Burkina Faso : des femmes accusées de “sorcellerie” réintégrées en famille grâce à une médiation religieuse

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Au Burkina Faso, il n’existe pas de chiffres exacts sur les femmes accusées de sorcières, mais plus d’une centaine, selon une étude publiée sur lefaso.net, expulsées de leurs familles, ont trouvé refuge au pensionnat Delwendé de Sakoula, dans la banlieue de Ouagadougou. Grâce à la médiation menée depuis 2010 par la commission épiscopale Justice et paix (CJP) de la conférence épiscopale Burkina-Niger, 104 femmes accusées de « mangeuses d’âmes », issues des centres d’accueil, ont déjà regagné leurs proches pour un nouveau départ, après 40 ans d’exil pour certaines.

La lumière du jour distille ses premiers rayons ce 10 mai 2023 sur le Centre Delwendé (Delwendé signifie « s’adosser à Dieu », en langue mooré) à Sakoula, l’un des quartiers périphériques de la capitale burkinabè, situé au Centre-nord de la ville. Depuis 1960, ce foyer tenu par la congrégation des Sœurs de Notre-Dame d’Afrique (SMNDA) accueille des femmes accusées de « mangeuses d’âmes » et fonctionne grâce à une subvention annuelle de l’Etat et à la générosité de nombreux donateurs.

Derrière l’imposant portail, des villas basses, d’une dizaine de chambres, encadrent la vaste cour boisée et en terre battue. Arrêtée au milieu de ses consœurs, Habibou Sawadogo, 74 ans, s’apprête à regagner sa famille après 40 ans de séparation. C’est un nouveau jour pour la septuagénaire, arrivée au pensionnat suite à un décès, dont elle a été accusée d’être à l’origine. Plongée dans ses pensées, “Yaaba”, comme l’appellent affectueusement ses co-pensonnaires, assiste au chargement de ses bagages dans la 4×4 double cabine blanche qui doit la ramener chez elle, sur demande de ses petits-enfants.

Sur son visage, difficile de lire la tristesse ou la joie. Les souffrances psychologiques qu’elle a vécues semblent lui avoir enlevé toute forme d’émotions. Après quelques salutations d’usage, la vieillarde prend place à l’arrière-siège du véhicule, encadrée de ses deux accompagnantes de route. L’engin disparaît sous le regard triste des autres pensionnaires avec qui, elle a partagé 40 ans de peines et de joies. Elle rejoint définitivement sa famille à Boussé, une commune urbaine située dans la province du Kourwéogo.

Renouement du lien familial

Pendant plus d’un an, les agents de la commission justice et paix de l’Eglise catholique du Burkina Faso (CJP-Burkina), ont entamé une médiation auprès de la famille de “Yaaba” pour son retour à la maison. Maxime Zoungrana est un des para-juristes de la commission dans le diocèse de Ouagadougou engagés pour la cause des victimes accusées de « sorcellerie ». 

Rencontré en septembre 2023 dans les locaux de la CJP-Burkina, cet homme au calme olympien, explique qu’à l’image de la foi catholique qui exhorte au pardon, à tort ou à raison, il s’agit, au nom de l’accusée, d’implorer la clémence de la famille. 

« Nous partons au nom de l’Eglise catholique et de toute la communauté pour implorer le -pardon de la famille, en recréant les liens entre les victimes et leurs familles. Il s’agit de travailler à instaurer le dialogue entre accusée, et famille. Ce sont des compromis que nous cherchons et non à donner raison à une partie. Le processus est long et pénible, parce que le pardon ne se décrète pas », précise le para-juriste. Il ajoute que « c’est une médiation, dont on ne peut définir à l’avance la durée ».

Cette médiation en question suit plusieurs étapes et évolue en fonction des réalités et de chaque cas. Depuis 2013, l’année de son engagement, Maxime Zoungrana a pu contribuer à la réintégration d’une dizaine d’ex-pensionnaires. « Dans le processus, il faut travailler à ce que les cœurs s’apaisent, parce qu’il y a eu un tort qui a été causé, mais aussi que ces personnes qui se disent “victimes” puissent être disposés à pardonner à celle qu’ils pensent être à la cause », explique-t-il.

Maxime Zoungrana, un des para-juristes du diocèse de Ouagadougou

Ainsi, cette médiation, fondée sur des échanges et des écoutes, peut s’effectuer à plusieurs reprises, selon ses dires. Il s’agit d’abord de la prise de contact avec la famille de l’accusée qui se fait entre le para-juriste et son équipe. Suite à ce premier contact avec la famille qui consiste à écouter sa version, l’équipe déléguée fait le point à la CJP à son retour. 

