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Mobilisation des ressources internes au Niger : quand l’incivisme des contribuables se mêle à la prédation des fonds publics par les agents de l’Etat
Le gouvernement nigérien a entrepris depuis 2018, d’importantes réformes pour la mobilisation des ressources internes en vue de renflouer les caisses de l’Etat et investir le maximum des fonds dans la réalisation des objectifs de son programme de gouvernance. Suivant ces réformes, le Trésor public qui est le moteur central des opérations de recouvrement des ressources de l’Etat, de leur sécurisation et leur emploi, a confié certaines de ses prérogatives à des structures spécifiques de l’Etat. Il s’agit entre autres, de la Direction Générale des Impôts (DGI) et de la Direction Générale des Douanes (DGD). A ces structures clés intervenant dans la mobilisation des ressources internes sont venues s’ajouter, pour le cas des recettes non fiscales, les ministères et services rattachés ainsi que certaines institutions de l’Etat qui offrent des prestations de services payantes aux usagers de l’administration.
Selon l’Ordonnance n°2010-15 du 15 avril 2010, portant création, organisation et attributions de la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique, à son article 15, « chaque structure de l’Etat qui offre des prestations payantes est tenue de reverser les recettes générées dans les caisses de l’Etat, logées au Trésor public ». Il en est de même pour les régies financières de la DGI et des services des Douanes. L’objectif étant pour la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique (DGT/CP) de faciliter la mobilisation des ressources internes (recettes fiscales et non fiscales) auprès de ces différentes entités et accroître ainsi les ressources de l’Etat. Mais force est de constater qu’« une grande partie de ces droits ne sont pas versés à l’Etat, autant par des personnes physiques que morales », indique le rapport en date du 10 mars 2021 de la Haute autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (Halcia).
Aux termes de la Loi n°2016-44 du 06 décembre 2016 portant création, missions, attributions, composition, organisation et fonctionnement de la Haute autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées, « la Halcia est une institution permanente de lutte contre la corruption et les infractions assimilées en République du Niger ». Ainsi, du diagnostic fait par la Halcia sur la mobilisation de recettes internes de l’Etat au cours de la période 2019-2020, il a été découvert un manque à gagner important, estimé à environ 235 milliards de FCFA de droits non versés à l’Etat.
« La faiblesse du cadre juridique, les difficultés de recouvrement des recettes, l’incivisme des contribuables, la mauvaise gouvernance, l’injustice fiscale, le clientélisme politique, les mauvaises pratiques dans la gestion des finances publiques », sont autant des raisons qui expliquent, selon Salif Yonaba, Professeur à l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso), l’inefficacité des services compétents de l’administration à recouvrer tous les droits de l’Etat. Une situation qui compromet sérieusement les ressources publiques dans la plupart des Etats africains.
Cet important manque à gagner pour l’Etat, constaté dans la mobilisation des ressources internes, se répartit comme suit : 157 milliards de FCFA des droits non versés à l’Etat au niveau de la Direction des Grandes Entreprises (DGE) ; 67 milliards de FCFA des droits compromis au niveau de la Direction des Moyennes Entreprises (DME) et plus de 10 milliards de FCFA pour les autres recettes (y compris les ministères et les structures sous tutelle).
Selon un deuxième rapport d’investigations au titre de l’année 2021, rendu public au mois de juin dernier par la Halcia, « plus de 3000 contribuables identifiés sur l’ensemble du pays sont en situation irrégulière dans le paiement des divers droits à l’Etat ». Dans ce lot, souligne la Halcia, « plus de 200 sociétés sont redevables des gros montants, estimés à des milliards de FCFA, parmi lesquelles la Société de Raffinage de Zinder (SORAZ) avec 49 milliards de FCFA des droits non versés à l’Etat ; la Compagnie minière d’Akouta (Cominak) qui totalise environ 10 milliards de FCFA des droits impayés ; une société chinoise de BTP avec 12 milliards de FCFA non payés ; la société turque SUMMA avec plus de 3 milliards de FCFA des droits non versés à l’Etat, etc. ».
C’est au vu de la gravité de la situation ainsi présentée que la Halcia s’est autosaisie de la question et a mené des investigations beaucoup plus poussées sur les mauvaises pratiques détectées sur l’ensemble de la chaîne de recouvrement des recettes de l’Etat. « Faire rentrer l’Etat dans ses droits », telle est la mission principale que s’était donnée la Halcia avec le soutien total de la Présidence de la République. Selon l’article 2 de la Loi n°2016-44 du 06 décembre 2016, citée ci-dessus, « la Halcia est une structure rattachée à la Présidence de la République ».
