Mali – Prise en charge des malades de la Covid-19 : Ça dénonce la discrimination
Au Mali, suite à l’apparition de la maladie à Coronavirus le 25 mars 2020, les autorités sanitaires ont pris certaines mesures pour arrêter la chaîne de propagation de cette pandémie. Pour la mise en œuvre de ces mesures, l’ex–président de la République Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé la mise à disposition d’un budget de 500 milliards de francs cfa, précédée d’une enveloppe initiale de six milliards trois cent millions (6 300 000 000) de francs cfa. A cet effet, des centres de prise en charge des cas de personnes testées positives à la Covi–19 ont été installés. Malgré la mise en place de ce fonds, la prise en charge des patients au niveau des différents centres a été décriée par certains patients et leurs familles. Sont pointés du doigt, les conditions d’internement, jugées déplorables, de la discrimination dans la prise en charge suivant que le patient soit nanti ou pauvre. Des incriminations qui ont été balayées d’un revers de main par des responsables de ces centres. Enquête à Bamako.
Ayant été contaminé à la Covid-19, cet agent de santé en exercice au CHU de l’Institut d’Ophtalmologie Tropicale d’Afrique (CHU IOTA) a séjourné au centre de prise en charge covid19 du CHU du Point G. Il fait partie aujourd’hui des patients guéris. A l’en croire, les patients sont traités selon leur catégorie sociale et leur relation. « Il y avait un homme qui m’avait fait vraiment pitié. Contrairement à nous, qui étions bien traités, lui était à la limite maltraitée. Bien qu’étant malade, les agents le négligeaient. Les médecins évitaient même de le toucher » se rappelle l’agent de l’IOTA.
Selon M. Konaté, un chef d’entreprise testé positif courant avril 2020 et hospitalisé au centre de Covid-19 du CHU du Point G pendant 20 jours, les conditions des patients testés positifs à la Covid-19 dans ce centre laissent à désirer.
« Il n’y avait pas un moyen de communication entre les malades et les médecins. Les plus chanceux à pouvoir communiquer à cœur ouvert sur l’évolution de leur état de santé sont ceux qui ont des connaissances travaillant au centre, qu’ils appellent par téléphone. Et ce sont eux qui sont prioritaires par rapport aux autres patients et ce grâce à leurs relations avec des soignants », déplore-t-il. Les médecins ne sont pas bien organisés ou préparés pour s’occuper des patients atteints de coronavirus, se convainc cet ancien malade de la Covid-19. « Souvent ils se trompent même de résultats », lâche-t-il.
De son côté, Seydou Traoré, ouvrier résidant à Baco Djicoroni, admis au centre du CHU du Point G le 26 octobre 2020 à 21h 30, garde en mémoire un mauvais souvenir de son séjour au sein de ce centre. « Je pense que le premier médicament des patients c’est l’accueil des médecins. Si les malades sont bien accueillis, cela les soulage un peu. Arrivé dans le centre j’ai fait une heure de temps sans qu’aucun médecin ne soit venu me voir. Face ce comportement des médecins, je me suis dit que le coronavirus n’est pas une réalité au Mali. Nous sommes arrivés presque en même temps qu’un membre du gouvernement, mais lui a été bien accueilli et bien traité, contrairement à nous. Les médecins viennent le voir à chaque instant. Je ne savais pas qu’il y avait Covid-19 pour riches ou VIP et Covid-19 pour pauvres ou citoyens ordinaires. Sinon comment peut-on expliquer cette situation de discrimination dans la prise en charge, étant donné qu’il s’agit de la même pathologie ? », se rappelle Seydou Traoré, encore en colère.
Et d’ajouter qu’il n’y avait pas d’hygiène dans la salle de confinement. A l’en croire, les toilettes sont si mal tenues qu’elles sont un terreau fertile pour la transmission d’autres maladies en dehors de la Covid-19. « Nous, les pauvres patients, buvons de l’eau avec le même gobelet. En toute franchise c’est un comportement déplorable. Si les médecins expriment du dégoût envers leurs patients pauvres, comment pourront-ils les soigner », s’interroge désespérément l’ouvrier Traore.
Pourtant, depuis l’apparition de cette maladie en Chine, en décembre 2019, le Mali conformément aux indications et prévisions des spécialistes et de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a pris des dispositions à travers le Ministère de la Santé et de l’Hygiène publique. Cela à la suite de la réunion Extraordinaire du Conseil Supérieur de la Défense Nationale (CSDN) du 17 mars 2020. Presque une semaine plus tard, le 25 mars 2020 le Mali enregistre ces deux premiers cas testés positifs dans la région de Kayes. Il s’agissait de Maliens, vivant à l’extérieur, de retour au pays. Cette première vague de contamination à la maladie à Coronavirus n’a pas touché grand monde.
