes à 200 km au nord-est de la Commune rurale de Tabelot,  située à 125 km d’Agadez, chef-lieu de la région. Plusieurs milliers d’orpailleurs s’activent. Qui pour forer. Qui pour sonder. Qui pour vendre ou acheter. Au sein de ce tohu-bohu, des enfants, mineurs pour la plupart, cheveux et corps rougis par la boue, travaillent à longueur de journées pour concasser, broyer, tamiser, laver, rincer, malaxer et scruter langoureusement les petits cailloux mélangés à du cyanure

A l’ombre d’un acacia effeuillé, deux enfants, Brahim et Toudjani- douze ans pour le premier et 13 ans pour le second-scrutent un plateau en fer au fond duquel fuient des amas blanchâtres, résidus du mercure, un produit chimique ayant la capacité de capter les minuscules cristaux d’or. La poussière leur monte au nez. Ils se touchent les yeux avec leurs petites mains boueuses.

Un véritable problème de santé humaine et environnementale

Tous ces enfants travaillent du matin au soir avec de l’eau mélangée à du mercure. Et pire, ces petits ignorent la dangerosité d’un tel produit. Aucun d’entre ces derniers n’est capable de vous dire ce que c’est que le mercure. Le comble, même leur employeur l’ignore. Il a fallu poser la question tout autour. Hama Djibo, un quinquagénaire nigérien, originaire de l’ouest du pays explique l’utilisation du mercure : « Parce que l’or est extrait des mines sous formes de morceaux de pierre dans lesquels s’incrustent des fragments d’or. Une fois broyés et lavés dans de l’eau mélangée avec du mercure, les cristaux s’amalgament pour former une boule qui sera chauffée à plus de 400 °C afin de libérer le métal précieux qu’est l’or ».

« C’est surtout ici que se trouve le danger », explique Hamid Ousmane, pneumologue. «Quand l’amalgame est chauffé  à plus de 400° C, il se dégage de la fumée nauséabonde qui est absorbée par les personnes directement exposées. Ce qui risque de causer des dommages à leurs reins et leurs poumons, mais aussi de s’attaquer à leur système nerveux »

Dans la localité d’Awziguar, les terrains utilisés pour la prospection d’or et les terrils argileux autour des puits forés dégagent des poussières nocives qui empoisonnent tout l’espace végétal et la nappe phréatique. D’après nos recoupements, trois types de mercure sont utilisés sur place à Awziguar dont le méthyl mercure. Ces enfants l’utilisent pour capter les cristaux d’or mais brûlent aussi en compagnie des adultes l’amalgame pour libérer le précieux métal. « C’est surtout ici que se trouve le danger », explique Hamid Ousmane, pneumologue. «Quand l’amalgame est chauffé  à plus de 400° C, il se dégage de la fumée nauséabonde qui est absorbée par les personnes directement exposées. Ce qui risque de causer des dommages à leurs reins et leurs poumons, mais aussi de s’attaquer à leur système nerveux ».

Et Hamid Ousmane de continuer en ces termes : « On constate beaucoup de maladies dangereuses comme la fibrose pulmonaire. Le mercure qui est utilisé est dangereux. Il est nocif en cas d’inhalation ou d’ingestion pour les systèmes digestif et immunitaire, pour la vision, les poumons, les reins et peut provoquer des pertes de mémoire, des insomnies… ».Puis le pneumologue avertit, l’air désabusé : « Tous ces enfants y sont exposés ! Les autorités sanitaires doivent rapidement réagir pour sauver ces jeunes vies ».

Pour bon nombre des enfants se trouvant sur le site de traitement ou même de prospection d’or approchés par CENOZO, l’objectif premier est de faire fortune. « Je suis pauvre, né de parents pauvres qui attendent de moi leur fils aîné que je les aide ! Mais comment le faire si je n’ai aucun travail ? Voilà pourquoi je souffre dans cette brousse reculée », confie Brahim Abdou, âgé de 13 ans et originaire de Say, village situé à l’extrême ouest du Niger. « Il m’arrive de passer des nuits blanches à force d’éternuer. J’ai mal partout. Surtout à la poitrine. Mais je le cache car si le patron apprend que je suis malade, il va me chasser », explique le jeune.

Toudjani  Issaka, 12 ans, se dit être un enfant abandonné dès le bas-âge. « Je souffre trop dans ce bled. Mais c’est une école. Ma vie durant, je n’ai eu que les hangars de marchés ruraux comme toit. J’ai perdu ma mère très tôt. Et je n’ai pas pu supporter la discrimination et les mauvais traitements infligés par la femme de mon père. C’est pourquoi j’ai quitté la maison à l’âge de 10 ans et depuis je n’y ai plus remis les pieds. D’ailleurs mon père ne m’a jamais cherché ».