Des contrôles tous azimuts sur des recettes fiscales et non fiscales
Dans le cadre de cette mobilisation des ressources internes de l’Etat (recettes fiscales et non fiscales pour les exercices budgétaires 2019 et 2020), la Halcia a travaillé en étroite collaboration avec les Inspecteurs des finances de la DGI et de la DGT/CP, l’Inspection générale des finances et l’Inspection Générale d’Etat. Le processus de contrôle s’est déroulé en trois phases. Dans un premier temps, il a concerné une vingtaine des régies financières relevant de la Direction Générale des Impôts (DGI) et treize (13) unités douanières des sept (7) régions du Niger, à savoir Agadez, Dosso, Diffa, Maradi, Tahoua, Tillaberi et Zinder.
La deuxième phase a uniquement concerné la région de Niamey où six (6) unités douanières ont fait l’objet de contrôle. Quant à la troisième phase, elle a mis plutôt l’accent sur l’appui au recouvrement. Pour la conduite de cette mission, les contrôleurs se sont intéressés à : la comptabilité et la gestion des stocks des valeurs ; les encaissements des recettes ; les reversements des montants recouvrés ; les droits d’enregistrement des marchés publics et les restes à recouvrer. S’ajoutent « les liquidations douanières non payées et les procédures simplifiées en douane non régularisées ».
Du contrôle effectué dans ces différentes régies financières, il a été constaté de graves manquements dans la gestion des valeurs de caisse et de la perception des droits d’enregistrement. S’agissant des enregistrements des marchés publics au niveau de la DGI, une des anomalies détectées, a été « le non respect des dispositions législatives et réglementaires, surtout en ce qui concerne la perception des droits, les pénalités et le respect de la compétence territoriale », souligne le rapport de la Halcia ». Ce contrôle a également permis de relever que dans certains cas, « le portefeuille des restes à payer a atteint des niveaux considérables ». Le rapport a fait cas également des pratiques contraires au Code douanier en République du Niger, notamment en matière de recouvrement des droits, faisant ainsi perdre à l’Etat, des dizaines de milliards de FCFA de recettes non recouvrées.

Direction générale des douanes du Niger
A titre illustratif, note un des rapports de la Halcia cité plus haut, il a été découvert, à la suite d’un contrôle au niveau d’une unité douanière, que des « marchandises d’une valeur de plus de 21 milliards de FCFA ont été enlevées sans une régularisation au niveau du Bureau Spécial des Exonérations à la Direction Générale des Douanes ». Une situation à la base d’« une perte sèche de plus de 56 millions de FCFA causée à l’Etat », selon l’institution nigérienne chargée de la lutte contre la corruption et les infractions assimilées.
Au titre des recettes non fiscales, le contrôle a concerné dix sept (17) ministères et services rattachés et/ou structures sous tutelle, couvrant la période 2018-2019 et 2020. Sur ce registre, il s’est agi pour les enquêteurs « d’analyser la situation juridique et fonctionnelle des régies de recettes mises en place au niveau desdits ministères et leurs structures sous tutelle » ; de « vérifier l’effectivité des recouvrements » ainsi que « les opportunités de création d’autres recettes ». Il ressort des investigations menées que : « beaucoup de structures restent redevables à l’Etat sur plusieurs années pour des montants importants au titre des redevances diverses » ; des « recettes importantes mobilisées mais non versées à l’Etat » ; « certains droits prévus par les textes en vigueur qui n’ont pas été perçus », etc.
Des cas de fraudes et de détournements des fonds détectés
Au niveau des recettes non fiscales, des pratiques peu orthodoxes, assimilables à des fraudes et au détournement de deniers publics ont été mises en évidence. Ainsi, il a été découvert l’existence d’un système de « captage des fonds » où l’argent public est détourné par des fonctionnaires de l’administration. A travers un comité mis en place pour la gestion des recettes mobilisées à partir des prestations offertes aux usagers de l’administration, les fonds collectés sont partagés entre les agents, selon une clé de répartition qu’ils ont eux-mêmes élaborée et ce, en violation des dispositions de l’Ordonnance n°2010-15 du 15 avril 2010, portant création, organisation et attributions de la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique ainsi que de l’Arrêté n°0422/MF/DGT/CP du 14 septembre 2018.
