Burkina Faso : les femmes du secteur informel ruinées par le terrorisme

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La situation sécuritaire que vit le Burkina Faso depuis 2016 a d’énormes répercussions sur les activités du secteur informel tenu à plus de 80 % par la population active. Entre attaques et agressions à mains armées, les femmes de Kaya, au Centre-Nord, bravent l’insécurité pour nourrir les populations locales et scolariser leurs enfants. En attendant un appui des autorités, ces femmes peinent à joindre les deux bouts.

Jeudi 20 juillet 2023. La lueur du jour distille ses premiers rayons sur la ville de Kaya, à une centaine de kilomètres de Ouagadougou, dans le Centre-Nord du Burkina Faso. Assise derrière son étal de céréales au marché local, Aminata Karogo, la trentaine, de taille moyenne et mère de 05 enfants, plonge sa main dans un des sacs remplis de maïs et lâche : « on met notre vie danger pour nourrir et scolariser nos enfants ».

Chaque matin, elle se retrouve au marché central de Kaya pour proposer ses marchandises composées de maïs, mil, savon local et du savon détergent. Sept ans en arrière, en plus de son commerce quotidien au marché de Kaya, Aminata se rendait 2 à 3 fois par mois  à Ouagadougou, la capitale burkinabè ou à Léo, pour s’approvisionner et aller revendre à Tougouri, une localité située à environ 25 km de Kaya.

Mais depuis 2015, les activités tournent au ralenti à cause du terrorisme. « Maintenant, avec l’insécurité, c’est devenu difficile. Nous mettons notre vie en danger chaque jour pour aller chercher les marchandises et revendre », déplore la vendeuse. Désormais, pour se rendre à Pissila ou à Tougouri, elle et plusieurs autres commerçants organisent un convoi escorté par des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) et des Forces de défense et de sécurité (FDS). Ils y passent trois semaines avant de retourner à Kaya.

Aminata Karogo, vendeuse de divers au marxché de Kaya

En juillet 2019, leur convoi a été attaqué à Pissila, commune rurale située à environ 130 km au Nord de la ville de Ouagadougou. Des hommes armés non identifiés les ont arrêtés et ont brûlé le camion chargé de provisions. « Ils ont tué certains hommes, mais d’autres ont pu s’échapper. Quant à nous, les femmes, ils nous ont laissé la vie sauve avec nos enfants », raconte-elle, la gorge nouée.

Ce jour-là, Aminata a eu la plus grande peur de sa vie. Les larmes coulent de ses yeux en silence en se souvenant de cet épisode sombre. Entre supporter les charges familiales de plus en plus pesantes et préparer un meilleur avenir pour ses enfants, elle n’a d’autre choix que de poursuivre cette activité à haut risque.

Face à l’insécurité grandissante, Aminata réorganise son commerce. Elle décide, cette fois, de livrer les marchandises à ses clientes par les camions, pour ensuite être payée par transfert d’argent “mobile money”. Là encore, sa méthode échoue. A cause des attaques et des agressions sur les routes, les camions ont arrêté de desservir la localité. La destruction des pylônes des opérateurs GSM par les groupes terroristes a rendu impossible la communication et les transferts d’argent mobile money dans cette zone.

Depuis l’année dernière, elle emprunte les taxis motos au prix de 1500 francs CFA par sac de céréales pour sillonner plusieurs villages, dont Tougouri, Pissila, Pensa, afin d’écouler ses marchandises.

Sacs de vivres au marché de Kaya

Revenus paralysés

Le terrorisme continue d’impacter fortement les revenus des femmes ayant une activité informelle. Pour trouver la pitance quotidienne, beaucoup de commerçantes mettent leur vie en péril. C’est le cas de Kotim Kargougou Kafando, 39 ans, vendeuse de céréales et de divers articles au marché central de Kaya.

La mère de 03 enfants a commencé son commerce il y a 11 ans. Pour se ravitailler à Bitou, dans la province du Boulgou, au Centre-Est du Burkina Faso, elle parcourt plus de 290 km. Auparavant, elle se rendait à Pissila, chaque trois jours en semaine, et arrivait à écouler 10 à 20 sacs de mil, de haricots et de piments. Elle gagnait en moyenne 250 000 Fcfa par mois. Pour le transport de ses marchandises, elle payait la somme de 400 Fcfa par sac de 100 kilos contre 1500 Fcfa aujourd’hui.

Mais cette époque se conjugue désormais au passé. « Maintenant, nous n’arrivons même plus à vendre plus de 3 ou 4 sacs pendant les trois semaines.  La plupart des habitants ont fui et ceux qui sont restés vivent dans la misère et c’est difficile même d’avoir 15 000 Fcfa par mois comme bénéfice », explique Kotim, la mine fatiguée de longues années laborieuses.

Kotim Kargougou Kafando, vendeuse de céréales à Kaya

Avec la survenue du terrorisme et l’insécurité, la vendeuse doit redoubler d’efforts : « actuellement, j’ai un bébé 08 mois et je suis obligée de me battre pour soutenir mon époux, car son salaire de vigile ne suffit pas à nous prendre en charge », regrette-t-elle. 