Mais suite aux manifestations liées aux évènements politiques ayant entrainé un changement de régime par coup d’Etat, il y a eu un relâchement dans la campagne de sensibilisation sur les mesures barrières entraînant une hausse de la contamination. De ce fait, la deuxième vague de propagation de la Covid-19 a été lourde de conséquences et paniqua une bonne partie de la population qui, jusqu’ici, croyait peu à la pandémie. Aussi à la date du 09 mars 2021, presque un an après l’apparition des premiers cas, les statistiques du Ministère de la Santé sont-elles toujours alarmantes. Elles font état d’un cumul de 8 710 cas positifs, 358 décès dont 290 dans les centres de prise en charge et 68 décès dans la communauté, 6 452 patients guéris et 917 personnes-contact suivies au quotidien.
Malgré ces dispositions gouvernementales, le personnel chargé de la prise en charge des cas de Covid-19 fait objet d’énormes critiques et accusations. Pour sa part, ce personnel ne manque aucune occasion pour réfuter ces allégations, surtout celles relatives aux traitements inéquitables entre les malades. Ils plutôt évoquent les efforts colossaux fournis par les spécialistes au niveau des différents centres de prise en charge : CHU du Point G, Hôpital du Mali, Hôpital de Dermatologie de Bamako.
Internée pour Covid-19, elle perd son bébé et meurt
Pour sa part, Karim Coulibaly, commerçant détaillant à Lafiabougou, témoigne que sa défunte femme Aminata Fofana en état de grossesse de sept mois et demi a été testée positive à la Covid-19. Elle a été hospitalisée au centre de prise en charge de l’hôpital de Dermatologie de Bamako le 29 avril 2020.
« Depuis le premier jour dans le centre, bien qu’elle soit enceinte, les médecins lui ont donné des médicaments à prendre, notamment la chloroquine et bien d’autres produits. Cela sans prendre en compte les effets néfastes que pourraient avoir ces produits sur la grossesse. Elle était paniquée. Par téléphone, je lui ai conseillé de ne pas en prendre. Mais les médecins l’ont convaincue de le faire, car c’est le traitement contre le coronavirus. Elle n’avait donc plus le choix », explique M. Coulibaly encore sous le choc. « Depuis cela, elle a ressenti des douleurs atroces. Elle m’a alors téléphoné pour m’expliquer son état de santé. Etant donné que la visite des médecins était limitée dans la salle d’hospitalisation, ce sont d’autres femmes patientes qui se sont occupées de mon épouse parce qu’elle était enceinte et souffrante. Trois jours durant, elle ne faisait que se plaindre, mais, les médecins n’ont rien fait pour la soulager, même pas la regarder », se remémore l’homme dont la douleur se lit encore sur le visage. « Un lundi matin, elle m’a parlé au téléphone pour me dire qu’elle a commencé à saigner », poursuit M. Coulibaly. C’est ainsi qu’il a pris son courage à deux mains pour informer les médecins du centre. « Mais du matin jusqu’au soir, ils n’ont rien fait. Il m’a fallu hausser le ton pour qu’à 18 h, elle soit emmenée à la clinique Pasteur pour faire l’échographie » nous a- t- il révélé. Avant d’ajouter que les résultats ont montré qu’elle a perdu son bébé depuis cinq jours, d’où la cause du saignement. C’est finalement à la clinique Pasteur que les médecins ont pris au sérieux le cas de l’épouse de M. Coulibaly.
« Ils m’ont informé qu’elle ne peut pas accoucher seule, car le bébé est mort. Ce qui nécessitera une opération chirurgicale pour sauver la maman. Ils sont partis avec elle à l’hôpital du Point G, mais arrivé là-bas, ils ont forcé ma femme à accoucher par voie basse », poursuit M. Coulibaly, au bord des larmes, avant d’ajouter : « C’est un médecin qui travaille à l’hôpital au niveau de la réanimation du Point G, du nom de Dr Guindo, qui m’a fait savoir que ma femme n’avait pas de Covid–19, mais souffrait plutôt de l’estomac ». Le pauvre n’était au bout de sa peine, car de l’hôpital du Point G sa femme a été encore évacuée à l’Hôpital Mère-Enfant ‘’Luxembourg’’ de Bamako, d’où elle a rendu l’âme le 15 Mai 2020.
« J’ai perdu ma femme et mon bébé à cause de la discrimination des médecins, parce que je ne suis qu’un simple et pauvre citoyen. Notre mariage n’a pas fait un an. Elle n’a même pas utilisé ses habits destinés à être portés après son accouchement », regrette-t-il, la mort dans l’âme. A cause de cette situation, M. Coulibaly affirme ne plus croire à la réalité de la pandémie de Covid-19.
