
Covid-19 au Burkina-Faso : Le système sanitaire mis à l’épreuve
Manque de matériels, consommables biomédicaux insuffisants, appareils en panne, infrastructures vétustes, un système sanitaire toujours en réorganisation, etc. le Burkina ne présentait pas la grande forme avant l’apparition du Covid-19 en mars 2020.
Les visages sont rayonnants ce 20 août. Le Burkina réceptionne des kits de réanimation. Le pays en manquait. L’évènement est si important que le ministère de la santé a invité la presse pour la présentation des kits. Vingt kits de réanimation viennent renforcer les capacités de cet hôpital de référence du Burkina. Ce kit est composé entre autres d’un lit de réanimation, d’un matelas spécial anti escable et d’un moniteur surveillance. Le chef de service des urgences du Centre hospitalier universitaire de Tengandogo de Ouagadougou Dr Armel Flavien Kaboré félicite les techniciens du ministère de la Santé.
Si l’arrivée de ce matériel commandé avec l’apparition du Covid -19 le 09 mars dernier est un ouf de soulagement pour le CHU Tengandogo c’est que le Burkina n’en disposait pas du tout. La prise en charge des cas du Covid 19 était précaire. Des malades alités sans aucune prise en charge et laissés à leur sort jusqu’à passer de vie à trépas. La maladie du coronavirus n’a été que le révélateur du dénuement des hôpitaux burkinabè, bien parfois des lieux de désespoir.
Outre Tengandogo, les kits de réanimation reçus ce jeudi 20 août seront répartis dans différents centres de santé du pays tels que les Centres hospitaliers universitaires Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou et celui Souro Sanou de Bobo Dioulasso et les Centres hospitaliers régionaux de Fada N’Gourma, Gaoua, Ouahigouya. Ces kits sont arrivés à Ouagadougou après les annonces, il y a quatre mois, de l’exécutif au regard de l’urgence.
Le gouvernement pressait selon les termes du conseil des ministres du 16 avril 2020 les différents acteurs de la chaîne de commande de lever toutes les difficultés exposées et d’accélérer les procédures d’acquisition des produits pharmaceutiques, des matériels médicotechniques et de protection ainsi que la mise à niveau des infrastructures afin de répondre aux besoins exprimés par le secteur de la santé.
Le matériel est arrivé quatre mois après. Mieux vaut tard que jamais. Ces acquisitions ne constituent qu’une goutte d’eau dans la mer des difficultés des centres de santé du Burkina confronté à la pandémie du coronavirus. Dans l’urgence de la gestion de la pandémie, le Burkina, selon le coordonnateur de la riposte du Covid-19 Dr Brice Bicaba, a « un manque crucial d’extracteurs automatiques, de tests de confirmation et de consommables de laboratoire ». Mais bien plus que l’urgence de la gestion du Covid-19, les problèmes de l’hôpital burkinabè ne sont pas nouveaux. La vétusté des centres de santé est l’autre cancer du système de santé au Burkina.
Le Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Kongoussi. Dans cette ville située à plus de 110 kilomètres au nord de Ouagadougou où des cas de Covid ont été enregistrés, le CMA, seul hôpital de référence de la province du Bam est dans un état calamiteux. L’incendie de cet édifice sanitaire le 20 août 2018 n’a fait qu’exacerber les problèmes. Le réfrigérateur du bloc opérateur est en panne et ne permet pas la conservation des produits anesthésiques, le service des urgences manque d’oxygène, il n’y a pas de tensiomètre… la liste de matériels en manque au CMA de Kongoussi est longue.
Le seul hôpital de référence de cette ville de la région du Centre Nord est en manque de matériel médical en plus de locaux dévastés par les flammes. Le Centre médical avec antenne chirurgicale de Kongoussi n’est pas un cas isolé. Le manque de matériels ou en panne est une réalité dans les centres de santé, confient plusieurs agents de santé. Le syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA) dans une déclaration rendue publique le 31 mars dernier a dénoncé le dénuement des centres de santé du pays du point de vue des infrastructures, des équipements, du personnel et des ressources.