« Toutefois si toutes les informations collectées sont concordantes, une autre équipe est formée dans la famille proche de l’accusée qui sera associée à celle de la CJP et les deux équipes entameront enfin la médiation jusqu’à l’aboutissement d’un accord sur son acceptation à nouveau dans sa famille d’origine », argue le para-juriste.

Relogement 

Dans le processus de médiation, les responsables de la CJP prévoient, pour la « rejetée », un plan de relogement et de réinsertion professionnelle lorsque la médiation a réussi. Ainsi, elle bénéficie-à la demande de la famille – d’une maison, d’une somme forfaitaire de 50.000 francs cfa pour débuter une activité génératrice de revenu (AGR) et des vivres. Ces accompagnements annexes sont financés par des partenaires jusqu’à la construction de latrines ou à l’installation d’équipements en plaques solaires pour les victimes.

Selon les explications du chargé du suivi/évaluation du projet, Jean Baptiste Yanogo, la CJP implique la famille dans la démarche de recasement, soit en nature, soit en main d’œuvre : « quels que soient les soutiens que nous avons pour la construction des maisons, nous demandons toujours la contribution de la famille, sauf si, elle est vraiment démunie. En ce moment, nous faisons l’effort de prendre en charge la totalité des charges. Cette approche permet à la commission de mesurer le niveau d’intégration de la victime ». 

Six mois après chaque réinsertion, l’équipe de la CJP effectue des visites inopinées de suivi et d’observation jusqu’à s’assurer que la « victime » est totalement épanouie dans sa famille. De 2010 à nos jours, la CJP-Burkina a réintégré 104 femmes, octroyé au total 12 logements et soutenu financièrement 22 d’entre elles après leur réinsertion.  

Parmi les bénéficiaires, Victorine Yelwaoré, 49 ans, ex-pensionnaire du centre de Sakalou. En 2020, elle est accusée d’avoir « mangé l’âme » d’un bébé et est chassée de la cour familiale. « J’aimais beaucoup jouer avec le bébé (âgé d’un an) de ma coépouse. Alors qu’elle s’était rendu à des funérailles dans un autre village, l’enfant est tombé malade et à son retour est décédé. Mais mon beau-frère m’a accusé d’avoir tué son enfant et menacé de quitter la cour », raconte, Yelwaoré, la gorge nouée. 

Victorine Yelwaoré, une ex-pensionnaire de Sakoula

Devant ces menaces, elle erre dans la nature pendant trois ans. « J’avais un peu perdu      la tête. Quand je marchais dans la brousse, j’avais presque perdu la tête. J’ai même pensé à me suicide » se souvient-elle de ces jours sombres qui l’ont conduit à la maison d’accueil Delwendé. Depuis janvier 2023, la quarantenaire et mère de 05 enfants réside à Pazani, dans la banlieue Nord de Ouagadougou et tente de se reconstruire petit à petit avec une activité commerciale. 

Les mains levées, elle lâche un sourire et explique : « Vous voyez ce sac de charbon, je l’achète et le revends pour avoir mon argent. Avant mon accident de moto en 2023, je faisais le nettoyage chez une dame à Tampouy, dans l’arrondissement n°3 de la ville de Ouagadougou et percevais à la fin du mois 15.000 ou 20.000 Francs CFA. J’attends de bien récupérer pour reprendre le travail ».

Craintes 

Au Burkina Faso, être accusée de « sorcière » ou « mangeuse d’âmes » est un phénomène récurrent et cela affecte énormément les victimes qui parfois se suicident. Les femmes accusées de « sorcières » partagent toutes la même douloureuse histoire et parfois, elles sont stigmatisées à vie. 

Pour Angèle Illy, 70 ans, il a fallu juste le port de cadavre suite au décès d’un enfant pour être répudiée et bannie de sa famille pendant 13 ans, sous le regard silencieux de son époux.  Assise devant sa maison de 10 tôles construite par la CJP, avec le soutien de son fils ainé, elle joue bien son rôle de baby-sitter, à la tombée de la nuit. Au milieu ses petits-enfants, elle berce, corrige quand il le faut, mais faufile aussi son coton, pendant que sa belle-fille se charge du dîner. 

Angèle Illy, ex-pensionnaire du Centre de Sakoula

 

Le faufilage, la septuagénaire l’a appris au centre Delwendé. « C’est ce qu’on faisait au centre pour vendre aux visiteurs. Ça nous permettait d’avoir un peu d’argent », marmonne-t-elle, avant de se replier sur elle-même. La grand-mère est visiblement tracassée. Elle a été réintégrée il y a moins d’un an mais une autre accusation plane encore sur sa tête. 

