Environnement : qui pour sauver le fleuve Niger de l’ensablement ? 

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A Niamey où le fleuve Niger s’étend sur une quarantaine de kilomètres, son ensablement est très perceptible à divers endroits, surtout en période d’étiage (le plus bas niveau des eaux au cours d’une année), comprise entre les mois de mars et juillet. Pendant cette période, les gens peuvent même traverser le fleuve Niger à pied. 

Un phénomène très visible que tout passant qui emprunte le 1er Pont sur le fleuve Niger peut constater. En lieu et place des plans d’eau, ce sont des espaces vides, sablonneux, recouverts à certains endroits de petites végétations qui surplombent le fleuve Niger.

« Pendant la décrue, pour abreuver leurs troupeaux ou faire du pâturage, les bergers descendent jusque dans le fleuve, tout comme en période de grande chaleur (avril, mai, juin) où c’est dans le fleuve même que les jeunes organisent leur pique-nique. Ils arrivent même à se frayer un passage avec leurs véhicules », témoigne Karimou Saley, un piroguier, rencontré sur la rive droite. 

« Tout ceci est possible en raison de l’ensablement avancé du fleuve Niger qui lui fait perdre beaucoup de sa profondeur », explique le Lieutenant-Colonel Soumana Issoufou, chef de Division Restauration des Terres et Lutte contre la Désertification à la Direction Générale des Eaux et Forêts au Ministère de Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre la Désertification au Niger.

L’ensablement est un processus au cours duquel les grains de sable, transportés d’un lieu d’alimentation (source) sous l’effet de l’écoulement ou du vent, s’accumulent et se déposent lorsqu’ils rencontrent un obstacle en traversant un terrain dénudé. « L’eau (érosion hydrique) et le vent (érosion éolienne) sont les principaux responsables du transport des grains de sable et des particules fines des sols qui se déversent dans le fleuve », souligne une étude réalisée par le Programme environnemental d’appui à la lutte contre la désertification sur « le mécanisme de l’ensablement dans la vallée du Niger », réalisée en décembre 2006 par le Groupe Environnement Développement Aménagement du Territoire (FEDAT).  

Au quartier Kombo à Niamey, précisément sur toute la partie située derrière l’hôtel Gaweye, le fleuve Niger s’est métamorphosé. Il est submergé par des plantes envahissantes qui ont colonisé beaucoup de plans d’eau. L’eau du fleuve qui devait couler semble être stagnante, donnant l’impression que cette zone ne fait pas partie du fleuve Niger. 

Tous les bancs de sable, les déchets organiques et solides (matelas, pneus usés, sachets plastiques que Gounti Yéna (vallée alimentée par des canaux d’évacuation d’eaux usées dans la ville de Niamey) a charriés finissent leur course dans le fleuve. « C’est la présence de tous ces déchets organiques qui justifie d’ailleurs le développement de la végétation que l’on voit en cet endroit. Une végétation constituée uniquement de plantes envahissantes, telle que la jacinthe d’eau », explique M. Seyni Seydou, Coordonnateur régional du Programme intégré de développement et d’adaptation aux changements climatiques dans le Bassin du Niger (PIDACC-BN). 

La conjonction de ces facteurs aggravant l’ensablement du fleuve Niger n’est pas sans conséquence sur la vie socioéconomique des populations. Plusieurs activités économiques pratiquées autour du fleuve, telles que la pêche, les cultures de contre-saisons, le maraîchage, le transport fluvial, etc. sont menacées. 

Les phénomènes naturels d’érosion et de sédimentation ne sont pas les seuls responsables de l’ensablement. L’homme aussi y est pour quelque chose par ses actions et les pressions qu’il exerce sur le fleuve. 

Ensablement du fleuve Niger

La main de l’homme 

« Pendant longtemps, l’homme, pour satisfaire ses besoins, n’a trouvé mieux que de détruire la végétation qui constitue le premier manteau protecteur du fleuve Niger », dira le Lieutenant-Colonel Soumana Issoufou, du service des Eaux et Forêts.  

Sur les berges du fleuve Niger, allant du côté de la Corniche Yantala, dans le 1er Arrondissement de Niamey et du quartier Nogaré et environnants (5ème Arrondissement), ce « manteau » a complètement été détruit par l’homme. L’on constate de part et d’autre sur les berges du fleuve que l’homme a érigé des jardins, des habitations et récemment, ce sont des parcs ou centres de loisirs qui pullulent sur les berges du fleuve Niger. 

« Nous n’exerçons aucune pression sur le fleuve. Les agents des Eaux et Forêts et des gens qui disent travailler dans un projet de lutte contre l’ensablement nous accusent d’ensabler le fleuve. Ces jardins existent avant notre naissance. Nous les avons hérités de nos parents qui les exploitaient avant même cette question d’ensablement », se dédouane Idrissa Djibo, un jardinier rencontré sur les lieux. 

Il se souvient toutefois que la superficie de leurs jardins a été élargie. « Nous aurions dû défricher une bonne partie de l’espace qui était couvert de plantes inutiles. Naturellement, nous avions coupé de la végétation et quelques arbres pour faire agrandir nos exploitations », a-t-il avoué sans pour autant reconnaître que leurs actions font partie des causes qui aggravent l’ensablement du fleuve Niger. 

« Pour arracher de l’espace au fleuve aux fins de pratiquer du maraîchage, d’étendre leurs espaces cultivables ou construire une infrastructure, les riverains s’adonnent allègrement à des coupes abusives des arbres. Ils détruisent le couvert végétal et drainent du sable vers le fleuve, toute chose qui favorise l’ensablement du fleuve », dénonce Ibrahim Yaou, jeune volontaire pour la sauvegarde de l’environnement.

