Sidsoré Mandé, la soixantaine bien sonnée, déplacée interne, se rend  en cette matinée du 20 août 2020 à la fontaine située sur le  site dénommé « 38 villas ». Le 2e plus grand site de déplacés de la ville de Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord, où vivent près de 1659 personnes. Sous une fine pluie, la vieille Mandé,  l’air angoissée et très pressée,  part à la  recherche de  sa petite-fille, partie chercher de l’eau à la borne  fontaine. « Cela fait plus d’une heure qu’elle est partie », lance-t-elle. C’est pourquoi, lasse d’attendre, elle décide d’aller aux nouvelles, et prélever, elle-même, l’eau. Dès son arrivée à la borne fontaine, elle est immédiatement servie. « Vu son âge, je ne veux pas la faire attendre », explique le gérant de  la fontaine, Assane Sawadogo.  Située à quelques jets de pierres des habitations, la fontaine reçoit plus de personnes qu’elle n’en peut, car son débit est très faible. L’or bleu est certes disponible, mais son débit laisse à désirer : «  Il faut environ 15 mn pour remplir un seul  bidon de 20L qui coûte  10 F CFA » indique le gérant.

La sexagénaire Sidsoré Mandé souhaite que la gratuité du prélèvement de l’eau pour les déplacés

Venue de la commune de Pissila à environ 32km de Kaya, Mandé vit sur le site, il y a de cela un an, avec sa famille de 21 personnes. « Franchement, c’est la croix et la bannière pour se procurer chaque jour de l’eau. Et comme l’eau est gratuite à la pompe, les files d’attente sont interminables. Fatiguée, j’envoie parfois mes petits enfants à la fontaine. Mais, là encore, l’eau vient à compte-goutte », se désole dame Mandé. Sur le site «38 villas», en plus de la seule pompe à motricité humaine, il existe  3 bornes fontaines dont deux à proximité pour 1659 personnes. La pompe étant en plein chantier pour  un réaménagement, les femmes sont désormais obligées de se rendre aux bornes fontaines pour recueillir « la denrée rare ». Contrairement à la pompe, s’approvisionner en eau au niveau de la borne fontaine est payant. « Cet argent sert non seulement à payer la facture d’eau à l’ONEA (Office national de l’eau et de l’assainissement) mais aussi à gérer les dépenses courantes telles que les réparations », confie-t-il.

Le chemin de croix

Ayant tout abandonné derrière elles et à présent sans aucune activité génératrice de revenu, ces femmes, désormais vulnérables, ont du mal à  s’acquitter  des charges quotidiennes. Pour  la sexagénaire, l’or bleu existe, malgré la détresse hydrique que connaît la « cité du cuir ». Le véritable problème, selon elle, demeure la question des ressources financières, notamment les moyens de s’en procurer. « Nous avons  fui notre village  à cause de l’insécurité et on se retrouve sans rien. Ni bien matériel et financier.  On dépend aujourd’hui des dons. Alors avoir de l’argent pour acheter de l’eau potable, c’est la croix et la bannière pour moi » marmonne-t-elle.  Le responsable des personnes déplacées des « 38 villas », Arouna Ouédraogo confirme le difficile accès à l’eau potable sur le site: « Pendant la période de canicule, avec les coupures  récurrentes d’eau, c’est le calvaire à la  pompe. Pour ces dames, l’objectif zéro corvée d’eau n’est qu’idéal atteindre ». Selon lui, cette situation génère, parfois, des querelles dans lesquelles il est obligé d’intervenir. Il espère qu’avec le réaménagement de leur pompe en un poste autonome,  ces difficultés vont diminuer.

En entendant la réparation de la seule pompe du site « 38 villas », les femmes doivent acheter l’or bleu

La situation s’aggrave malheureusement avec l’avènement de la COVID19.  Un dispositif de lave-main  est installé, à cet effet, devant chaque bloc et est approvisionné à tour de rôle par les femmes. Ces dispositifs sont, depuis plusieurs semaines, vides et abandonnés à leur triste sort. L’impératif  de se laver régulièrement les mains semble, pour ce faire, relégué aux oubliettes, en raison de la rareté  de l’or bleu. « Nous sommes conscientes qu’il faut le faire. Il y va de notre santé. Mais, c’est aujourd’hui difficile à accomplir» déplore la vieille dame.   Autre site,  même réalité. Sur le site de Kouimkouli, ce sont des bidons vides alignés à perte de vue sous des polytanks qui servent de réservoir d’eau. Espérant avoir la quantité d’eau nécessaire d’ici le coucher du soleil,  Aicha Tamboura attend avec impatience  le  liquide précieux pour vaquer à ses tâches ménagères. Après des longues heures d’attente, elle est, régulièrement, obligée de parcourir au moins 2 kilomètres pour se rendre à la pompe afin de se procurer un bidon d’eau à 10  F.