Gratuit ou pas gratuit
Testée positive le 05 novembre 2020, une fonctionnaire a été confinée dans sa propre maison sous l’autorisation des médecins de l’hôpital du Mali. Elle nous a confié son calvaire sous anonymat. Selon elle, au début du traitement, elle avait du stress, de l’insomnie, car aucun médecin ne s’est jamais rendu chez elle pour apprécier son état durant sa quarantaine.
« Si je constate quelque chose d’étrange dans mon corps, c’est moi-même qui partais les voir à l’hôpital du Mali. Et là, j’ai constaté vraiment une sorte de discrimination des médecins envers moi. Je peux même dire que j’ai été maltraitée psychologiquement. Chaque jour on entend à la radio et à la télé que le traitement est gratuit, ça a été tout à fait le contraire pour moi. Car j’ai acheté tous mes médicaments de ma poche. Si je n’avais pas d’argent, j’allais mourir à la maison silencieusement. Et jusqu’à ce jour ils ne m’ont pas fait d’examen biologique de suivi, ni d’examen de sortie. Aucun médecin ne m’a donné des résultats indiquant que je suis guérie », raconte-t-elle.
Le mémoire en défense des soignants
Pour le Dr Boubacar Sidiki Dramé, le point focal du centre de prise en charge des malades de Covid-19 à l’Hôpital du Mali, sa structure a enregistré 2740 patients positifs du mars 2020 à janvier 2021. Il explique que son administration, suivant décision du Gouvernement, a mis en place une cellule de crise et un organe technique de la gestion de la Covid-19. Ladite cellule est composée de 9 responsables, chacun s’occupant d’un volet spécifique. Ainsi, il y a un responsable chargé de la surveillance épidémiologique, spécialiste en santé publique ; un responsable chargé de soins médicaux/infectiologies ; deux responsables chargés de la réanimation et d’urgence ; trois responsables chargés de la prise en charge médicale ; un responsable chargé des soins infirmiers ; un responsable chargé de l’hygiène hospitalière et de la sécurité.
Dr Dramé affirme que chaque responsable a déterminé en fonction du nombre des patients et en fonction des locaux occupés ses besoins et les ressources humaines nécessaires. Ces besoins ont été compilés, souligne-t-il, dans un document appelé Plan des ressources humaines. « Ce document prévoit les dispositions adéquates à prendre dès que le nombre de malades atteint 25 à 100 personnes, notamment ce qu’il nous faut en termes de ressources humaines », précise-t-il.
Selon les dires du Dr Dramé, durant la première vague, son centre a recruté et utilisé 63 contractuels dont 12 médecins et des spécialistes (trois endocrinologues, un infectiologue, trois réanimateurs). Lesquels ont été ajoutés aux 68 fonctionnaires déjà employés au sein de l’hôpital. Concernant les soins infirmiers, 38 infirmiers ont été recrutés pour les trois sites (urgence, hospitalisation et réanimation). Ces derniers étaient appuyés par des infirmiers faisant déjà partie du personnel de l’hôpital du Mali.
Parlant des rapports de son centre avec les patients, il a confirmé avoir reçu plusieurs plaintes des malades et de leurs familles sur des prétendus comportements inadéquats du personnel du Centre. « J’ai laissé mon contact pour que les patients et leurs familles puissent me joindre à tout instant. Certains m’appelaient à n’importe quelle heure pour se plaindre qu’ils sont dans la salle depuis un certain moment et qu’ils n’ont reçu aucun soin, en plus ils ne voient personne pour s’occuper d’eux. Cela me permettait d’intervenir par coup de fil, souvent physiquement pour les aider ».
Pour le Dr Dramé, au regard de sa capacité d’accueil, son centre est arrivé à un moment où il fallait faire la sélection des malades pour internement. De ce fait, ceux qui sont plus gravement atteints par la Covid-19 étaient gardés à l’hôpital. Quant aux autres, ils sont mis en quarantaine chez eux à leurs domiciles respectifs avec des consignes répondant aux mesures barrières, tout en s’assurant également que la personne dispose de certaines conditions à la maison. Il précisera qu’après toutes ces mesures, ces patients bénéficiaient d’une première dose pour leur permettre de revenir au bout de 5 à 6 jours afin de faire le premier test de contrôle par rapport à l’évolution de la maladie. Toujours selon lui, en fonction de ce résultat il y aura un deuxième test, soit 48 h après. Si le test est toujours positif alors les médecins leur donnent un délai supplémentaire.