« Le cas du micro barrage construit sur une branche du fleuve Niger à Niamey par la société d’exploitation des Eaux du Niger (SEEN) dans le but de stocker l’eau n’avait fait qu’ensabler le fleuve », rapporte une étude de Daouda Tondi Abdoul Wahab (juillet 2021), intitulée : « Renforcement et Réhabilitation de la Nouvelle Station de Traitement de Goudel 4 (Niamey-Niger) ». A partir des deux lits de séchage de ce micro barrage, poursuit l’étude, « ce sont des tonnes de boue et d’îlots de sable, issus du traitement d’eau par les stations de pompage qui se déversaient dans le fleuve, accentuant ainsi l’ensablement du fleuve Niger »

Aux abods du fleuve Niger

Question de survie 

Aux abords du fleuve Niger, à Tillabéri, région située à environ 140 km à l’ouest de Niamey, Illiassou Amadou et son frère Hamani rangent leurs filets de pêche. Ils s’apprêtaient à quitter le fleuve avec leur maigre pêche du jour. « C’est tout ce qu’on a pu capturer depuis ce matin », se lamente l’aîné, montrant une petite quantité de poissons, fruit de leur pêche matinale. « Il est difficile de faire de bonnes prises. Les poissons deviennent rares maintenant. Pour en avoir assez, il faut aller pêcher plus loin dans les zones où le fleuve est encore profond », explique-t-il.

Selon une étude du Conseil National de l’Environnement pour un Développement Durable (CNEDD), un organisme public rattaché au Cabinet du Premier ministre, « cette baisse de la production piscicole est également due à l’ensablement du fleuve Niger », signalant aussi que des « dizaines d’espèces de poissons ont quasiment disparu du fleuve Niger à cause du phénomène d’ensablement ».

Dans cette région, la pêche est l’une des activités principales pratiquées par la population. Selon une publication du 15 février 2022 de l’Agence Nigérienne de Presse (ANP), « elle se pratique sur 450 km le long du fleuve Niger et de ses sept affluents, en plus des 208 mares dont 98 permanentes et les 21 retenues artificielles d’eau que compte la région »

Pour la Direction régionale de l’Environnement et de la lutte contre la désertification de Tillabéri, rapportée par la même source, « les retombées financières de cette activité sont estimées à plus de 2 milliards de FCFA par an ».

Toutefois, alerte le CNEDD, cette activité qui occupe une place prépondérante dans le développement socioéconomique de la région est menacée par l’ensablement du fleuve Niger. « Son développement nécessite alors l’intensification de la lutte contre l’ensablement et la colonisation des plans d’eau par des espèces végétales envahissantes », suggère le Directeur régional de l’Environnement de Tillabéri, le Colonel Oumarou Magagi Issoufou.

Selon des données publiées par HAL Open Science (une plateforme pluridisciplinaire pour le dépôt et la consultation des résultats de recherches scientifiques) sur ‘’les Pratiques de pêche de poissons et changement climatique sur le fleuve Niger à Niamey, Niger’’, « Entre 2000 et 2019, les quantités de poissons pêchés ont diminué tandis que le débit du fleuve et la température ne cessent d’augmenter. Les acteurs interrogés sont unanimes que la baisse des quantités de poissons pêchés est due à la diminution et à la disparition de poissons dans le fleuve. Ils notent l’ensablement, la forte chaleur, l’étiage précoce comme les principaux facteurs influençant ».

Une situation qui a engendré, souligne l’étude, « l’augmentation des prix des poissons ». Par exemple, en 2020, le prix varie de 1000 FCFA le kg pour Polypterus senegalus, communément appelé Bichir gris à 2000 FCFA pour le capitaine. En plus, pour couvrir les pertes liées à la baisse, « le coût des poissons a augmenté en moyenne de 1000 FCFA (1.55€) à 2500 FCFA/kg (3.85€) pour les deux dernières décennies », précise l’étude. 

L’ensablement du fleuve Niger pèse aussi sur l’alimentation en eau potable des populations. « Si le phénomène d’ensablement du fleuve persiste, son débit va en rétrécissant et avec le poids démographique, l’alimentation en eau des populations connaîtra des perturbations », alerte le chercheur Daouda Tondi Abdoul Wahab.  

Pour le chef de Division Restauration des Terres et Lutte contre la Désertification, le Lieutenant-Colonel Soumana Issoufou, « d’autres conséquences pour la survie de l’homme sont à relever, notamment la modification du régime de l’eau ; la perte de la qualité de l’eau, etc. »

S’ajoute aussi le phénomène des inondations où « le Niger est exposé une année sur cinq » avec pour conséquences, entre autres, le développement des maladies, la perte de stocks de poissons, la difficulté de la navigation, les pertes écologique, sanitaire et agricole.  

Le phénomène d’ensablement ne concerne pas que le fleuve Niger. Selon le Lieutenant-Colonel Soumana Issoufou, « nous comptons plus de 1000 mares (cours d’eau permanents) qui sont confrontées à l’échelle nationale au problème d’ensablement »

Pour y faire face, plusieurs opérations sont menées, à l’exemple de la reconstitution du couvert végétal par des actions de restauration de terres dégradées, la mise en valeur des terres, la construction des banquettes (techniques de lutte contre l’érosion), le captage des eaux de crue, les plantations d’arbres sur les berges du fleuve Niger et autour des mares ainsi que des actions de dragage qui consistent à enlever le sable du fleuve

Si ces solutions échouent, disent les plus pessimistes, le fleuve Niger pourrait tout simplement disparaître.

Enquête réalisée par Youssoufou Sahirou avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).

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