Parce qu’il pense avoir une revanche à prendre sur la vie, Toudjani croit fermement qu’il sera riche un jour afin« d’effacer toutes les souffrances vécues ». « Je ne quitterai pas ici sans avoir eu beaucoup d’argent. Mon rêve est de retourner au village pour ouvrir une grande boutique », soutient-il.

« …Nos services ont pris en charge 449 enfants destinés aux pires formes de travail »

Selon  Souleymane Mamane, directeur régional de la Protection de l’Enfant, joint par la CENOZO, « Agadez connaît ce qu’on appelle les pires formes de travail des enfants où 9 mineurs, victimes de traite aux fins d’exploitation, ont été récemment sauvés par une unité de la gendarmerie sur un site d’orpaillage interdit depuis plusieurs années. »« Rien que pour le premier semestre de l’année 2020, nos services ont pris en charge 449 enfants destinés aux pires formes de travail », ajoute-t-il.

Malgré toutes les sanctions qui sont prévues à l’article 343 du code pénal qui dispose que : « Est puni d’une amende de 5 000 000 à 10 000 000 FCFA et d’un emprisonnement de 2 à 5 ans ou de l’une de ces deux peines seulement toute personne reconnue coupable ou complice de violations de l’interdiction de pires formes de travail des enfants prévu à l’article 107 du présent code. En cas de récidive, l’amende sera portée au double et l’emprisonnement de 5 à 10 ans ». Pour le magistrat Seydou K., il est d’abord impératif de rappeler aux uns et aux autres le dispositif juridique relatif à la traite mais aussi au travail des enfants.

Que dit la législation nigérienne sur les pires formes de travail des enfants ?

C’est en 2000 que la convention N° 182 de l’OIT a été ratifiée par le Niger. « Conformément à la convention sur les pires formes de travail des enfants, au Niger, il y a le code du travail et le code pénal qui déterminent les conditions dans lesquelles un enfant peut ou ne pas travailler » selon Mahamadou Moussa coordonnateur de l’Association de Lutte contre le Travail des Enfants au Niger (ALTEN) interrogé par notre confrère du studio Kalangou.

Aussi bien dans les zones urbaines que rurales, les conditions de vie, en particulier celles des enfants, y sont très difficiles. Pourtant, « au Niger, le travail de l’enfant est accepté à partir de 14 ans, mais pas dans n’importe quelle condition. Parce qu’on ne peut pas lui faire porter des charges lourdes, le mettre dans des travaux qui peuvent nuire à son évolution physique », a-t-il précisé.

En effet, à travers  le Code du travail nigérien, l’Assemblée nationale a aussi voté une loi dans laquelle elle énumère « dans quelles conditions on peut faire travailler les enfants ? Dans quelles conditions est-il interdit de faire travailler les enfants ? ». Moussa Mahamadou, a poursuivi en rappelant également que ce sont les dispositions du code pénal « qui balisent pratiquement tout ce qu’il y a comme possibilités de méchanceté ou d’exploitation qu’on peut être amené les uns et les autres à appliquer sur les enfants ».

« Ma vie durant, je n’ai eu que les hangars de marchés ruraux comme toit. J’ai perdu ma mère très tôt. Et je n’ai pas pu supporter la discrimination et les mauvais traitements infligés par la femme de mon père. C’est pourquoi j’ai quitté la maison à l’âge de 10 ans et depuis je n’y ai plus remis pieds. D’ailleurs mon père ne m’a jamais cherché »

Et le spécialiste de nous édifier en arguant que l’arsenal juridique contre le travail des enfants se renforce avec la « loi sur l’esclavage qui criminalise l’utilisation des enfants dans le cadre de l’esclavage ». Cependant, il rappelle que certaines de ces lois ne sont pas spécialement prévues pour la protection de l’enfant en ce sens que « c’est les lois qui interdisent les activités illicites qui condamnent les personnes qui utilisent les enfants pour le faire ». Par exemple, c’est la loi interdisant la prostitution qui condamne les personnes qui utilisent les enfants dans ce domaine.

Comment y mettre fin ?

Mahamadou Moussa, coordonnateur de l’ALTEN indique les stratégies que son organisation met en place pour lutter contre ce phénomène : « nous sensibilisons la population à travers des discussions sur les radios, les réseaux sociaux…etc. Nous voulons disposer d’un corpus parlementaire pour le droit de l’enfant. Pour que les parlementaires soient les porte-voix de tout ce qui est loi en faveur de la libération de l’enfant ». Mais tous ces efforts doivent également être soutenus par l’Etat afin de garantir aux enfants nigériens le droit de jouir de toutes les libertés.

Par Ibrahim Manzo Diallo

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