Mais sa belle-fille, Patricia Sawadogo, ne gardera pas le secret pour longtemps. « Maman est inquiète ces jours-ci. Une de mes sœurs qui a fait les fêtes de fin d’année (2023) avec nous est décédée et on entend les gens murmurer de gauche à droite. Elle est triste et craint d’être accusée à nouveau », révèle -t-elle.

Face au traumatisme que vit sa belle-mère, Patricia Sawadogo a informé son époux, résidant en Côte d’Ivoire, de la situation. « Il a dit de ne pas s’inquiéter et a même suggéré d’emménager chez ses demi-frères à Bobo-Dioulasso, si la situation se détériorait » explique-t-elle, avant de se tourner vers sa belle-mère pour la rassurer. 

De son avis d’expert, la psychologue Noëllie Kouraogo relève que la fragilité psychologique, suite aux traumatismes vécus par « les femmes victimes »,  (accusation de la sorcellerie, exclusion, isolement et rupture soudaine des liens avec la famille, la communauté…) constitue un frein à leur réintégration complète.

Noëllie Kouraogo, psychologue

En effet, « le long moment de désaffiliation à la famille pourrait s’accompagner de pertes de repères identitaires chez “ces survivantes” (NDLR : les femmes accusées de sorcellerie) et rendre plus complexe la réintégration », explique-t-elle. 

Elle poursuit : « les mécanismes de défenses spécifiques qu’elles auraient pu développer face aux accusations de sorcellerie dont elles ont été victimes pourraient ne pas favoriser le rétablissement d’un climat de confiance favorable à une cohabitation sereine une fois de retour dans leur communauté. D’où la nécessité de sensibiliser suffisamment la famille sur ces subtilités et la renforcer pour qu’elle soit le plus possible un milieu contenant pour la survivante », a-t-elle conseillé. 

Obstacles 

Malgré les réussites, la médiation de la CPJ reste fragile dans bien des cas. Une étude de Dr Lydia Rouamba, Chercheure à l’Institut des Sciences des Sociétés et au Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (INSS/CNRST) a révélé qu’en 2021, le centre Delwendé comptait 182 femmes et les actions de réintégration par les différents acteurs sur le terrain ne sont pas toujours durables. 

« Des pensionnaires ont été obligées de réintégrer leur centre d’accueil moins de 72 h après que des agents de l’action sociale les ait raccompagnées chez elles », précise le document qui donne un aperçu de l’ampleur du phénomène de l’exclusion sociale lié aux allégations de sorcellerie. 

En effet, durant le processus de médiation, il arrive que certaines familles refusent catégoriquement d’accueillir à nouveau celles qu’elles considèrent comme leur « bourreau », et dont la présence devient insupportable. « Certaines personnes parmi elles sont décédées sans voir leurs familles et c’est à l’Église de les accompagner dans leur dernière demeure », regrettait en 2021, sœur Germaine Sawadogo, une des accompagnatrices des femmes accusées de « mangeuses d’âme ». 

Trois ans plus tard, le para-juriste du diocèse de Ouagadougou, Maxime Zoungrana fait le même constat : « il faut reconnaître qu’il y a beaucoup de cas qui n’aboutissent jamais. Ces victimes sont obligées de se réfugier au centre en attendant qu’un jour, la famille accepte si toutefois elle est toujours vivante ». 

La responsable actuelle du centre Delwendé, sœur Muleya Vickness, regrette que le phénomène prenne de l’ampleur (09 femmes accusées de sorcellerie ont été reçues nouvellement en seulement trois mois de janvier à mars 2024) et soutient qu’il faut appliquer la loi pour bouter le phénomène hors des communautés.

Sœur Muleya Vickness, responsable du Centre Delwendé

L’autre défi évoqué par les responsables de la CPJ Burkina, c’est la pérennisation de ce projet de renforcement de la cohésion sociale dans sept diocèses du Burkina Faso (PRCS) mis en œuvre pour une durée de trois ans (2022-2025), alors que les nouveaux cas d’exclusion communautaires des femmes accusée de sorcières sont toujours enregistrés sur le terrain (même en 2024). 

C’est d’ailleurs l’inquiétude exprimée par la chargée de projet de la CJP, Halimata Magnini/Ouédraogo qui propose un moyen de financement pérenne dédié uniquement à la médiation, si toutefois l’on ne veut pas que la médiation s’arrête aussi. Alors jusqu’en 2024, l’on enregistre encore des femmes accusées des sorcières et exclues de leurs familles d’origines.

Une production réalisée par Yvette Zongo avec le soutien du CENOZO dans le cadre de la phase 2 du projet “Autonomisation des femmes journalistes du Burkina Faso”

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