Dans certains cas, a expliqué M. Idi Dan Mairo, Agent comptable à la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique (DGT/CP), dans un débat télévisé organisé par la Halcia sur la mobilisation des recettes internes, « les recettes recouvrées sont soit utilisées à la guise de l’entité administrative ayant fait le recouvrement, soit c’est l’agent de l’Etat en charge du recouvrement qui fait main basse sur les fonds recouvrés ». Or, selon l’Ordonnance n°2010-15 du 15 avril 2010, tout comme l’Arrêté n°0422/MF/DGT/CP du 14 septembre 2018 cités plus haut, « c’est le Trésor public qui est le garant de l’argent de l’Etat ». Cela suppose que toute recette réalisée par un service de l’Etat doit obligatoirement être reversée au trésor.
Mieux, a souligné le secrétaire général de la Halcia, Maman Sani Bakabé, en application des dispositions précitées, « il n’est permis à aucun service de l’administration publique de créer en son sein, des richesses et d’en faire un usage à sa convenance, sans une autorisation spéciale du ministère des Finances qui est l’ordonnateur des fonds publics ». En le faisant, explique l’économiste Ibrahim Adamou Issa, « on est en présence d’un cas de détournement des deniers publics qui est un délit prévu et puni par le Code pénal Nigérien et bien d’autres textes subséquents ».
Cet état de fait se constate aussi au niveau de certaines structures privées pour lesquelles l’Etat a délégué quelques prérogatives afin de lui faciliter le recouvrement d’une catégorie de ressources auprès d’autres sociétés, notamment les multinationales dont leurs activités sont assujetties au paiement de certains droits (impôts, taxes, redevances ou pénalités). Sur la base du contrat qui lie l’Etat à ces structures privées, tous les droits recouvrés doivent être reversés au Trésor public, selon une périodicité bien déterminée.
Malheureusement, le contrôle effectué au niveau de plusieurs de ces structures a permis de constater que des sommes importantes (en termes de milliards de FCFA), recouvrées sur plusieurs années (4 à 5 ans) pour certaines d’entre elles, n’ont pas été reversées au Trésor. Selon Mahamadou Tahirou, fiscaliste de son état, « cela constitue une faute grave en matière de recouvrement des recettes, car elle relève de la fraude et du détournement des fonds publics ».

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Toutefois, a dit le secrétaire général de la Halcia, « les mis en cause ont tous reconnu leurs fautes et se sont engagés à apurer ce qui est devenu une dette pour eux, selon un échéancier bien établi avec le trésor public ». Dans cette démarche, précise-t-il, « la Halcia fait le suivi du respect de l’échéancier établi ». De même, apprend-on des sources proches de la mission de contrôle de la Halcia, « les dossiers de certaines de ces structures (celles qui n’ont pas honoré leurs engagements avec l’Etat) sont pendants devant le Contentieux de l’Etat ».
S’agissant toujours de la mobilisation des recettes fiscales, des mauvaises pratiques, préjudiciables aux finances publiques, ont également cours au niveau de certaines régies financières, à l’exemple de ce cas de détournement de plus de « 100 millions de FCFA au niveau d’un service départemental des Impôts de la région de Dosso ».
Pour le cas de la Douane, les mauvaises pratiques décelées ont trait surtout à des opérations telles que « les déclarations des marchandises, les liquidations, les marchandises en transit, les exonérations, les procédures simplifiées, les reversements, etc. », apprend-on. En ce qui concerne les régies financières relevant des services des Impôts, on peut citer entre autres mauvaises pratiques, « le non versement de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) » qui est pourtant « un impôt majeur » pour l’Etat. Une pratique qui tend à s’enraciner dans les habitudes des contribuables, du fait du laxisme de l’administration qui accorde moins d’intérêt au paiement de cet impôt, notamment dans les zones, autres que Niamey, la capitale.
A titre illustratif, explique M. Mahamadou Boubacar, Directeur Régional des Impôts (DRI) de Maradi, région située au centre du pays, à plus de 600 km de Niamey, « la TVA n’est même pas facturée », expliquant que c’est « un impôt qui n’est pas suffisamment vulgarisé auprès des contribuables ». A Maradi, déplorait-il, « beaucoup de commerçants ne savent pas qu’après avoir payé la TVA au moment du dédouanement de leurs marchandises, ils doivent facturer cette dernière à la vente. Et à la fin de l’exercice, le récapitulatif des factures leur montre le montant collecté à verser aux impôts, en déduisant le montant de la TVA versé à la douane ».