Dans ce marché de Kaya, Awa Bamogo, commerçante d’oignons, subit le même sort. La jeune femme, âgée d’une vingtaine d’années et mère de deux enfants, s’approvisionne difficilement dans les localités productrices de ce légume et relate : « Avec l’insécurité, c’est devenu difficile. Avant, on gagnait assez de sacs d’oignons, mais maintenant, on n’a qu’une petite quantité pour vendre. Il n’y a plus assez de bénéfice comme ça. On partait souvent s’approvisionner à Korsimoro, mais là-bas, les oignons sont finis donc nous sommes sur place ».

Une situation de plus en plus difficile…

Au Burkina Faso, plus de 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. D’après un rapport (2021-2022) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) sur l’Indice de Développement Humain, le pays a été classé 184ᵉ sur 191 pays dans le monde.

Avec des revenus élevés ou pas, les burkinabés sont nombreux à partager le ressentiment d’un coût de la vie de plus en plus élevé par rapport au pouvoir d’achat. Face à l’instabilité sécuritaire, les productions sont impossibles dans les zones à risque et cela affecte la disponibilité de certains produits, notamment les céréales (maïs, sorgho, mil, etc.).

Ce n’est pas Mariam Ouédraogo Soulga, présidente d’une Association de transformateurs agroalimentaires qui dira le contraire : « Actuellement, c’est très difficile de s’approvisionner [localement] en denrées alimentaires. A part la farine de blé [qui est importée], nos matières premières sont le riz, le maïs, le sorgho et le petit mil pour la transformation des produits alimentaires tels que les biscuits, les grumeaux, la farine de maïs et autres », déplore-t-elle.

Dans sa petite unité de transformation de produits locaux, la quinquagénaire souligne également l’augmentation du prix du lait et du sucre. Avant, le prix de 1 kilogramme de sucre blanc importé se situe entre 400 et 500 fcfa ; aujourd’hui, le même kilogramme est vendu entre 700 et 800 fcfa, soit une augmentation moyenne de plus de 90%. Le lait en poudre, autrefois vendu à 2.300 ou 3.000 fcfa le kilogramme en fonction du type ; est aujourd’hui vendu à 3.300 ou 6.000 fcfa, soit une augmentation moyenne de plus de 75%.

A Ouagadougou, Alimata Tapsoba commerçante de pagnes au grand marché de la capitale, constate avec désolation, la chute de sa clientèle, pour la plupart des grossistes, en provenance de Kaya, Dori, Gorom-Gorom. « Avant le terrorisme, je vendais 2 à 5 balles de pagnes par jour. Dans une balle, il y a 100 complets de pagnes », explique la quarantenaire.

Aujourd’hui, une bonne partie de sa clientèle est déplacée interne et la quarantenaire n’arrive plus à écouler ses marchandises. « Il y a des jours où c’est juste un sachet 10 complets de pagnes que je vends. Pour pouvoir vivre actuellement, j’ai dû réduire mes dépenses et mon train de vie… », explique-t-elle.

Que fait l’Etat face à la situation ?

Le dernier rapport de l’indice 2023 du terrorisme mondial révèle que le Burkina Faso est le 1ᵉʳ pays en Afrique et le 2ᵉ pays au monde le plus touché avec plus de 2 millions de personnes déplacées, majoritairement des femmes et des enfants.

Selon les données du Conseil national de l’économie informelle (CNEI), plus de 80 % de la population burkinabè exercent dans l’informel. Cette structure créée en décembre 2019 joue le rôle de conseiller pour ses acteurs afin que ceux-ci soient plus présents dans le monde de l’emploi et de l’entrepreneuriat au Burkina Faso.

Interrogé, Salif Nikiéma, le président du CNEI, affirme qu’en plus de la Pandémie à Covid-19, le terrorisme a contribué à appauvrir les femmes des marchés et des yaar (petits marchés informels en langue locale Mooré – NDLR). « Certaines commerçantes qui avaient même contracté des prêts auprès des structures de micros finances et des institutions financières de l’État pour renforcer leurs activités peinent à rembourser, car tout est au ralenti », a-t-il étayé.

Salif Nikiéma, le président du CNEI

Au sujet de la précarité économique des femmes du secteur informel de Kaya dont ceratines sont des déplacées, le responsable du CNEI explique que sa structure « apporte des appui-conseils et fait des formations et des sensibilisations aux femmes ». Le CNEI n’apporte donc aucun soutien financier direct à aux femmes du secteur informel. Pour Florence Ouattara, Coordonnatrice de la Coalition Burkinabè des droits humains, à travers sa politique nationale genre, l’Etat accorde un traitement spécial aux femmes touchées par le terrorisme.

« L’État a mis en place le FAARF (Fonds d’appui aux activités rémunératrices des femmes – NDLR) pour les femmes du secteur informel. Ce sont des facilités pour avoir accès aux ressources. Cela ouvre l’esprit des femmes, car cela leur permet d’avoir un compte en banque », explique Florence Ouattara.

« Avant le terrorisme, nous avions une certaine précarité des femmes en général et des femmes du secteur informel en particulier, parce que nombreuses des femmes sont des chefs de ménage », a-t-elle rappelé, avant d’ajouter : « C’est pour cela qu’un plaidoyer avait été fait afin que les autorités se penchent sérieusement sur les crédits octroyés aux femmes ».

Au moment, nous bouclons les lignes de cet article, les ministères en charge du Commerce et de la Femme n’ont pas souhaité répondre à nos sollicitations d’interviews.

Enquête réalisée par Wakiyatou Kobré avec le soutien de la CENOZO dans le cadre de la phase 2 du projet “Autonomisation des femmes journalistes du Burkina Faso”.

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