Le CHU Tengandogo désigné pour recevoir les malades du covid avait été présenté comme un hôpital de référence au Burkina. Pourtant cet hôpital de référence manquait visiblement de tout. Même des climatiseurs et des toilettes y faisaient défaut. Le choix de ce site a permis de corriger plusieurs problèmes de matériels. Les cas Covid sont traités au niveau de ce centre de santé. Les autres centres de santé du pays sont en grande partie en marge de la prise en charge. Une situation que dénonce un médecin en service au plus grand hôpital du Burkina le CHU Yalgado Ouédraogo.
« Il fallait un système de prise en charge pyramidal à l’image de la structure sanitaire au Burkina sinon les autres ne se sentent pas concernés. Par exemple, au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo aucun agent de santé ne veut prendre en charge un cas suspect de Covid 19. L’hôpital de référence du Burkina n’est pas concerné et impliqué dans la gestion du Covid-19 » confie un médecin en service au CHU Yalgado. En effet, le système sanitaire burkinabè est pyramidal. Les soins commencent par les Centres de santé et de promotion sociale (CSPS) puis aux Centres médicaux avec antenne chirurgicale (CMA) aux Centres hospitaliers régionaux (CHR).
Les Centres hospitaliers universitaires (CHU) sont la dernière étape de soins. Si les premiers cas de Covid ont été détectés à Ouagadougou d’autres localités du pays ont enregistrés des cas Covid. Mais les autres pans de la pyramide de soins ont été laissés en marge.
« Même la dotation ordinaire des centres de santé est minimale. Nous entendons parler d’apport supplémentaire aux centres de santé mais nous n’avons rien. Nous travaillons à nos risques et périls »
La conséquence est que beaucoup de malades Covid-19 peuvent contaminer les agents de santé- environnement et d’autres malades en l’absence de dispositions prises pour faire le tri dès l’arrivée dans un centre de santé. Les agents de santé sont aussi exposés faute de matériel de protection pendant les consultations des malades qui peuvent présenter les symptômes du Covid. Le ministre de la Santé Claudine Lougué annonçait le 11 septembre dernier que 111 agents de santé ont été infectés de la Covid-19. Sur ces 111 cas, 95 agents de santé ont été contaminés rien que dans le premier mois de la détection du premier cas officiel de Covid au Burkina. C’était le 09 mars 2020.
Les autorités sanitaires ont avec le temps tiré leçon de ce dysfonctionnement. Des centres de tri ont été installés dans différents centres de santé du pays. Un dispositif a été mis en place afin que tout malade qui arrive dans un centre de santé passe par un screaming pour déceler des cas suspects. Ce dispositif est présent aux Centres hospitaliers universitaires Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou, Souro Sanou de Bobo. Il est également installé dans des Centres médicaux avec antenne chirurgicale de Bobo, Gaoua, Dédougou. Ces centres de tri sont mis en place pour éviter la contamination des agents de santé en première ligne dans la lutte contre la pandémie. Mais ce dispositif n’existe pas dans tous les centres de santé du pays.
A Boromo dans les Balés, ville située à près de 200 kilomètres à l’Ouest de Ouagadougou où des cas de Covid ont été enregistrés, les agents de santé font face à la pandémie sans aucun apport de matériel de protection. « On n’a rien. Même pas de gants ; on n’a rien reçu, vraiment rien. Alors qu’on doit s’occuper des malades du Covid », se lamente un agent de santé joint au téléphone.
« Nous n’avons rien reçu. On entend parler du Covid-19 mais nous n’avons absolument rien. Nous continuons de consulter les patients sans aucune précaution en tenant compte de la nouvelle maladie (le coronavirus) », témoigne amère une infirmière en service dans un centre de santé de la commune de Boussé, province du Kourwéogo. « Même la dotation ordinaire des centres de santé est minimale. Nous entendons parler d’apport supplémentaire aux centres de santé mais nous n’avons rien. Nous travaillons à nos risques et périls », a poursuivi l’agent de santé. « C’est vraiment de la débrouillardise » s’est exprimé pour sa part un médecin qui travaille à Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays.
Par Atiana Serge Oulon
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