Mais le gros problème que l’on rencontre ici à Maradi, a-t-il dit, « c’est qu’il n’y a même pas de factures dans les transactions de vente et quand il y en a, la TVA n’y apparaît pas ». Telle se présente la situation de la TVA dans cette région, pourtant considérée comme la Capitale économique du Niger.
Des actions pour faire rentrer l’Etat dans ses droits
Diverses actions sont entreprises pour faire rentrer l’Etat dans ses droits. Pour le cas des entités, notamment les sociétés privées avec lesquelles l’Etat a contracté pour le recouvrement de certaines recettes, des « protocoles d’accord d’apurement et de traitement des dettes et créances sont convenus avec la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique (DGT/CP) et le ministère de tutelle dont relève la structure pour le versement échelonné des montants non versés à l’Etat ».
S’agissant des montants à recouvrer pour des paiements au titre des redevances, la structure « incriminée » est sommée de reverser directement dans les caisses du Trésor, les montants dus, et ce, dans un délai bien précisé, sous peine des poursuites judiciaires, entre autres. Par ces actions, le Trésor public, avec l’appui de la Halcia, a réussi aux termes des différentes phases de contrôle, à recouvrer sur le coup, plus de « 10 milliards de FCFA », à la date du 18 septembre 2021, selon la direction des investigations de la Halcia.
Il convient à ce niveau de préciser que « la Halcia n’a pas de mission de recouvrement des sommes dues à l’Etat ou à ses démembrements », tel qu’indiqué à l’article 5 de la Loi n°2016-44 du 06 décembre 2016 portant création, missions, attributions, composition, organisation et fonctionnement de la Haute autorité de lutte contre la corruption et les infractions assimilées. Cette prérogative est exclusivement dévolue aux régies financières qui relèvent de la tutelle du ministère des Finances.
Pour ces opérations de recouvrement, notons aussi qu’au niveau de certains contribuables publics, il a été convenu avec le Trésor public et les ministères de tutelle des structures concernées, des « protocoles d’accord d’apurement des dettes et créances de plus de 33 milliards de FCFA ainsi qu’une mobilisation des recettes de plus de 350 millions de FCFA », souligne le rapport de la Halcia sur le contrôle des recettes de l’Etat. Toutefois, soulignons que des poursuites judiciaires ont bel et bien été engagées contre des agents de l’Etat, « poursuivis pour détournement de recettes publiques ».
Selon une source judiciaire que nous avons contactée et qui a préféré garder l’anonymat, « la justice est saisie de plusieurs cas de détournement des recettes de l’Etat, surtout ceux mettant en cause des agents publics ». Mais du fait que « l’instruction des dossiers n’est pas terminée, au stade actuel de la procédure, il n’est pas judicieux que ces affaires soient mises dans la rue ». Le mieux que je vous recommande, « c’est d’attendre patiemment que ces dossiers soient totalement vidés et qu’une décision de justice soit rendue. En ce moment-là, vous pouvez disposer de toutes les informations, je vous le garantis », nous a-t-elle suggéré.
La faiblesse de recouvrement des recettes de l’Etat ou leur aliénation par des agents publics est un comportement incivique qui s’observe dans plusieurs pays de la sous région où « la législation fiscale est le plus souvent complexe et assez confuse », indique une étude de l’Ena/Burkina Faso (2012/4 n°144) sur « le recouvrement des recettes publiques dans les Etats africains », publiée dans la Revue française d’administration publique.
A cette situation s’ajoutent des pratiques peu recommandables de certains agents de l’administration dont la préoccupation est pour beaucoup d’entre eux, de « faire main basse » sur les deniers publics, à travers divers subterfuges. A ces mauvaises pratiques vient se greffer le clientélisme politique qui est un phénomène solidement enraciné dans les relations de l’administration fiscale avec les contribuables. Il y a aussi, selon l’étude de l’Ena/Burkina Faso, citée plus haut, « le phénomène de la corruption qui, en matière de recouvrement des impositions de toutes natures, connaît un développement inquiétant pour la gestion des finances publiques ».
En somme, une multitude de pratiques qui ne permettent pas à l’Etat de recouvrer et de jouir convenablement des recettes qui lui sont dues. Pour y remédier, le Niger a l’obligation de toiletter sa réglementation fiscale pour l’adapter aux réalités du pays, d’œuvrer à bannir le clientélisme politique et de prendre des sanctions à l’encontre de tout agent indélicat qui confond l’argent public à son patrimoine.
Enquête réalisée par Sahirou Youssoufou avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).