Ce que disent les textes

« L’accès à l’eau potable est un droit universel  reconnu à tous. Ce droit est inscrit dans la Constitution en 2015. Le droit d’accès à l’eau potable de l’homme doit permettre à chaque personne vivant au Burkina Faso d’avoir accès sans discrimination, physiquement et à un coût abordable, à un approvisionnement suffisant d’une eau salubre (potable) et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques. Selon la cible 6.1 des objectifs de développement durable(ODD), l’accès doit se  manifester par la disponibilité à proximité du domicile (15 min maximum) d’un point d’eau  et approvisionné en quantité suffisante (au moins 20L/J) pour couvrir les besoins domestiques (boisson, préparation des aliments et hygiène)  et que le paiement des services ne présente pas un obstacle à l’accès à l’eau ou n’empêche pas les individus de répondre à d’autres besoins fondamentaux ».

Des poches vides

Malheureusement, il n’existe pas de point d’eau à proximité du site. Les déplacées, à l’instar d’Aicha, sont ainsi obligées de parcourir des kilomètres pour s’approvisionner.  « La pompe de notre site fonctionne avec un système solaire et l’eau est  servi gratuitement. Mais, le manque de soleil pour alimenter le système, nous amène parfois à nous retrouver, pendant plusieurs jours, sans la moindre goutte d’eau », se lamente dame Tamboura. Or, ajoute-t-elle, avec les poches vides, et sans aucune activité génératrice de revenu, il est difficile de s’acheter un bidon d’eau de 20 L, encore moins s’en sortir».

Certes, les femmes sur ce site  ont  l’opportunité d’avoir « l’or bleu » gratuitement mais sa disponibilité n’est pas permanente. «Pendant la saison pluvieuse, nous pouvons passer deux ou trois jours sans eau même pour boire.», explique le gérant de la fontaine, Gérard Kabré. En effet sur ce site, le système d’approvisionnement en eau potable fonctionne avec des plaques solaires. C’est l’énergie solaire qui  alimente le système de pompage et  permet aux réservoirs (polytanks)  de se remplir d’eau. Cependant,  en saison hivernal surtout au mois d’août où les pluies sont abondantes, le soleil se fait rare. Il est  donc difficile pour les panneaux d’avoir de  l’énergie solaire pour l’alimentation du système de pompage.

« Les femmes  se retrouvent sans eau à cause des caprices de dame nature » informe M. Kabré. Comme ces deux dames (Sidsoré Mandé et Aicha Tamboura), ce sont  25 920 femmes déplacées de 13 sites  de Kaya qui vivent cette situation difficile au quotidien.  Elles doivent, le plus souvent, emprunter  de l’argent à des voisines hôtes ou faire la manche dans la ville pour pouvoir  prendre soin de leurs ménages. La situation va de mal en pis chez certaines femmes. Assèta  Dicko est arrivée à Kaya, il y a de  cela plus de 5 mois. Venue de Dablo(90 km) de Kaya avec ses huit enfants et sans époux, elle doit se débrouiller pour s’occuper de ses progénitures. Logée hors d’un site de déplacé au secteur 6 de kaya, elle se voit contrainte de louer avec ses enfants un « entrer-coucher » au prix de 5000 F CFA le mois. «N’étant pas habituée à acheter de l’eau, je dois cependant m’y faire. Car, les réalités ne sont plus les mêmes » fait-elle remarquer.