En outre, Dr Dramé nous a fait savoir qu’ils ne sont pas prédisposés à faire du suivi à domicile. « Nous n’avons pas de dispositif pour aller à la maison. Ce sont les patients qui reviennent nous voir à l’hôpital. Quand les patients arrivent, en fonction de la gravité de leur maladie, un médecin prescrit un bulletin biologique d’admission. Ce bulletin couvre la plupart des paramètres permettant de détecter la gravité chez les malades », explique-t-il. Avant de déclarer : « Si on décide d’envoyer les malades à la maison, souvent, ils n’ont pas accès à ce bulletin d’urgence. Mais arrivés à la maison, une consigne ferme leur est donnée : retourner au centre ou appeler un médecin dès qu’il y a problème », précise-t-il.
« Il y a eu des moments de grande affluence et des difficultés pour le laboratoire où certaines machines étaient en panne et les consommables finis. De ce fait, les résultats ne sortaient pas, des patients étaient prélevés, mais ne pouvaient pas disposer de leurs résultats », a reconnu le Dr Dramé. Tout en précisant que cela a été un moment de calvaire pour beaucoup de malades qui n’ont pas pu avoir de réponse de négativité pour les déclarer guéris.
Il explique que durant la période donnée, les patients ont beaucoup souffert y compris les médecins. « On a adopté une politique basée sur les recommandations de l’OMS, c’est–à–dire qu’au bout de 15 jours sans signe clinique, on déclare tous ces patients guéris sans avoir le test de contrôle pour les évacuer », renchérit-il.
Pour répondre aux patients qui déclarent qu’ils ont acheté les médicaments de leur poche, il a signalé que cela n’est pas normal, étant donné que la prise en charge des patients testés positifs au coronavirus est gratuite, y compris les médicaments. Et de préciser que : « Il y a parfois des incompréhensions. Si les malades ne sont pas diagnostiqués mais qu’ils arrivent aux urgences pour Covid-19, on ne les prend pas en charge jusqu’à ce qu’ils soient déclarés positifs. Donc, avant d’être déclarés positifs, on leur donne des ordonnances pour qu’ils achètent des médicaments à leurs propres frais. Mais ils doivent apporter des copies scannées de ces ordonnances payées pour bénéficier de remboursement et la prise en charge gratuite au cas où ils seront testés positifs à la Covid-19 ».
Selon le Pr Akory Ag Iknane, le Coordinateur national de la riposte à la Covid-19 au Mali, par ailleurs directeur général de l’Institut National de Santé Publique(INSP), depuis l’apparition de la Covid-19, le Mali est le seul pays en Afrique qui enregistre des décès communautaires (le décès qui survient en dehors des services sanitaires). A l’en croire, c’est aussi le seul pays qui donne le résultat du test PCR dans les 24h. Se félicitant du fait que le Mali a eu la meilleure gestion de la crise de la Covid-19, et ce grâce à cette organisation. Mais après vérification, il se trouve que le Sénégal aussi a la capacité de livrer lesdits résultats dans les mêmes délais.
Parlant de la prise en charge des patients testés positifs, le Pr Ag Iknane dira que le traitement, y compris la prise en charge, est gratuit. Le Coordinateur national en charge de la riposte face à la la Covid-19 se dit étonné des plaintes liées à la non-gratuité de la prise en charge. Quant aux cas de discriminations, il dit ne pas y croire et se demande même comment un médecin peut-il faire cela en temps normal à plus forte raison en temps de pandémie.
D’ailleurs nous expliqua-t-il, le personnel soignant est tenu par l’éthique médicale qui ne fait pas de distinction entre les patients. « Le Mali est l’un des rares pays qui est toujours dans la négation de ce qui se fait chez lui, sinon il a la meilleure gestion de la pandémie à coronavirus, l’OMS et tous les partenaires ont reconnu que notre pays possède la meilleure gestion de cette pandémie », a précisé le coordinateur national.
Nous n’avons pas pu trouver un classement de l’OMS plaçant le Mali comme pays ayant le mieux gérer la crise, l’Institut Lowy de Sydney en Australie a fait un travail scientifique de classement dans lequel le premier pays africain qui a mieux géré la pandémie est le Rwanda (7e sur 102 pays classés). Il est suivi du Togo (16e sur les 102 pays) et de la Gambie (28e au classement général). Le Mali n’ayant pas été retenu parmi les 102 pays.
Le Pr Ag Iknane a invité les patients guéris de la Covid-19, qui ont été discriminés pendant la prise en charge dans les centres, à venir se déclarer auprès de lui afin de trouver des solutions et mettre fin à ce comportement de médecins indélicats, s’il y en a eu.
Enquête réalisée par Fatoumata Coulibaly avec l’appui de la CENOZO dans le cadre du projet : Covid-19 Réponse in Africa : Togeter for Reliable Information » financé par la Commission Européenne.