Chaque jour, ce sont des centaines de bidons qui attendent d’être servi pour permettre aux femmes déplacées de faire leur ménage

Un bain par jour

Habituée à prélever déjà l’eau gratuitement dans sa zone de résidence, dame Dicko bénéficiera également, durant 3 mois, de la gratuité de l’eau, instituée par le gouvernement  en raison de la pandémie de la COVID19. Elle se voit, désormais, obligée  d’emprunter, régulièrement, de l’argent avec des amies pour  s’approvisionner en eau potable. « Elles acceptent de me prêter 150 F CFA, c’est-à-dire 50 F CFA pour la location de la barrique vide  et 60 F CFA pour le prélèvement  de l’eau. Je n’ai que deux jours  d’utilisation. Pour pouvoir éponger mes dettes, je me promène dans la ville à la recherche d’emplois, notamment faire la lessive ou  laver des plats dans un restaurant. Je rentre parfois à la maison, en fin de journée, avec 2000 F CFA par jour ou les mains vides. C’est mon quotidien » avoue Mme Dicko, l’air désemparé.

Déplacé et chef de famille de 32 personnes, Issa Ouédraogo vit dans le même quartier que Assèta. « Pendant la période de canicule qui a coïncidé avec le mois du jeûne, c’était vraiment dur. Les femmes se levaient à 4 heures du matin pour aller faire la queue à la borne fontaine. Elles en reviennent vers 10 heures après avoir été  servies. Au regard de la rareté de l’eau, et surtout pour économiser, nous ne prenons qu’un bain par jour. Ayant tout perdu, nous dépendons énormément des femmes» confie, le porte-parole des déplacées. Pour lui, cette situation nécessite une prise en charge gratuite  de toutes ces personnes ayant fui leurs localités d’origine pour sauver leur vie.  Selon le directeur provincial de la femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’Action humanitaire du Sanmatenga, Lamoussa Valian, les 13 sites ont été installés  en tenant compte de l’accessibilité  aux  points d’eau  dans l’optique  d’atténuer la souffrance des déplacées. Mais, les problèmes demeurent.

Désengorger la demande

Des partenaires sociaux  également, ajoute M. Valian, leur viennent  en aide avec l’installation de polytanks remplis d’eau sur les sites. « L’ONG Plan Burkina en a déposés sur certains sites. Une personne désignée est chargée de ravitailler ces réservoirs  pour les distribuer aux déplacées » affirme-t-il. Également, le ministère de tutelle, poursuit-il, a instauré un système de transfert de cash (de l’argent) aux femmes vulnérables  pendant  trois mois afin de subvenir  à leurs besoins vitaux.  Pour venir à bout de la problématique, explique la Directrice régionale  de l’Eau et de l’Assainissement du Centre- Nord, Clarisse Ouédraogo, dès l’arrivée des personnes déplacées, un cluster WASH (un groupe qui regroupe les partenaires humanitaires et la direction régionale de l’eau)  en urgence  a été mis en place. Cela pour apporter des réponses aux besoins de ces personnes.

Actuellement avec le concours de l’UNICEF, des réalisations de forages, de postes d’eau autonome et des AEPS (système d’adduction simplifiée d’eau potable) au nombre de 200 sont en cours dans la commune de Kaya et d’autres zones d’accueil. En témoigne la réfection de la pompe du site (38 villas). « Grâce à l’appui de l’ONG Oxfam, la pompe sera érigée en poste d’eau autonome (un réservoir et 2 robinets) d’au moins 5m3 d’eau par jour. Cela va très certainement contribuer à désengorger la demande,  faciliter  l’accès à l’eau et les femmes n’y perdront plus trop de temps » assure la directrice régionale. Elle soutient cependant que réaliser « l’objectif zéro corvée d’eau » sous-tend  également de faciliter l’accès à l’eau  tout en donnant les moyens aux ménages afin qu’ils puissent acheter l’eau, soit  des bons ou des tickets de prélèvement.

«Mais la question est en réflexion car rendre l’eau gratuit peut impacter négativement l’entretien et la pérennité des ouvrages, à cause de l’absence de recettes » souligne Mme Ouédraogo. Il est, par ailleurs, nécessaire, dit-elle, de renforcer les sensibilisations sur la cohésion sociale afin d’atténuer les conflits entre déplacées et hôtes  qui pourraient éventuellement naitre du fait de la rareté de la ressource.

Article réalisé par Fleur Birba dans le cadre du projet Women empowerment de CENOZO, publié également sur www.sidwaya.info